Spiritualité.
« Nul n’est plus validé par une transcendance religieuse ou laïque pour se poser en garant de la place de tous les autres et des liens qui s’établissent entre eux. » Ce que disait à sa manière toute républicaine, Edgar Morin: «Le désarroi de l’homme contemporain est l’errance d’un individu qui n’a plus de grand discours pour éclairer son chemin… A partir du moment où il n’y a plus de grand discours, à quoi se raccrocher ? » Alors c’est quoi la spiritualité ? Michel Foucault disait : « la volonté d’être autre que ce qu’on est. » Pour nous, cela pourrait se traduire par le refus de réduire mes « rapports à l’autre à des rapports de service » et l’autre comme un objet de ce rapport plus ou moins marchand.
Donner, rendre à l’autre sa qualité de sujet ! En ce premier sens, ici, nul ne peut échapper à cette dimension spirituelle. Il s’agit de mettre de l’esprit au cœur d’une matière, d’une relation, d’une action : percer l’opacité et le mystère de la vie, s’interroger sur son origine. Imprimer dans le collectif une manière de voir et d’envisager l’invisible, l’inouï : dire l’ineffable, susciter une autre manière de percevoir ce qui peut advenir dans la danse mouvementée et évolutive de la terre avec les hommes et des hommes avec elle. Insuffler à l’être humain l’énergie créative d’une échelle de valeurs qui fait humanité.
Spiritualité ! C’est encore le rappel de ce que disait Saint-Exupéry : « Tout acte élève s’il est don de soi. ». Sans doute s’était-il inspiré d’Ignace de Loyola : « Tout ce que je suis, tout ce que je possède, c’est Toi qui me l’as donné. Je Te le rends, sans rien me réserver. »
Pour Joseph Persat (le fondateur du Mas de Carles) et pour les adeptes de l’Evangile, spiritualité renvoie à la volonté d’associer la recherche d’une référence à la Parole de Dieu au souci de l’homme : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas », écrit saint Jean dans la première de ses lettres (1 Jn 4,20).
Rappel qu’accueillir n’est pas d’abord une technique, mais une spiritualité : « Pas d’erreur substantielle à craindre si mon attitude intérieure a pour résultat de me rendre plus fidèle, plus attentif, plus passionnément intéressé aux hommes et à la tâche humaine, moins préoccupé, en même temps de moi-même, égoïstement », écrivait Teilhard de Chardin. Et l’on peut entendre à nouveau Charles Péguy, en 1910 : « C’est vraiment un grand mystère que cette sorte de ligature du spirituel au temporel. »
Spiritualité des mains, comme ce temps donné à la terre de Carles pour qu’elle reste vivante et féconde (renvoyant à notre propre fécondité). Spiritualité silencieuse, comme ces pierres des carrières de la maison qui parlent cette parole muette que le beau suscite en nous. Spiritualité enclose dans ces lieux minuscules des gestes d’accueil (des hommes et de la terre), d’entraide et de nourrissement réciproque, de la constitution œcuménique du conseil d’administration : la spiritualité, comme cette poussière d’un trésor à redécouvrir sans cesse au quotidien pour exister mieux, « offrir un horizon plus vaste que l’âpreté du quotidien » (L. Bruni). Une question de survie en quelque sorte. Est-ce pour cela que cette dimensions’affiche dès l’origine dans le creux des statuts de l’association, au 3ème § de l’article 2 : « Favoriser des rencontres pouvant procurer l’épanouissement moral, spirituel de ceux qui le désirent » ?