Mots croisés

Mots croisés

La grande édition                                                                                                                                                                             1

Petit lexique pour vivre ensemble au mas de Carles « Le jour se lève et si ça se trouve c’est uniquement parce qu’on l’a espéré assez fort. » (Grand Corps Malade)   Carles est un lieu que son fondateur a voulu accueillant à certains des plus pauvres de notre société, exclus économiques, sociétaux et de beaucoup de réseaux d’accueil (hôpitaux, CHRS, etc.) : une réponse là où il n’y a, habituellement, pas ou moins de réponse institutionnelle ; une possibilité offerte à des personnes souvent marquées par l’absence de qualification professionnelle et d’identité sociale, les effets d’addictions dévalorisantes et parfois destructrices, bref la perte des repères habituellement admis, socialement et dans le monde du travail. Ce lieu veut aussi inviter tous celles et ceux qui y viennent (quels qu’ils soient et pour quelque raison que ce soit) à entrer dans une autre dimension de leur vie, pour y développer solidarité, proximité, prise en charge de sa vie et accompagnement de celle des autres au fil des activités et des rencontres suscitées par le mas, comme y invitent les statuts de l’association : « favoriser des rencontres pouvant procurer l’épanouissement moral et spirituel de ceux qui le désirent. »   C’est en cela que l’association s’est inscrite dans la démarche des « lieux à vivre », un parmi une douzaine d’autres en PACA et Languedoc-Roussillon, dont les objectifs sont déclinés dans
la « charte des lieux à vivre » qui rappelle qu’un « tel projet n’est pas de nature institutionnelle, mais un contrat de solidarité fraternelle » dans la durée. 2
  On peut participer de différentes manières à la vie du mas : résident, salarié, bénévole, personne-ressource, visiteur. On peut venir pour des temps précis, pour une action particulière, pour une présence plus régulière (bénévoles) ou de longue durée (résidents), pour un repas (ce qui est toujours la meilleure façon de faire connaissance). On y vient aussi pour y vivre « que chacun a un avenir et doit pouvoir sortir de la spirale des contraintes imposées par la misère pour accéder au projet et au choix »   Les actions du mas de Carles sont adossées au testament spirituel de Joseph, aux statuts de l’association, au projet associatif (qui se décline concrètement dans un projet d’établissement, dont la rédaction revient aux salariés permanents de la maison), à la charte des bénévoles. Un livre aussi : La mésange et l’amandier (réédité en 2013, chez Cardère Editeur) et un fascicule de la collection Ephémère, Association Mas de Carles, (2006, réédité en 2009). L’ensemble de ces textes constitue la base de notre bibliothèque associative (avec les Actes des Rencontres Joseph Persat) : une somme de renseignements et d’invitations qui bordent au quotidien nos interventions d’accueil et d’accompagnement des personnes qui se confient à notre hospitalité. Connaître l’histoire du Mas est une bonne manière d’y être vraiment présents. C’était un constat que nous faisions ensemble, entre autres, lors de notre rencontre du 19 octobre 2013 (d’où est venue l’idée de cet « abécédaire »).   Nous appeler par nos prénoms ne nous met pas pour autant à l’abri de défis pas toujours maîtrisés : nous enfermer dans nos actions (ou nos paroles) pour camoufler peurs et difficultés d’approche ; négliger la réalité des personnes (quelles qu’elles soient) et leur commune appartenance à la communauté de Carles ; isoler les individus alors que le projet associatif veut promouvoir clairement (dans la logique proposée par les « lieux à vivre) le collectif comme force apportée aux personnes et mode d’insertion ; identifier des statistiques plutôt que de se rendre attentif aux parcours et à nos réalisations communes… Risque. Pas forcément réalité ! Mais rappel de réalité : « La vraie sagesse, fruit de la réflexion, du dialogue et de la rencontre généreuse entre les personnes, ne s’obtient pas par une pure accumulation de données qui finissent par saturer et obnubiler, comme une espèce de pollution mentale. » (Pape François, Laudato si’, n° 47)  
Les mots qui suivent, sous la forme d’un abécédaire, voudraient être autant de brefs repères pour tous au milieu de ces défis, pour mieux vivre ensemble et mieux donner corps au projet de Joseph Persat, le fondateur de la maison. En pesant au plus juste les évolutions des hommes qui l’habitent et celles de la société qui nous entoure et nous porte. Une manière de résistance aux entrepreneurs du social ; l’appropriation d’une pratique plus fine, plus exigeante de proximité et de patience. Petite litanie colorée d’émaux croisés en forme de vitrail à l’antique : pour donner à voir ce que l’ordinaire des mots et des pratiques n’explicite pas toujours suffisamment. Mais une écriture comme « à voix basse qui dise moins les remous que le remueur » [1] 3
    Il n’est pas nécessaire que l’on commence la lecture de cet abécédaire par « A » et qu’on finisse à « Z » (qui n’y apparaît d’ailleurs pas). Chacun(e) sa sensibilité, chacun(e) ses préférences. On commence par le mot de son choix. Le reste viendra peu à peu. Chaque mot renvoie à d’autres. Mots associés. Mots croisés. Pour goûter à ce qui peut nourrir un peu de notre présence au Mas et faire signe sur le chemin de notre compagnonnage : « Et ce chemin… nous conduit à un pays qui n’avait que son souffle pour escalader l’avenir. Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel ? » 2 Bonne lecture.     ¤ ¤ ¤ ¤ ¤   A     Aboutissement. Les impératifs de l’ordre alphabétique réservent des surprises… Commencer un abécédaire par un mot qui marque un résultat ! Mais ce n’est pas tout à fait un hasard. C’est un des mots du testament de Joseph, le fondateur, qui a vu dans « ce lieu l’aboutissement de (son) projet d’accueil », le résultat de ses recherches qui allaient lui permettre de poursuivre l’accueil qu’il avait toujours pratiqué de façon encore plus aboutie. Nous sommes les héritiers de ce résultat qui a permis un « nouveau départ » pour Joseph. Il a donné une marque personnelle, originale, nouvelle dans l’accueil.  En tant qu’héritiers, nous nous devons de faire vivre l’esprit qui l’animait en l’adaptant aux évolutions de plus en plus rapides et radicales de notre monde. Héritiers et continuateurs, donc, en ce sens que nous avons à permettre aux personnes accueillies au Mas de marcher vers l’aboutissement de leur propre démarche. En commençant par la fin, cet abécédaire dit son ambition d’accompagner notre réflexion, comme pour accueillir d’entrée un surcroît de lumière.
(Voir « Persat », « Testament »)   4
Accompagner.  C’est, à la fois, le motif du financement de la maison et la vocation de Carles. Souligner l’articulation fondamentale entre accueillir et accompagner, pour un temps long ou pour un temps court. Le plus loin possible : jusqu’à l’aboutissement du projet de chacun. Ni faire à la place, ni faire en sorte que la personne accompagnée devienne conforme à un modèle (aussi noble soit-il). Mais « marcher avec » (syn-ode), faire route avec dans le temps qui est donné. Ni abriter, ni nourrir. Accompagner. Vers où ? On peut simplement accompagner la misère des autres. On peut aussi s’entraider mutuellement à déplacer « la notion habituelle de « social » souvent liée aux besoins de base de la personne (santé, alimentation, éducation, logement, etc.) vers une dimension plus existentielle et intégrale : celle de la qualité relationnelle de la vie. »[2] Accompagner c’est aussi permettre à l’autre d’exister « face à un monde hostile… Sortir de l’indifférencié. Apprendre à se manifester dans son identité… sur le versant de l’activité créatrice pour exister vraiment… résister aux mots des autres qui d’abord nous parlent »[3] et souvent de manière très impérative (voire enfermante).  A Carles, cela se propose à travers la participation aux activités de la maison. A chacun selon ses possibilités, jusqu’à une possible sortie. A cet endroit, pourquoi ne pas se souvenir de cette parole de saint Vincent de Paul : « Dès que quelqu’un a des forces pour s’occuper, on lui achète quelques outils conformes à sa profession et on ne lui donne plus rien. » [4] (Voir « Accueillir », « Compagnonnage », « Temps »)   Accueillir. C’est la mission du mas de Carles : accueillir l’autre dans la difficulté, l’autre ami, bénévole, collaborateur… « Quand je suis arrivé à Carles, j’ai trouvé un regard. Le regard d’un homme qui m’a dit : Mange, bois, dors, repose-toi. Moi, j’attendais des questions : D’où viens-tu ? Qui es-tu ? Jamais Joseph ne m’a posé de questions » (un ancien accueilli). Accueillir des personnes sans autre projet que de leur permettre de trouver un toit, une convivialité et une entraide, dans le respect des contraintes de la vie en collectivité. « Un accueil qui privilégie la communauté de vie, un accueil en première intention adapté au rythme de la personne et à son image », pour « une durée d’accueil non fixée à priori et sans exigence a priori de projet d’insertion »[5].
cela change tout de la présence de chacun au mas. 7 Mais aussi un lieu d’accueil ouvert à l’extérieur : le lieu s’est institué en lieu de promenade pour beaucoup (on vient voir les chèvres, etc.). Nous voyons là une chance et l’expression de la réalité de ce qui nous a été légué par la volonté du fondateur : « Carles ne deviendra jamais 5
Une fois dans la maison, chacun est invité à prendre sa part dans la gestion des activités de cette maison : maraîchage, arboriculture, chèvres, petit élevage, abeilles, petite maçonnerie, pierres sèches, transformation des produits… Ce que la convention avec la DDASS du Gard qualifie de « promotion de la citoyenneté par des pratiques d’entraide et de solidarité ». Et un objet d’intrigue, un lieu de trafic, de commerce ou réservé à quelques-uns. » Une exigence que nous avons parfois du mal à honorer au regard de désirs de fonctionnements parfois plus restrictifs. C’est pourtant cet accueil large qui transforme les hommes, leurs regards et le regard que nous posons sur eux. Ne pas oublier qu’accueillir c’est aussi « prendre » non ce que nous désirons mais d’abord ce que l’autre nous donne de partager : Veiller à la légèreté de nos présences pour qu’elles ne deviennent pas pour l’autre la prison de mes désirs. Accepter nos limites : « Devant quelqu’un qui s’expose, se met à nu, se découvre, dévoile des sentiments que l’on garde habituellement pour soi, nous(pouvons) être gênés par cette intimité soudaine comme l’exposition d’un corps abimé, dénudé, décharné. » (Karine Boinot) (Voir « Homme », « Illusion », « Inconditionnel », « Migrant »)   Acteur. Pour certains, le culot, la folie ou la culture d’une certaine excentricité peuvent tenir lieu de présence active au Mas… jusqu’à la dénonciation de ces subterfuges le plus souvent inopérants. Etre acteur (de sa vie) n’est évidemment pas (se) jouer la comédie. Cela relève plus d’un simple réflexe de défense, trop souvent utilisé pour détourner l’attention (de soi et ders autres) des vraies actions à mener pour… Pourquoi au juste ? Là est toute la question. Pour s’établir dans une dignité reconnue ? Pour ne pas se réfugier dans un collectif sans participer à son dynamisme ? Pour se donner des moyens de transformer sa vie en vie ouverte sur un avenir, y revendiquer sa part d’utilité et s’offrir de l’assumer ? « Si l’acteur ne bouscule pas la réalité pour aller plus loin… ce n’est pas un artiste », disait Michel Serrault. Ni un de ces découvreurs de terres nouvelles pour vivre. En tout cela, être acteur commence peut-être par être capable de mémoire : se souvenir du temps passé pour en faire les fondations d’un autre présent : refuser la confusion entre hier et aujourd’hui et demain. Choisir d’agir pour se dégager de la gangue d’autrefois et de ses échecs (ce qui n’est guère possible hors d’un « travail de mémoire ». Dans un groupe, être acteur sera peut-être accepter ou vouloir être un « facteur de différence », avec toutes les craintes possibles et imaginables. Après tout chacun ressemble à son voisin et tous à tous, « acteurs qu’on a poussé sur scène sans qu’on leur ait distribué de rôle bien précis, sans manuscrit en main et sans souffleur pour murmurer ce que nous avons à faire. » [6] .
Du coup, former un acteur n’est pas sans effet sur notre mode d’accompagnement : former un acteur, c’est s’effacer, pour lui permettre de prendre sa place, de laisser sa trace par les compétences (nouvelles) acquises, la capacité à prendre une responsabilité dans la marche de la maison… et ne jamais oublier qu’il n’y a pas de cages, hormis celles que chacun se donne pour s’éviter ce qu‘il se croit incapable d’affronter… Et certains disent que, si cage il y a, la porte n’est jamais fermée. C’est notre peur qui la répute telle.  Patience et temps sont les seules réponses à tout cela. Pour tous. 6
(Voir aussi « Alliance », « Compagnonnage », « Personne-ressource », « Temps »)    Activités. « …appeler tout ce qui risque de se perdre s’il s’endort », écrivait Philippe Jaccottet. Comme en écho, une parole de résident : « Dans ce genre de communauté, il faut participer, tout en se retirant de ce qu’on savait faire jusqu’alors… Dans des lieux comme ça, il faut participer. Si les gens ne s’intéressent à rien, si on ne fait rien, vous attendez la mort… ! » (Bernard). Se donner une tâche à accomplir sur place est une manière de ne pas se laisser aller, de continuer à se battre. On s’abîme plus vite en ne rien faisant qu’en participant à une activité commune. Voilà pourquoi la vie à Carles, c’est participer bénévolement à une des activités proposées dans la maison : maraîchage, pierres sèches, chèvrerie, maçonnerie, cuisine, etc. Depuis peu, cette activité s’inscrit dans le cadre du statut des « Organismes d’Accueil Communautaire et d’Activités Solidaires » (OACAS) reconnu par le Conseil National de Lutte contre les Exclusions et la Direction Générale de la Cohésion Sociale 9. Par notre activité nous permettons à la maison de s’embellir, nous participons à son financement (fabrication et vente des produits). Une manière de faire vivre le lieu qui accueille celles et ceux qui y vivent et ceux qui viendront plus tard pour y recevoir même hospitalité  que chacun aujourd’hui (à l’exemple de ceux d’avant nous) C’est pourquoi il est indispensable d’avoir l’accord de chacun pour vivre au Mas : c’est le but de la signature de chacun au bas du règlement intérieur, du contrat d’hébergement, du contrat de travail. Il s’agit par ailleurs du retour à l’exigence formulée par le Mahatma Gandhi (1869-1948) : « Tout mon amour ne me permettrait pas de donner un repas gratuit à un homme sain qui n’a pas travaillé honnêtement pour gagner ce repas. Si j’en avais le pouvoir, j’arrêterais toutes ces œuvres de charité où l’on donne des repas pour rien. » [7] Par-delà le manque de travail à l’extérieur, Carles fait la preuve que l’on peut vivre autrement : de manière plus frugale, en donnant toute sa place à la vie commune en vue d’un soutien mutuel, pour vivre ensemble dans la dignité du fruit de nos mains (au moins pour une part). Cette part de la vie au mas est ce que nous croyons pouvoir offrir de meilleur. A quoi il convient d’ajouter une évidence : ce que cela peut rapporter en termes de financement supplémentaire (et nécessaire) à l’équilibre des comptes de la maison (8 à 9% du budget) n’est pas négligeable. (Voir « Bio », « Capacités physiques », « Emploi », « Faire », « Jardinier », « Travail »)   
Addictions. Alcool. Produits divers. Médicaments. Jeux. Sexe. Le plus souvent les addictions sont les stigmates de tendresses constructives manquantes qui se marque d’une forme de dépression. Ces dépendances multiples à une substance ou à une activité, sont génératrices d’un « plaisir » dont la personne ne peut plus se passer. Mais pas seulement. L’alcool par exemple 7
peut aussi être « ce lubrifiant des relations sociales… moteur de parole, dynamo de la communication » dont parle Alain Ehrenberg. Le dommage s’installe quand l’intérêt pour un produit devient addiction, c’est-à-dire perte d’intérêt pour la réalité. S’enfermer dans ce comportement émousse, annihile toute capacité relationnelle et de choix. C’est pourquoi nous avons choisi, autant que nous pouvons le tenir, de ne pas être des transmetteurs de produits de substitution. Combattre ces addictions c’est amener la personne dépendante (avec son accord) à retrouver des intérêts multiples et à renouer des relations vraies avec les autres (personnes et institutions). Ce combat met les personnes et les équipes à rude épreuve : comment faire ? Quelle est la meilleure démarche pour permettre à chacun d’avancer à son rythme ? Entre idéologies, empirisme des pratiques et cohérences affirmées, quel chemin offrir aux hommes ? Comment nos pratiques (hébergement durable, vie commune, activités, entre autres) permettent-elles de réduire les situations où ces addictions paraissent la seule réponse viable pour certains ?  Trouver la bonne distance sans renoncer à accompagner les personnes jusqu’au cœur de leurs addictions ! Sachant que toujours restera la question de fond, telle que l’expose le philosophe : « Il est plus difficile de résister à soi qu’aux autres. L’addiction, c’est être prisonnier de son propre désir. » [8] Ce combat est aussi un risque pour la personne addicte : partir en sevrage, revenir d’un sevrage implique toute une préparation qui ne dépend pas que des responsables. Il paraît important que la personne impliquée ait le temps d’entrer dans la démarche et de s’y investir par elle-même. Peut-être est-ce aussi le cas de l’accompagnateur invité à se tenir hors du jugement, même au cœur de la crise (ce qui n’a ni évidence ni logique apparente). Ailleurs, accepter une responsabilité et la tenir peut aider à construire le commencement d’une réponse (avec la réduction de la consommation ou l’acceptation d’une consommation plus contrôlée). Le traitement des addictions nécessite le recours aux partenaires spécialisés dans ces domaines. A condition qu’un dialogue puisse s’instaurer entre les parties : hébergeurs et soignants, chacun, de sa place, étant en capacité de repérer, d’accompagner, de proposer telle ou telle solution. Force est de constater que le « secret » médical (non partagé) est aujourd’hui encore un bon refuge pour certains acteurs ! (Voir « Hôpital », « Médicaments », « Médecin », « Soins »)   Administrateur.
Rassemblés au sein du Conseil d’Administration, instance élue par l’Assemblée Générale, les administrateurs, parce qu’ils se reconnaissent de la même famille et sont soucieux de son avenir, définissent les grandes orientations pour la vie de la « maison Carles ». Leur mise en œuvre est confiée au directeur et aux salariés de l’association, en lien avec les bénévoles. Ces administrateurs ont en charge la « politique » de l’association et veillent à ce qu’elle garde son indépendance, ses capacités d’innovation et demeure force de propositions, au-delà de toute instrumentalisation institutionnelle et / ou financière. Un exercice difficile. Dans un temps où les financeurs ont tendance à prôner une gestion managériale, résister à cette « brutalité » dénoncée par Jean Lavoué [9][10], est l’autre nom d’une volonté de retrouver « le caractère subversif de sa prime naissance », et de « contribuer à la production ensemble d’un autre type de société. » 8
(Voir « Association »)   Aimer. Un célèbre dominicain avait sur son bureau un petit cadre sur lequel était écrit quelque chose du genre : « Souviens-toi d’aimer ». Rien de plus complexe que ce mot-évidence, au sujet duquel Simone Weil écrivait : « Essayer d’aimer sans imaginer. Aimer l’apparence nue et sans interprétation. Ce qu’on aime alors est vraiment Dieu » 13 (les non-croyants remplaceront Dieu par la valeur suprême de leur choix). Aimer ? S’engager soi-même à égalité pour reconnaître l’autre dans sa dignité, ses capacités, comme dans ses souffrances et son courage : « Votre amour c’est vous-mêmes, vos pas, vos gestes, vos actes, votre attitude spontanée envers autrui, l’absence de jugement… Soyez ce que vous êtes en réalité au plus profond de vous-mêmes… les autres seront conduits à être ce qu’ils sont dans leur vérité la meilleure. » [11] Y a-t-il, au fond, un autre chemin que celui qu’indiquait Frédéric Boyer : « La seule force, la seule valeur, la seule dignité c’est de ne pas comprendre si comprendre nous fait renoncer à l’amour de l’autre. Voilà ce qui fonde, voilà ce qui fait la légitimité non seulement d’une existence mais de toute communauté. » [12] Peut-être, aussi, « aimer » comme « s’aimer », chemin de la reconnaissance de soi-même, de l’apprentissage à vivre en paix avec soi-même pour pouvoir vivre en paix avec les autres et avec soi-même. Pour les chrétiens parmi nous, rappel de ce que Paul écrit aux Galates : « C’est pour que nous soyons libres que Christ nous a libéré…La Loi tout entière trouve son accomplissement dans cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Gal 5,13-14). Voilà l’envers de la « mécréance », voilà ce « chant sacré, cri fertile » entre tous, selon le mot du philosophe Vincent Cespedes : l’amitié provoque l’amitié ou l’éloignement de ceux qui ne veulent pas offrir d’amitié, dit-on en Amérique du Sud. (Voir aussi « Compagnonnage », « Liberté », « Mourir », « Regard », « Sens »)  
Alcool. Une des plaies qui touche bon nombre des habitants de la maison. Ce qui donne lieu à de très régulières explications entre nous. Et à quelques textes de mise au point, dont celui-ci : « Il y a ceux qui boivent tellement qu’ils ne s’en aperçoivent même plus : c’est devenu une manière de vivre. Et ils protesteront violemment si on le leur fait remarquer… ou avec une assurance qui défie le bon sens. Ils croient ainsi sauver leur honneur. Ils ne font que s’enfermer. Il y a ceux qui font la leçon aux autres, mais qui continuent eux-mêmes à boire comme si de rien n’était, croyant sans doute que personne ne les voit. Il y a ceux qui ne disent rien, qui s’effacent derrière l’alcool qu’ils ingurgitent, qui n’osent pas (s’) avouer qu’ils sont des malades alcooliques. Leur silence les enferme doublement. Ils ont la tentation de croire que tout est foutu : alors il ne sert à rien de faire un effort. Il y a encore les abonnés du shit et ceux qui cumulent alcool et shit, un seul refrain en bouche : « Je m’arrête quand je veux ». Sauf que jamais ils ne s’arrêtent. C’est normal. Parce que cela veut dire en fait : « Je ne veux pas ou ne peux pas m’arrêter. » A tous ceux-là nous disons : ne croyez pas que nous ne voyons rien. Ne croyez pas qu’on ne remarque pas vos mouvements, vos allées et venues, les traces sur votre visage et dans vos gestes. Croyez plutôt que l’alcool et le shit sont des poisons. Qu’ils vous tuent. Il y a ceux qui essayent de s’arrêter et qui y arrivent un temps ; puis qui craquent parce que la vie leur paraît trop difficile sans l’abri de leurs produits ou parce qu’ils ont manqué de vigilance devant les sollicitations des uns et des autres. Ceux-là nous rappellent que stopper sa dérive 9
est une vraie décision personnelle. Ce n’est pas parce que j’ai décidé de m’arrêter que l’on va fermer tous les bistrots sur ma route ! Ou que personne ne cherchera plus à me raccrocher à mes anciens démons : ceux-là vivent sur le produit de ma mort. Il y a ceux qui se soignent, acceptant de rencontrer un médecin et tentent de prendre en main leur avenir, même si c’est difficile. Et c’est difficile. Ils nous font ainsi savoir que jamais aucune vie n’est définitivement enfermée dans l’échec et la mort. Que personne ne vient au mas de Carles pour ça ! Mais pour vivre. Pour rendre à sa vie son élan vital. Se transformer passe par l’acquiescement à cette volonté de vivre. Et personne ne pourra faire ce chemin à votre place. Courage ! » [13] Ce qui n’est pas le fait de tous quand on observe un tant soit peu les pratiques des gens à l’extérieur du Mas… A chacun ensuite d’en parler et d’accepter de se mettre en route pour « choisir la vie, au-delà du chagrin d’être : « Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant… », écrivait Guillaume Apollinaire. (Voir aussi « Estime de soi », « Consentir », « Médicaments », « Produits »)   Alliance. C’est un mot si vieux que l’on n’osait plus guère l’employer hors de nos langages religieux. Pour dire le souci premier de Dieu pour l’humanité : « Et moi », dit Dieu, « je les menais avec
des attaches humaines, avec des liens d’amour, j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se nourrir. » [14] Et l’invitation à faire de même. Ou, autrement traduit dans l’Evangile : « « Celui-ci est mon fils bien-aimé » [15][16] 10
Un proverbe affirme que « faire alliance avec un homme puissant n’est jamais sûr. » 19 On pourrait croire que cela ne s’adresse qu’à nous, les forts. Mais il ne faut jamais oublier que cela vaut aussi pour les résidents. Nous redire qu’il peut y avoir danger pour eux à faire alliance avec nous si ne savons leur présenter que notre « puissance » : celle de notre statut de salarié, de bénévole, de mieux pourvu en biens matériels ou en ce que nous croyons être une liberté supérieure à la leur (quand nous sommes souvent englués dans des répétitions sociétales et économiques mortifères si nous ne prenons pas le temps d’y réfléchir). Faire alliance n’est pas la parenté (il n’est pas sûr que celles et ceux qui fréquentent le mas recherchent un autre parent), ni la servitude imposée à l’autre (personne ou association) au nom de ma vérité. Peut-être l’offre d’une question ouverte qui nous met en marche et dont nul ne connaît la réponse, sinon l’expérience du chemin parcouru ensemble. Le cadre n’est pas d’abord celui de l’injonction, mais l’homme avec qui nous voulons réellement faire alliance à égalité d’être. C’est dire que « faire alliance » ne relève pas d’abord d’un projet ni d’une réalité institutionnelle… malgré nos réclamations d’un ordre à respecter. Nous redire que, dans la plupart des cas, ce qui fait notre bonheur d’être est la liberté que nous appliquons face à toutes les injonctions de nos vies citoyennes. Pourquoi ne serait-ce pas le cas pour tous, résidents ou non ? Nous touchons là, avec ce mot, une réalité aussi essentielle que difficile à cerner avec clarté, tant il fait appel à notre engagement et à notre capacité à nous déposséder ce que nous croyions être la force de notre engagement. (Voir aussi « Lieu à vivre », « Personne ressource », « Spiritualité »)   Allocataire. C’est le « nom » par lequel les institutions désignent les personnes relevant de leur responsabilité et de leurs financements : RSA (Revenu de Solidarité Active), AAH (Allocation Adulte Handicapé), FNS (Fonds National de Solidarité), etc. Ce n’est pas une raison pour oublier que ce sont, finalement, autant de manières de désigner celles et ceux qui relèvent de la solidarité nationale pour subvenir à des besoins primaires et de survie ! Le ton aujourd’hui est à la condamnation du maintien de ces allocations : elles reviendraient trop cher à la collectivité et entretiendraient les « allocataires » dans un doux farniente… à 500 euros par mois, pour beaucoup ! Détail supplémentaire : pour atteindre ce doux nirvana les personnes concernées devront s’astreindre à 4, 5, 6 mois d’attente et à de patientes démarches avant de pouvoir « toucher » ce respectable magot… et pour n’en pas laisser tarir
la source ! Une vraie sinécure. (Voir « Assistanat », « Solidarité ») 11
  Appartenance. Faire partie du Mas. Être du Mas ? Sans doute pas d’évidence. Mais peut-être bien que faire partie du Mas, quel que soit notre statut, c’est une certaine manière d’être. Etre d’une communauté qui nous fait être d’une certaine façon. Vouloir que notre manière de vivre ensemble corresponde à une proposition de vie différente, mais réelle, de ce que propose la société autour de nous : ne plus croire que le plein emploi est pour demain, apprendre la communauté de vie, partager des tâches et ce qu’elles rapportent à la maison… Toutes choses qui se heurtent toujours à nos volontés protectrices pour tel ou tel, toujours à vouloir isoler tel ou tel du reste de la communauté parce qu’il n’aurait plus rien à y faire. Sauf que, souvent, cela se fait dans l’ignorance de multiples signaux qu’ici nous commençons à connaitre assez bien ; tous signaux solidement capitonnés derrière une mythomanie qui dissimule et déconstruit les personnes : nous redire que personne n’arrive au mas par hasard ni seulement pour des cors aux pieds. Sauf que beaucoup y sont venus au sortir de la rue, que nul ne souhaite y retourner et que « sortir » du Mas n’est pas l’affaire des autres mais de chacun pour soi-même après examen de sa situation ! Nous redire que la volonté de fuite prendra toujours prétexte de toute occasion ou parole… parfois jusqu’au désastre. Nous redire que celles et ceux qui quittent volontairement le mas, y reviennent souvent d’une manière ou d’une autre : se reconnaître d’un groupe (même quand on y a mis de la distance ou qu’on en a été mis à distance) est pour tous une manière de faire place à la vie, de donner une chance supplémentaire à sa vie. (Voir aussi « Communauté », « Fuite », « Travail », « Vivre ensemble »)   Argent. Un « gros mot » quand il prend toute la place et devient la valeur dominante. Nul ne peut plus ignorer les dégâts occasionnés par le néolibéralisme, la montée des inégalités quand moins de 1% des plus riches possède la moitié des richesses du monde, et la fausseté de l’analyse qui prétend que l’enrichissement de quelques-uns profite inévitablement à tous (la théorie de la marée : quand la mer revient tous les bateaux se retrouvent à flot). L’argent et ses « évidences » gestionnaires n’ont jamais construit ni solidarité ni espace de vivre ensemble citoyen [17] : « Le drame du monde actuel est d’avoir permis à l’argent de légitimer de véritables hold-up sur le bien commun. Une minorité a légalisé le droit à piller ce qui est nécessaire à la survie de tous. La démesure des uns provoque la ruine et l’indigence des autres. » [18] Alors nous
disons haut et fort : la dignité avant l’argent ! En même temps, l’argent est une nécessité pour maintenir l’espace d’accueil et de convivialité que veut être le Mas ; pour continuer à recevoir celles et ceux qui le demandent… et une rude école d’apprentissage d’une forme de réalité. Et quand il s’agit de trouver chaque année 1.000.000 d’euros, dans ces temps de crise où on tente de réduire les coûts du social (comme du reste), on ne plaisante plus guère. On cherche. On monte des dossiers pour informer l’Etat, les collectivités territoriales, les organismes privés. On va les défendre en présentant actions et projets (quand il y en a). Cela suppose une équipe disponible autour du directeur : trésorier, expert-comptable, commissaire aux comptes, recherches autour du mécénat… et les trois cents donateurs réguliers et les quelques personnes qui ont légué tout ou partie de leurs biens à la maison, assurant ainsi l’avenir (financement des activités et d’une part des investissements) et garantissant l’immédiat en abondant régulièrement notre trésorerie. Ajoutons, que cet argent est aussi ce qui fragilise les hommes, les résidents eux-mêmes : 12
« Quand un grand nombre… n’ont d’autre secret que celui du code de leur carte de crédit, le temps vient de la Grande Docilité. » [19] Prêts entre eux, chasse au mauvais payeur, nervosité au moment de l’arrivée du RSA ou de l’allocation au début du mois qui réduit le temps au calcul de ce qu’on pourra dépenser, porte ouverte parfois aux défonces de tous ordres, départ précipité parce qu’on vient de toucher un rattrapage qui arrondit le dû… « Il y a une loi de la surface qui est féroce : c’est celle de l’argent. C’est elle, en vérité, qui aime le chaotique, sous ses allures d’efficience et de prospérité. La loi profonde est ailleurs. C’est cette loi qui elle-même obéit à la loi de toute loi : préserver l’homme, sauver l’humain de ce qui en l’homme détruit l’homme […] Que l’autre te soit assez proche pour que ton désir soit : qu’il vive. » 23 Parfois, pourtant, émerge la capacité à organiser un remboursement de dettes contractées avant d’arriver au Mas : et c’est une vraie conquête ! Quelques fois, mieux encore, c’est un legs qui nous vient d’anciens décédés. Et puis viennent les philosophes et les théologiens pour « rendre manifeste que l’argent et la puissance sont les produits de remplacement de l’amour et que c’est la société qui réussit à empêcher les hommes de s’apercevoir qu’hors de l’amour il n’y a rien. » [20] (Voir aussi « Amour », « Bien commun », « Donateurs », « Finances »)   Assemblée générale. Dans le cadre de la loi du 1 juillet 1901, c’est normalement le cœur de la vie associative. Elle rassemble une fois par an l’ensemble des adhérents à l’association, pour y entendre les bilans de l’année écoulé : bilan moral, bilan financier, bilan d’activités, etc. Pour formuler critiques et propositions quant au fonctionnement de l’association et procéder aux votes (d’approbation ou non). Enfin, désigner ses représentants au conseil d’administration et aux diverses délégations nécessaires à la vie associative. Il convient que tous ces adhérents soient à jour de leur cotisation (fixée par l’AG). Ce fonctionnement et les prérogatives de cette assemblée sont définis et encadrés par les statuts de l’association. (Voir « Statuts », « Administrateur », « Association »)    Assistanat.                                                                                                                                              13 C’est la grande peur de nos associations, la question récurrente de celles et ceux qui les fréquentent de l’extérieur et le reproche de certains institutionnels : cultiver l’assistanat. D’autant qu’une récente enquête du CREDOC[21] a révélé que l’opinion s’est retournée entre 2008 et 2014 : 37% des Français pensent que les personnes qui vivent dans la pauvreté n’ont pas fait suffisamment d’effort pour s’en sortir (contre 25% en 2009) et 44% que l’aide de la collectivité auprès des familles aux ressources insuffisantes les déresponsabilisent ; 76% des personnes interrogées estiment qu’il est parfois plus avantageux de percevoir des minima sociaux que de travailler et 53% considèrent que le RSA incite les gens à ne pas travailler (contre 31% en 2009). Le nombre de Français qui pensent que l’aide apportée aux familles très modestes par les pouvoirs publics est suffisante a plus que doublé, passant de 31% à 63%. Pendant ce temps, le patronat (petit ou grand) se plaint de n’être pas assez assisté ; la récente polémique autour des allocations familiales a fait entendre le cri des promis à moins d’assistanat. Mais n’a-t-on jamais entendu personne se plaindre de bénéficier d’une conduite assistée dans sa voiture, ce qui en facilite la pratique ? [22] Certains penseront peut-être à la parabole de ce bon samaritain (Luc 10,29ss) qui donne à l’homme blessé tout ce qui lui est nécessaire pour retrouver sa dignité d’homme debout… et même plus encore (puisqu’il paie par avance l’aubergiste pour assurer son hébergement), contre les évidences ethniques et rituelles d’alors ! Bien souvent, avant de venir en aide aux personnes, nous nous posons la question de savoir s’ils le méritent : fausse question, qui nous fait négliger la part féconde de la gratuité qui donne sens à toute vie, la nôtre y compris. C’est notre commune appartenance à la vie, à ce collectif existentiel qui « m’oblige » à prendre ma part de responsabilité dans la lutte contre l’inégalité des situations de certains parmi nous. Et justifie aide et assistance. C’est le terreau de notre action associative. (Voir aussi « Ateliers », « Charte des lieux à vivre », « Compétences », « Créer », « Habiter »)   Association.
C’est le cœur. Carles est un lieu associatif. Un lieu où des professionnels du social (salariés et bénévoles) et des résidents s’associent pour travailler ensemble au déploiement efficace de leurs complémentarités, pour le bien de chacun : « Le fil triplé ne rompt pas facilement », souligne l’Ecclésiaste (IV,12). Dans cette perspective, il ne s’agit ni d’opposer, ni d’exclure. A Carles chacun a sa place… même si en faire l’expérience peut se révéler rugueux et quelquefois difficile. Un des enjeux forts de la vie associative est un juste partage des responsabilités, autour de trois exigences : discernement des enjeux, mise en place des moyens appropriés, rigueur dans la gestion des buts pour un accueil solidaire offrant à tous un patrimoine commun source d’entraide. Carles peut, alors, se définir comme le lieu d’un réseau de relations et d’aides plus ou moins ponctuelles. 14
 « Pourquoi s’associer ?  A cette question, chacun, résident, salarié, bénévole a une part de réponse. A partir de son propre savoir élaboré et partagé, et face à un environnement toujours tenté d’entretenir un déni de réalité de la pauvreté et de ses effets, s’associer doit permettre de rappeler sans relâche la réalité de la précarité » (CR de la 1ère rencontre Résidents, Salariés, Bénévoles). Inventer une réponse là où l’on se contenterait d’une surveillance ou d’une normalisation. Ce qui renvoie l’association à sa véritable perspective : comme le répète le président de la FONDA, l’ADN de l’associatif c’est l’innovation sociale. Et cela se traduit dans un « projet associatif ». [23] Et le principe de rassemblement au sein d’une association, c’est l’adhésion au projet défini par l’assemblée générale. Pour nous, association qui produisons et mettons nos produits à la vente, il est bien évident que les membres de l’association sont prioritaires pour ce qui est de ces achats. C’est ainsi qu’on leur garde de l’huile, des fromages et autres produits pour les portes ouvertes. Une bonne manière de ne pas tomber dans le tout marchandage à tout prix. Ou du moins de se donner des priorités. (Voir « Administrateur », « Produire », « Projet », « Statuts », « Vendre »)   Ateliers. C’est un des lieux principaux de l’expression de chacun et de la communauté tout entière. Chacun à son arrivée est accueilli dans un des ateliers proposés : maraîchage, chèvres et fromages, arboriculture, confitures et transformation des produits, miellerie et abeilles, restauration et entretien des bâtiments, murs en pierres sèches… Chacun doit pouvoir trouver là un lieu qui convienne à son désir et à l’élargissement de ses compétences. C’est à partir de là, dans ces ateliers, que s’organise la proposition d’un avenir pour chacun. Et c’est de là que la maison a peu à peu acquis une autre dimension : non plus seulement un lieu d’accueil de misères et de pauvretés, mais le lieu d’une construction commune et d’une reconnaissance pour la qualité de ses productions (une ferme)… et de la requalification de ceux qui sont les artisans de ces productions : non plus des marginaux addicts, mais des producteurs de bon et de beau !
(Voir aussi « Produire », « Ferme »)   15
Attente.  Un proverbe arabe affirme que « l’attente est plus dure à supporter que le feu. » Attente de nous autres face à des hommes (ou des femmes) dont le chemin a été tel que rien ne peut se résoudre dans l’instant de nos désirs : attente de la fin de l’addiction, attente de l’intégration de tel ou tel dans la maison, attente d’une solution de sortie, etc. Attente de la part des résidents et des accueillis dans la maison : que l’on trouve pour eux une solution digne ; que puisse cesser cette vie entre deux vies telle qu’est vécue, au début, la vie au mas : « Tu sais, en ce moment, je me pose une question : qu’est-ce que je vais devenir ? Tu crois que je pourrais partir d’ici et trouver un travail ? ». Attente mythique et illusoire d’un logement et d’un travail pour les plus jeunes contre l’évidence du chômage et de l’absence de formation. Mais aussi attente que s’instaure une relation vraie entre tous pour rendre la vie moins lourde à chacun… : « Attends encore que je vienne, Fendre le froid qui nous retient, Nuage en ta vie aussi menacée que la mienne. »[24] L’accueil et l’accompagnement, les regards croisés permettent aussi de donner corps à cette attente, de l’habiter et de lui donner sens. La vie au Mas, dans toutes ses dimensions, permet de faire émerger les « pierres d’attente » enfouies sous les décombres des faits tragiques marquant la vie des personnes qui poussent les portes du Mas. Ces pierres sont justement en attente d’être révélées pour que puisse se construire, à partir d’elles, la suite de l’histoire de chacun, la nouveauté qui se profile. (Voir aussi « Accueillir », « Départ » « Durée », « Libération »)   Audace.
Comme celle de Basile de Césarée (329-379) répondant à l’extrême pauvreté qui régnait de son temps, qui se fait donner par l’empereur un vaste terrain dans la banlieue de la capitale et y installe, avec un accueil pour les plus pauvres, une ville autonome aux portes de la ville, où les démunis retrouvent dignité et travail ? Et pour tous ces établissements « d’utilité publique » il obtient l’exemption d’impôts ! Sa proximité avec les puissants était pour lui l’occasion de faire toute leur place aux plus pauvres : dans leur capacité à s’organiser, comme au cœur de la solidarité impériale. A la porte de notre mémoire, c’est encore l’audace encore de Joseph, qui se lance dans l’aventure avec rien, sauf sa certitude que la fidélité à l’Evangile passait par la fidélité à l’homme pauvre et déraciné. Sa proximité avec de plus riches lui permettra d’acheter la propriété. A nous, peut-être, de retrouver quelque chose de cette audace qui emprunte sur la part des riches pour un meilleur sort des plus pauvres. Mais audace aussi de celles et de ceux qui se posent au Mas et décident un jour (parfois après de longs jours ou de longs mois) que Carles est leur maison. S’établir dans un quelque part qui n’est pas son chez soi, rompre avec une errance qui peut-être, aussi, parfois comme une protection, demande de faire un vrai choix… et de quitter quelques-unes des anciennes « sécurités » ou « insécurités » qui assuraient une part de la vie. (Voir « Errance », « Maison », « Persat Joseph », « Utopie ») 16
  Aujourd’hui. Pour beaucoup des personnes accueillies, c’est tout, tout de suite, maintenant. Une urgence qui résiste mal à nos fatigues comme à leurs espoirs. C’est aussi le leitmotiv de notre société qui ne jure que par le court terme et l’immédiateté. Double difficulté, donc ! La vie au mas n’échappe pas aux lames de fond qui déstructurent aussi notre société… Peut-être « aujourd’hui » a-t-il un inconvénient : il se clôt sur lui-même. L’avenir se confond avec l’immédiat ! Pour les bénévoles et les accompagnateurs, c’est l’occasion de se redire que les pauvres d’aujourd’hui ne sont pas nécessairement les pauvres d’hier. Et que chacun de nous a besoin de régler, régulièrement, l’heure à la montre de sa solidarité et de ses volontés de partage. Encore une épreuve ! (Voir « Illusion », « Compagnonnage »)   Autonomie. Autonomie : « fait de se gouverner par ses propres lois ». C’est un travail immense en même temps qu’un réflexe éducatif et le signe d’un amour vrai. Chacun dans son monde s’épuise à vouloir que tous arrivent à l’autonomie : logement autonome, travail, capacité à quitter le milieu qui le porte (famille ou milieu socio-éducatif). La petite musique de la réalité de la vie nous fait tôt savoir que tous n’ont pas la possibilité de le réaliser, ni même de le vouloir. Que faire ? Mettre dehors et (re)conduire à l’échec ? Proposer un autre mode d’être où la responsabilité et les compétences de chacun puissent s’élaborer et s’épanouir au meilleur du possible ? C’est cette seconde voie que nous tentons d’offrir à celles et ceux qui nous font la confiance d’habiter avec nous au Mas : donner sa chance à l’autonomie dans l’exercice de ses activités. (Voir aussi « Compagnonnage », « Ferme »)   Autorité. C’est quoi, l’autorité ? Le dictionnaire nous apprend que le mot vient d’un mot latin qui signifie « auteur ». Dans un premier temps, à comprendre comme celui qui est l’auteur d’un commandement, d’un ordre… Une définition accompagnée d’un conseil de Fénelon : « L’autorité seule ne fait jamais bien ; la soumission des inférieurs ne suffit pas : il faut gagner
les cœurs. » 29 Peut-être faut-il revoir notre conception de la chose et considérer l’autorité comme un échange de services entre tous. Qu’ai-je donc à offrir à l’autre, qu’est-ce que l‘autre peut m‘offrir pour que nous bâtissions ensemble une relation d’autorité ? Comment nous rendons-nous mutuellement auteurs les uns pour les autres : de vie, de vie meilleure, etc. Certains parlent de la fin des hiérarchies : il suffit de regarder autour de nous le sort réservé à certains hiérarques pour s’en faire une idée. Les mêmes évoquent une société collaborative, ce qui semble vouloir signer la disparition de toute hiérarchie. Il n’empêche : pour nous la commande hiérarchique des tâches est l’ossature sociale au service des autres, le squelette qui structure nos organisations. Même à Carles il y a un lieu où se prennent les décisions, un lieu qui invite à les mettre en application. On ne fait pas n’importe quoi, n’importe où, n’importe comment. Et il faut bien une autorité de régulation qui tente « de faire exister plus » celles et ceux qui se confient à nous. Sans violence. Comme une proposition : celui qui détient l’autorité doit avoir, normalement, accédé au niveau d’être auquel il appelle, écrivait Jean Sulivan. Voilà de quoi ressourcer et restructurer toutes nos volontés hiérarchiques ! Peut-être encore ceci : et si c’était le lieu même, le mas de Carles, qui faisait autorité pour tous ! 17
(Voir « Administrateurs », « Coopération », « Personne ressource », « Ruches »)   Autre. « Nous sommes malades, nous sommes empoisonnés, nous sommes écœurés au point de renoncer à penser l’autre qui vient et au point de réduire l’autre à une sorte de plaie sociale ou un embarras économique. » 30 A la fois différent et proche 31. Celui qui vient illustrer l’absurdité de la haine en même temps qu’il fait de l’ombre à ma propre existence. Comment penser l’autre en dehors de moi ? C’est le rapport asymétrique que signalait Lévinas : je ne                                                         
  • Fénelon, Les aventures de Télémaque III (1699).
  • Frédéric Boyer, Quelle terreur en nous ne veut pas finir ?O.L., 2015, p. 85-86.
  • Relire Ryszard Kapuscinski, Cet Autre, Plon – Feux croisés, 2009 : « Le dialogue avec les Autres n’a jamais été et ne sera jamais facile… puisque le langage structure la pensée et que nous parlons des langues différentes, nous créons chacun pour soi une image du monde différente de celle des autres. Ces images ne coïncident pas les unes avec les autres, elles ne sont pas interchangeables… » (p. 49).
peux pas exiger de l’autre ce que je suis prêt à lui donner de moi-même, ni exiger pour moi le moindre retour de ma propre attitude pour lui. Exigence infinie de distance en même temps que de proximité. Faisons savant : selon ce qu’en dit Emmanuel Lévinas, le désir de l’autre n’est satisfait que dans la mesure où il ne l’est pas. Le désir d’un verre d’eau, quand je veux me désaltérer, d’une nourriture quand je veux me rassasier, est un désir de jouissance et dont la fin est l’assouvissement par absorption de l’eau ou de la nourriture. Le désir, qui a pour objet Autrui (ou l’Infini), ne peut être “satisfait” qu’en ne se clôturant pas par un assouvissement qui livrerait l’autre à mes pouvoirs, comme l’objet convoité dans la faim ou dans la soif (ce désir peut être la bonté, le dévouement ou autre, etc.) : « D’ici là / d’un instant à l’autre / nous nous rejoindrons. / Chacun en avant de soi / s’étend de ce qu’il ouvre / s’accroît de ce qu’il donne. » [25] Invitation (outre à lire quelques pages de Levinas [26] pour celles et ceux qui en auraient envie) à regarder au plus près nos modes de relation, qui que nous soyions. Retour au poète : « …la vie naît quand s’animent les contraires, mais l’on ne naît à la vraie vie que le jour où les contraires n’apparaissent plus contradictoires. » [27] (Voir aussi « Fraternel », « Hospitalité »)   Autrement.
C’est le rappel de notre objectif : celui de l’homme au centre. L’homme tel qu’il est, précaire, soumis aux diktats des inclus et de leur gestion du monde et des affaires ; soumis à la peur entretenue par les moins partageurs. L’homme tel qu’il est avec l’élan de notre espérance et de notre volonté de le rendre à ses capacités, ses possibilités d’être, sous la forme qui le lui permettra le mieux. « C’est le rappel de nôtre rôle : celui de témoin d’une société qui ne va pas bien et qui réduit de plus en plus la part du pauvre ; celui d’être témoin d’une autre manière de vivre (où l’on partage un capital commun) et de permettre à celles et ceux qui nous fréquentent de pouvoir changer de regard sur la réalité de notre monde et des hommes qui vivent ici une aventure peu banale, administrant du haut de leurs (supposées) limites une ferme qui produit du haut de gamme. » [28] Vivre et être autrement entre nous. Le goût d’une révolution à opérer. Toujours et encore : 18
« Carles n’est pas simplement à Carles, mais dans nos têtes comme une volonté de changer quelque chose à une vie cabossée », affirmait un ancien résident. (Voir aussi « Société », « Solidarité », « Soutenir »)   Avant. Pour dire : c’était mieux avant ? Ou l’occasion de se redire d’où l’on vient pour mieux mesurer où l’on veut aller ? Ou le contraire de « maintenant » ? Ou le temps propice à l’interrogation face à l’inconnu de ce qui me vient maintenant ? Face à un avant fermement posé devant nous, « accepter de ne pas savoir tout à fait qui l’on est et devenir ce que l’on est sans s’agripper à l’illusion que l’on a de soi. Par là (peut s’opérer) une réconciliation avec son être profond, même si cela passe par une perte de ce que l’on croit être soi… Le plus remarquable c’est que le fruit d’une telle expérience nous rend plus accueillants à autrui. » [29] Une invitation à accueillir une réalité qui nous échappe quelque peu, tant aujourd’hui « la vie sort des mots inventés pour la contenir » (Jean Viard). (Voir aussi « Avenir », « Métamorphose », « Passé »)   Avenir. Vouloir plier (réduire) l’histoire (des personnes et des lieux) aux idées que nous nous en faisons, c’est insulter l’avenir et les « advenants ». C’est tyrannie pour les uns, servitude pour les autres. « L’avenir suppose que tout n’est pas déjà écrit dans le passé, soit sous la figure de la gloire, soit sous la figure de la plainte. » (Michel Fossel, philosophe)
Ainsi chaque citoyen doit pouvoir être coproducteur du futur. Réduire l’avenir à la médiocrité de nos ambitions ordinaires et de nos organisations, c’est le nier. Et nier l’histoire de celles et de ceux qui ont fait l’histoire du lieu. Parce qu’ils y ont introduit l’improbable de l’amour, de ses élans et de ses réalisations. Voilà sans doute le vrai lieu de notre vie, celui de notre combat, notre incertitude et notre force. Retour au poète : « Le souci de la tourterelle c’est le premier 19
pas du jour rompant ce que la nuit lie. » [30] Chanter avec d’autres « Il était une fois l’avenir », c’est changer de regard certes, mais aussi rendre perceptible et visible cette énergie, que nous portons en nous, pour conjuguer le réel et l’imaginaire individuels avec une réalité et un imaginaire collectifs 38. Utile de se redire que ce qui est vrai d’hier l’est également pour maintenant. Ce qui advient s’écrit avec les mots et les vies d’aujourd’hui : celles et ceux des résidents, des salariés, des bénévoles… Ces vies et ces mots continuent à ouvrir (ou à fermer) l’avenir : rien n’est joué ! (Voir aussi « Evolution », « Impatience », « Lieu à vivre »,  « Projet », « Résister », « Sens »)   B     Barbe. « Ah ! La barbe ! » Expression partagée par tous pour dire la maladresse, la fatigue, l’agacement devant une contradiction ou un voisinage mal supporté. Elle raconte aussi cette étrange manie qui transforme le visage de mon voisin. Rasé de près pour montrer un désir de gagner une image positive de soi-même (a-t-on jamais vu un banquier mal rasé ?). Tour à tour « toundra » mal entretenue pour plaire au siècle ou manifester l’indifférence ou le refus de ce qui nous entoure, ou encore volonté de « s’habiller », d’embellir ou de changer de visage. Baromètre du corps et de son être au monde, pour tel autre, elle s’apparente à une volonté de sociabilité. Elle peut tout cacher… sauf les yeux qui sont le miroir de l’âme. (Voir aussi « Fragilités », « Humain », « Liberté »)   Beau.
Tout le monde il est beau… tout le monde il n’est pas pour autant gentil ! Sans qu’il y ait nécessairement faute ou perversion cachée. C’est ainsi. Et pour tous. C’est le B.A. BA de notre capacité à « discerner ». « Au fond vois-tu, il n’y a pas tellement d’hommes méchants ; il y a 20
des hommes qui portent en eux une plaie profonde où il fait nuit noire. La honte et la peur font le reste. » [31] Invitation quotidienne à « résister à l’illusion que le beau puisse exister sans le sens », disait Bernard Foccroulle [32]. Invitation et veille permanentes. Mais, beau quand même. Ici on ne va pas forcément très vite, on ne fait pas forcément beaucoup. Mais on tente de faire juste (le vrai geste) et beau (ou bon selon les cas). C’est notre manière à nous d’exister, de donner sens aux gestes que nous faisons ou que nous nous proposons de faire ensemble. Pour autant, le beau n’est pas uniquement notre création. Il nous est offert par le site luimême. Préserver la beauté de cet espace naturel, offrir des constructions qui y contribuent sont un des atouts de l’accueil au mas. Habiter dans le beau embellit ceux qui y demeurent : « J’étais à la rue. Un jour on m’a proposé de venir au Mas. Quand j’ai vu la beauté que c’était, je n’ai pas résisté », rapporte un accueilli, tout en soulignant que cela était passé par le renoncement à ses chiens [33]. Alors envers et contre tout, « tout faire pour que [les] hommes échappent à la double humiliation de la misère et de la laideur », écrivait Albert Camus 42 : ce sera aussi notre volonté ! (Voir aussi « Construire », « Illusion », « Sens »)   Bénévoles. Résident, salarié, bénévole : trois modes de présence au Mas. Les bénévoles apportent leur part volontaire et gratuite au fonctionnement du lieu, assurant au jour le jour un certain nombre de tâches (secrétariat, cuisine, veilles, ventes, pain, ménage, etc.). Actuellement, une soixantaine de personnes répondent à cette invitation. Tous les deux mois, une rencontre rassemble celles et ceux qui le peuvent pour faire le point des actions menées et prendre le temps de réfléchir au sens d’une présence de ce type dans une association. Une charte du bénévolat au Mas a été rédigée par l’ensemble des bénévoles de la maison (en 2005, revue et réécrite en 2012, à nouveau visitée et validée par le C.A. en 2017) : « Le volontaire qui vient à Carles donner un peu de son temps et de son énergie va découvrir progressivement le « trésor » légué par Joseph. La découverte de ce trésor est une chance à ne pas manquer : vivre de multiples petits « riens » essentiels, mots et gestes de solidarité, écoute, respect, attention à l’autre. Le partage de ces richesses mutuelles place l’homme au centre de nos existences. La démarche des bénévoles s’inscrit dans le cadre d’un contrat de
compagnonnage. » Cette charte est désormais proposée à la signature de chacun(e). Le conseil d’administration a désigné en son sein une administratrice responsable du bénévolat. Bien sûr, nous éviterons de croire qu’elle est chargée d’exaucer tous nos désirs et de réguler tous nos manques. Elle a en charge d’inviter principalement les bénévoles à ne pas entrer dans la relation éducative, qui est l’entrée propre des salariés. Non parce qu’elles ne seraient pas compétentes (pour certaines, en tout cas) mais parce qu’elles ignorent généralement tout du chemin parcouru et des actions en cours menées par l’équipe des salariés. Une manière d’éviter des déflagrations dont le traitement resterait ensuite à la charge de l’équipe éducative. Reste que, dans une association qui ne s’est pourvu que tardivement de salariés (principalement après la mort de Joseph, sauf l’exception de Rémy Bertaud), la place du bénévolat a semblé se réduire, alors qu’elle était le cœur de l’action (et des financements) aux côtés de Joseph. Cela ne va pas sans interroger leur place actuelle et la difficulté de répondre avec justesse à cette interrogation. On sait que l’administration n’est pas prête à soutenir ce genre de fonctionnement, mais en même temps qu’elle exige un fort bénévolat pour justifier l’appellation associative. Un autre aspect à soulever : la difficulté que beaucoup ont à se mettre dans une réflexion sur les enjeux : comme si « faire » (mais pas n’importe où : peut de bénévoles sont dans le cycle de la production) était plus immédiat. Il y a pourtant tout un espace à développer autour du lien à l’autre, au pauvre, au-delà de mes préoccupations de « riche ». 21
(Voir aussi « Association », « Impatience », « Questions »)   Bidouiller. « Faire fonctionner de manière ingénieuse, arranger quelque chose en bricolant », dit le Petit Robert (2011). Un mot peu respectable pour nos organisations si bien pesées à l’aune de l’efficacité et du management. Mais un mot qui nous convient relativement bien, suggérant qu’il s’agit de faire fonctionner ce qui, au premier regard, paraît condamné à l’échec. Aujourd’hui : faire tenir ensemble une quarantaine de vies abimées ; confier à la gestion bénévole une propriété et lui faire retrouver une part de sa dimension agricole. Hier : faire revivre des murs abimés par le temps ou offrir des commodités aux premiers occupants des lieux ; venir en toute hâte réparer le moteur récalcitrant qui permettait d’amener l’eau dans la maison ; donner à quelques-uns des accueillis la possibilité de monter un chauffage central qui fonctionne encore aujourd’hui… Georges et Josette (Lambert), Roger (Rochas), Georges et Claude le plombier, Georges Carabajal le maçon et quelques autres ont ici leur place et se reconnaîtraient sans doute là, parmi quelques autres « bidouilleurs » fameux. Bidouiller encore : à cette époque il n’y avait aucune aide extérieure. Alors pour financer les dépenses (de nourriture et de matériel) quelques familles mettent chaque mois la main à la poche pour faire caisse commune avec Joseph et permettre à tous de manger. Quelque chose qui ressemble à la prédiction d’Einstein : « La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : rien ne fonctionne… et personne ne sait
pourquoi ! » La conclusion en moins on vous dit. On dit encore, autour de nous, qu’il fallait être fou pour démarrer comme cela. C’était sans doute le cas. Et c’est ce que nous tentons de préserver au Mas : oser encore ce petit peu de folie pour continuer à « bidouiller » réponses adaptées et choix de vie commune. Comme un acte de foi : « Quand le rabbi Baal Chem Tov 22
sentait qu’un malheur se tramait contre le peuple, il allait se recueillir à un certain endroit de la forêt. Là, il allumait un feu, récitait une prière et le miracle s’accomplissait, révoquant le malheur. Plus tard, lorsque son disciple le Maguid de Mézeritch devait intervenir auprès du ciel pour les mêmes raisons, il se rendait au même endroit de la forêt et disait : « Maître de l’univers, je ne sais pas comment allumer le feu, mais je suis encore capable de réciter la prière. » Et le miracle s’accomplissait. Plus tard, le rabbi Moché Leilb de Sassav allait lui aussi dans la forêt et disait : « Je ne sais pas comment allumer le feu, je ne connais pas la prière, mais je peux situer l’endroit et cela devrait suffire. » Et cela suffisait encore, et le miracle s’accomplissait. Puis ce fut le tour de rabbi Israël de Rizhin d’écarter la menace. Assis dans son fauteuil, il prenait sa tête entre ses mains et parlait à Dieu : « Je suis incapable d’allumer le feu, je ne connais pas la prière, je ne peux même pas retrouver l’endroit dans la forêt. Tout ce que je sais faire, c’est raconter l’histoire. » Et le miracle s’accomplissait. » [34] (Voir aussi « Fragilités », « Humain », « Utopie »)   Bien commun. On parle du climat, de l’eau, de l’air comme d’un « bien commun » de l’humanité. De même, chaque groupe se définit un « capital commun », inaliénable pour les membres du groupe. C’est ainsi que les résidents ont proposé ce qui leur apparaissait tel dans un texte sculpté à l’entrée de la maison : c’est le « testament des résidents ». Avec ce mot, il s’agit d’une autre manière de dire ce que nous voulons partager ou avoir en partage ensemble au mas de Carles : la vie commune comme soutien aux faiblesses de corps et d’esprit et catalyseur de vie ; le respect de l’autre, de ses biens, de son repos et de ses rythmes, le respect de la maison ; les activités proposées comme autant d’occasion de manifester ses compétences et d’en acquérir de nouvelles ; la santé et nos luttes pour la conserver et ne plus en abuser ; les moyens d’information sur l’extérieur… Une manière aussi de ne pas s’approprier indûment ce que je dois à d’autres : accueil, habitation, accompagnement, fruits de l’activité… Au fond ne s’agirait-il pas de l’acceptation de règles du jeu qui permettent à chacun de vivre et à tous de vivre ensemble harmonieusement, hors de toute dette réciproque, dans l’accueil de la vie offerte sur place par l’organisation, le travail de celles et ceux qui nous ont précédé sur le lieu, ce que nous en avons fait ? De la même manière, « Carles n’est pas un lieu public, dans la mesure où il n’appartient pas à une institution, ni à l’administration. Mais c’est un lieu collectif, de propriété collective et qui n’appartient pas aux gens que vous êtes là. Cela appartient au collectif, à la société. Ce n’est pas un lieu privé, dans ce sens-là ; vous ne pouvez pas le vendre et vous partager l’argent du mas de Carles. De par la loi, si le mas de Carles disparaît, ce bien-là doit être donné à une autre association. Donc, c’est un bien collectif. » [35] Un bien commun à faire vivre pour pouvoir être « communiqué » !
(Voir aussi « Capital commun », « Dignité », « Testament »)   23
Bienveillance. On parle plus souvent de son inverse, de « tout acte ou omission qui porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d’une autre personne, ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière. » (Conseil de l’Europe, 1987). L’agence nationale de l’évaluation et de la qualité (ANESM) signale que « la logique institutionnelle et l’éloignement de la vie ordinaire peuvent faciliter les rapports de domination, voire de violence, entre ceux qui sont en « capacité de maîtriser la situation et ceux qui sont en situation de dépendance ». « La bienveillance est sur le chemin du devoir », récite Mencius, quatre siècles avant JésusChrist. Plutôt que d’accumuler conseils et consignes, garder au cœur le souci de la sollicitude pour chacun. A l’inverse, « dès que l’on réduit l’autre à un thème, on le blesse humainement, on le maltraite », résumait un psychiatre soucieux de pédagogie. On peut à cette occasion noter les propos préventifs de Thibault Le Textier : « Au départ, le verbe « manager » signifiait « prendre soin, s’occuper de » : il s’agissait d’aider un être dépendant –un enfant, un malade, un vieillard, un malade, un animal de ferme…- à rétablir un équilibre naturel ou à se développer harmonieusement. Avec le taylorisme, c’est fini : le manager ne prend plus soin des managés. Le patron n’est pas là pour faire la charité, il est là pour faire tourner la boîte. S’il se préoccupe de la santé de ses employés, c’est uniquement pour les rendre plus dociles et plus productifs… » [36] A nous d’être attentifs aux enjeux de notre présence à l’autre et pour ne pas confondre le fonctionnement de nos « lieux » avec celui des entreprises, auquel nous sommes pourtant souvent invités ! (Voir aussi « Citoyenneté », « Coopération », « Ethique », « Violence »)   Bio.
Bio. C’est d’abord un label : le label bio (il y en a plusieurs). Indication d’une manière de cultiver et de produire hors produits nocifs. Une façon de choisir la vie quand la mort, par pesticides, menace tout autour de nous terre, abeilles et hommes au même rang. Une méthode de production qui exclut « le recours aux produits chimiques de synthèse, les organismes génétiquement modifiés, et l’irradiation. Elle a pour objectif de mieux respecter le vivant et l’environnement, de favoriser la biodiversité, les activités biologiques des sols et les cycles biologiques. 46 Une certaine lenteur, déjà, pour les plantes comme pour les hommes. C’est le choix d’un modèle de culture (nourrir, équilibrer les plantations entre elles, soigner la terre avant de l’exploiter) pour donner sens à notre rapport à l’autre, pour nous inviter à entrer dans une « écologie » humaine : respecter la vie autre que la mienne, penser soin de l’autre avant de vouloir exploiter sa présence, protéger avant d’épuiser… Une autre manière de vivre. Les pratiques utilisées au Mas peuvent en fait être qualifiées d’agro-écologiques, car elles vont un peu plus loin dans le respect de l’environnement et la gestion écologique de l’espace cultivé (gestion de l’eau, respect de la faune et de la flore, risque d’érosion…) que la simple norme agriculture biologique AB, laquelle n’interdit pas certaines pratiques conventionnelles (intensification, terre dénudée, mécanisation, faible biodiversité…). 24
(Voir aussi « Accompagner », « Chèvres », « Jardinier », « Maraîchage », « Métamorphose »)   Boire. Une des réalités de fond de la vie au Mas. A l’étonnement de quelques-uns. A l’insu d’autres. Toujours une question qui ouvre sur notre capacité à accorder de la crédibilité à la parole qui se prononce alors… souvent clarifiante ; qui ouvre sur la l’impossibilité d’envisager un quelconque avenir tant que nous tient cette obsession de boire ; qui devrait nous alerter : un buveur peut-il être autre chose qu’un buveur ? Un homme en détresse, par exemple ? « Boire » pour mieux « voir » sa vie ? Pour vaincre peurs et inconnus d’une situation dont on n’est plus maître ? Qui engage un au-delà de nous dont nous ne savons rien, qu’aucune parole connue (y compris boire) ne peut résumer ou rassurer ? Mais nous savons tous que boire enferme dans un monde irréel où l’autre devient vite un obstacle pour la promotion de ce que je considère comme ma propre vie. Boire me rend fort au détriment de l’autre ! Boire pour échapper à l’image dévalorisante que l’on peut avoir de soi où la question de l’estime de soi est confondue avec la capacité à développer la confiance en soi : ce qui ne se ressemble pas forcément. Au-delà et en deçà de la convivialité, boire comme une excuse, une manière de se défausser de (la réalité de) la vie. Contrairement aux dictons qui circulent, il est rare que boire noie les soucis : « Plus on boit, plus on a soif », signale sobrement Ovide au début de notre ère. Mauvais présage d’avenir. (Voir aussi « Addictions », « Soif »)   Bonjour. Chaque matin, chez nous la vie commence par un bonjour. C’est une tradition. Quel qu’ait été le jour d’avant. C’est notre manière, chaque jour renouvelée, d’habiter notre maison. C’est notre façon de nous situer personnellement devant l’autre et de nous accueillir mutuellement. Etre un « je » devant ce « tu » ! Pas une option. Une volonté. Et ce n’est pas simple. Parce que le jour d’avant n’a pas toujours été apaisé. Parce que se serrer la main chaque matin n’est pas forcément dans la culture de la rue, des lieux d’où ils viennent. Et certains s’autorisent à refuser d’accomplir ce geste pour l’autre (ou certains autres). Difficile, parce qu’il s’agit alors d’une mise en cause publique, d’un refus officiel et stigmatisant de relation. Se redire qu’il
s’agit d’une nécessité : « L’ouverture à un ‘ tu ‘ capable de connaître, d’aimer et de dialoguer continue d’être la grande noblesse de la personne humaine. C’est pourquoi pour une relation convenable avec le monde créé, il n’est pas nécessaire d’affaiblir la dimension sociale de l’être humain ni sa dimension transcendante, son ouverture au ‘ Tu ‘ divin. » 47 25
Au cours d’une séance de l’atelier d’écriture, les participants ont pu entendre dire par des résidents : « C’est marrant ! Nous on écrit en « je » et vous avec des grandes idées ! » Dire « je » au sein du mas n’a donc pas de caractère d’évidence. Bonjour est notre premier mot en « je ». Et certains jours, rien de facile au point de vouloir nous faire différer cet instant. A la suite de la philosophe et académicienne Barbara Cassin, il faut peut-être nous souvenir que ce « bonjour » est porteur de sens multiples, qui participent tous à notre bienveillance pour l’autre : « En français, on dit « bonjour ». En hébreu et en arabe, ce sera shalom/salam, pour souhaiter la paix. En grec ancien, kairé, qui veut dire « réjouis-toi ». En latin, vale, « portetoi bien ». » 48 Cela vaut bien que nous prenions la peine de nous saluer le matin, non ? (Voir aussi « Bienveillance », « Vivre ensemble »)   Bonheur. C’est la « visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes », écrivait Paul Ricœur 49. Le bonheur comme souverain bien et non « comme addition de désirs saturés », ce que notre philosophe nomme plaisir, « perfection finie… précaire, périssable ». Sans pour autant formuler le moindre jugement moral.                                                         
  • Pape François, Lettre encyclique Laudato si’, 119.
  • Barbara Cassin, dans une interview donnée à L’Obs (2799) du 28.06.2018, Ciel ! Une sophiste à l’Académie. 49 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre.
Sinon, possibilité d’illusion : la recherche effrénée d’un bonheur individuel réduite à la possession de tout ce qui se peut amasser peut être le lieu d’un grand enfermement, l’espace du refus de l’autre : « Je voudrais parler à ceux qui sont dans le bonheur, dans la suffisance peut-être, qui est la plus effrayante des erreurs… A ceux-là qui détiennent les pouvoirs… la sécurité, parce qu’ils ont la culture, la fortune, les relations… je voudrais leur dire : ouvrez les yeux… Toutes vos cultures sont fausses, maudites, parce qu’elles ne vous enseignent comme valeur que les réussites humaines… (quand) trois hommes sur quatre sur terre n’ont pas pu manger aujourd’hui même, le minimum nécessaire pour pouvoir devenir normalement adulte. » (Abbé Pierre, avril 1955). Ainsi, plus qu’accumulation, « chaque être humain, dans la condition qui est la sienne aujourd’hui, doit pouvoir faire l’expérience qu’il est source de jubilation pour d’autres. » [37] Il est vrai que ce bonheur-là est moins valorisé en réalité, même si les mots pour le dire sont souvent prononcés. Bonheur est donc plus une « mission » : bonheur n’est pas plaisir assouvi. (Voir aussi « Illusion », « Joie »)   26 C     Capacité physique (et handicap). C’est vrai que le Mas n’est pas forcément accessible en tous ses lieux à tous. Mais c’est notre défi quotidien quand cela se présente : permettre à chacun de pouvoir « vivre » dans ce lieu. Définir un homme par sa pauvreté, ses limites physiques, plutôt que par sa capacité à produire, à innover, à proposer… est-ce encore le nommer ? Aux dires de Paul Ricœur, c’est bien « l’analyse des capacités » qui « constitue un légitime enrichissement de la notion de
reconnaissance de soi » et de l’autre. [38]  Tout en faisant en sorte d’inclure au maximum, nous savons que tout n’est pas accessible à tous, à Carles pas plus qu’ailleurs. Il n’empêche que parfois, le handicap n’est pas rédhibitoire : Serge, Didier, Gaël et d’autres ont fini par trouver une place et une activité à leur mesure : s’attribuer une compétence est le cœur de la réussite de chacun. La reconnaissance de cette compétence par d’autres donne à « cette certitude personnelle un statut social » (Paul Ricœur). De l’homme faillible à l’homme capable, chacun a besoin de chacun pour grandir dans son humanité, dans les quatre grandes thématiques proposées par notre philosophe : parler, agir, raconter, être responsable. Carles peut devenir un de ces lieux où chacun est invité à s’adapter à la capacité physique et psychique de l’autre. Un lieu de progrès, pas de substitution à l’incapacité des autres. 27
(Voir aussi « Charte des lieux à vivre », « Regard », « Résister »)   Caravane. Viendrait peut-être du mot « chameau » (en sanscrit : « karabha »). Pour dire le désert à traverser, l’oasis à trouver et ce qui l’accompagne : fruits, fraîcheur, courage, repos… A Carles (contrairement à beaucoup d’autres lieux) la caravane (ou le mobil-home) est une manière de loger pour celles et ceux qui souhaitent les bénéfices d’une communauté de vie sans pour autant pouvoir (encore) en accepter encore toutes les contraintes. C’est un des choix opérés par les « lieux à vivre », validé par la Direction Départementale de l’Action Sanitaire et sociale d’alors (aujourd’hui on dit « Direction Départementale de la Cohésion Sociale ») : « Le lieu à vivre offre : un mode d’accueil qui privilégie la communauté de vie ; un accueil en première intention adapté au rythme de la personne et à son image ; un hébergement non traditionnel qui peut comprendre des structures légères –camping, caravaning- ; une durée d’accueil non fixée à priori ; un accueil sans exigence à priori de projet d’insertion ; la promotion de la citoyenneté par des pratiques d’entraide et de solidarité, par l’ouverture aux droits sociaux et l’inscription dans le droit commun. »52 Une bonne manière (de notre point de vue) d’envisager la vie en collectivité. (Voir aussi « Accueillir », « Errance », « Lieu à vivre »)   Carles 2025. « Puisque le pire n’est pas toujours sûr, on doit penser que le meilleur est toujours possible. »
(Maurice Bellet) C’est notre joie d’avoir « tenu » jusque-là ! Et de pouvoir nous dire que l’aventure vécue dans les traces de Joseph Persat, le fondateur, a encore un avenir, au point de pouvoir nous demander : à quoi ressemblera Carles en 2025 ? Question ordinaire. Car prendre de l’âge est aussi faire le constat que si les hommes vieillissent, les institutions aussi. Rien que de très naturel ! Mais peut-on soumettre l’avenir de notre association, de celles et de ceux qui l’habitent et lui donnent souffle et dynamisme, au risque supplémentaire de notre vieillissement, à l’aléatoire de nos fragilités physiques, de nos replis idéologiques ou de la paresse de nos imaginations pour assurer un avenir à nos entreprises ? Comment insuffler à nos actions ce qui leur est nécessaire pour permettre, à l’intérieur comme à l’extérieur du Mas, la capacité à offrir à tous les chemins d’une « vie bonne » : à l’intérieur, pour permettre un espace de vie autre où l’on peut respirer, se ressourcer et se donner les moyens de vivre ; à l’extérieur, pour « affirmer que la vulnérabilité est ce qui rend possible la responsabilité… car ma dépendance à l’égard d’autrui et le fait que d’autres dépendent de moi sont nécessaires pour vivre et pour vivre bien. » (Judith Butler) Nous interroger, donc, pour sortir de la tentation de transformer nos modes de présence en simple gagne-pain, en petite gloire narcissique ou en cache misère de vies éprouvées. Nous interroger et laisser venir (avec le rappel de notre origine) ce que les souvenirs peuvent parfois avoir caché (gâché) d’avenir. Et nous rappeler que « pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible », comme le disait Antoine de Saint Exupéry. Comment avancer tout en n’oubliant pas de « garder le chemin qu’on a fait pour y arriver » (Thomas Coville, recordman du tour du monde à la voile, 2016). 28
(Voir aussi « Histoire »)   Certitudes. Nul ne peut vivre sans entretenir, au fond de lui, une petite certitude. Ne serait-ce que celle de sa supériorité sur tous ce(ux) qui l’entoure(nt). Dans le même temps, rien de pire que trop de certitudes, qu’une certitude qui finit par exclure toute forme de vraie rencontre : l’enfermement de soi et des autres n’est jamais loin. Tyrannie (familiale ou plus large) ou dictature en sont les marqueurs principaux. Pour ne rien dire d’autres formes de perversions narcissiques. Entre les deux l’incertitude nourricière dont toute vie se nourrit. Cette vérité des autres et de nous-mêmes dont Marie Noël (poétesse, 1883-1967) pouvait dire : « Il me semble qu’une vérité est d’autant plus vraie qu’elle est plus vivante, qu’elle bouge, évolue, porte à chaque saison des fruits nouveaux ; qu’elle est d’autant plus divine qu’elle nous fuit sous une apparence pour réapparaître un peu plus loin sous un autre rayon, d’autant plus éternelle qu’elle reste à jamais inachevée en nous, finis, et change à nos yeux avec l’heure du jour, l’âge de l’homme, le pas des siècles. » [39] Aucune certitude ne tient devant la vie. Sauf à nous momifier dans une pratique, une manière d’être. Cet apprentissage est un de ceux auxquels les habitants de Carles sont régulièrement soumis, au nom d’une seule certitude : être vivant, c’est accepter d’avancer, renoncer, s’envisager autrement que comme simple répétition craintive, peureuse. La force de la vie est quelque part par là. (Voir aussi « Autre », « Homme », « Illusion », « Vérité »)   Charité. Ni naïve, ni simplement compassionnelle, la charité appelle à un surcroit d’intelligence créatrice et d’engagement social et politique. C’est pour cela que saint Vincent de Paul (15761660) disait d’elle : « La charité est par-dessus toutes les règles et il faut que toutes se rapportent à celle-là. C’est une grande dame. Il faut faire ce qu’elle commande. » [40] Et Maurice Bellet en rajoute une couche quand il raconte : « A la fin de son roman Les fiancés, Manzoni raconte que le seigneur d’une ville offre à deux pauvres paysans leur repas de noces. Il pousse la charité chrétienne jusqu’à les servir à table. Ensuite, il va déjeuner. Pourquoi ne déjeune-til pas avec eux ? Il avait assez de charité, dit Manzoni, pour se mettre au-dessous de ces genslà, mais tout même pas à leur niveau. » [41] Être côte à côte ou ensemble : la question est toujours à nouveau posée pour chacun de nous. Témoin encore cette parole d’un Père du
désert : « Un jour qu’abba Arsène interrogeait sur ses propres pensées un vieillard égyptien, un autre qui le voyait dit : « Abba Arsène, comment toi qui connais tant l’éducation romaine et grecque, interroges-tu ce paysan sur tes pensées ? » Il lui dit : « Je connais l’éducation romaine et grecque, mais je n’ai pas encore appris l’alphabet de ce paysan. » [42]  Retour à Sulivan : « Il n’est de charité, au plein sens du mot, que lorsqu’il y a égalité : c’est-à-dire la même intime pauvreté chez celui qui donne et celui qui reçoit. La charité est ce qui en nous libère l’autre de ce qui le ramène à nous. » [43] 29
(Voir aussi « Compagnonnage »)   Charte des lieux à vivre.
Pour l’homme. Le respect des personnes est l’essentiel de nos pratiques et de nos propositions. Nous affirmons que chacun a un avenir et doit pouvoir sortir de la spirale des contraintes imposées par la misère pour accéder au projet et au choix. Agir. Chaque habitant est appelé selon ses talents à participer, à construire « le bien-être collectif ». Il se voit offrir la possibilité d’exercer des activités de qualité, fondatrices de sa reconstruction physique, mentale, sociale et citoyenne. De telles activités demandent la mise en œuvre de réelles compétences que nous nous engageons à faire reconnaître formellement. Ensemble. Le vivre ensemble est la dimension essentielle des « lieux à vivre », que l’arrivée dans ces structures soit le résultat d’une série d’échec, de perte de repères, de destruction des liens sociaux ; ou l’adhésion à un projet communautaire d’accueil de personnes en difficulté. L’insertion dans une communauté permet de retrouver son identité après une période de survie dans la « jungle » de la rue. Elle est constituée par l’obligation de participer, selon ses moyens, au financement de l’hébergement et de la nourriture et, selon ses capacités, aux activités de la communauté telles que définies par le règlement intérieur. Dans la durée : Le contrat qui lie les associations et les habitants des lieux à vivre et les habitants entre eux, peut-être qualifié de « contrat de compagnonnage ». Pour beaucoup, la reconquête de soi, la réapparition du désir d’une vie faite de liens sociaux et du goût d’une activité impliquent plus qu’une mise en conformité avec les normes sociales. Permettre une reconstruction nécessite du temps et s’inscrit dans les exigences des mesures administratives. Un tel projet n’est pas de nature institutionnelle, mais « un contrat de solidarité fraternelle » dans la durée. Dans la société : Les habitants des « lieux à vivre » sont des citoyens. A ce titre, ils bénéficient d’un statut leur assurant protection et qualité de vie orientées vers le bien-être et la beauté, dans le respect de la dignité de chacun. Ils participent aux responsabilités et aux décisions de la vie commune. Les « lieux à vivre » sont accueillants et ouverts aux débats de société et sont acteurs de la vie locale. 30
(Voir aussi  « Lien », « Lieu à Vivre »)   Chèvres. Renvoi à cette « chèvre d’or » avec « ses yeux malicieux, ses cornes qui luisaient », chimère provençale racontée par Paul Arène, « donnant puissance et bonheur à qui sait l’atteindre… telle est du moins la version des humbles et des poètes » [44]. La recherche de cette chèvre au cœur des pinèdes de Carles, proposée par Joseph aux accueillis les plus remuant, contribua à quelques fameuses excavations sur le terrain… ainsi qu’à la canalisation des humeurs incertaines de quelques-uns des premiers occupants de la maison. Sa légende racontée par l’abbé la mêlait alors au trésor des Templiers ou des Chartreux de Villeneuve. Ce qui ne faisait qu’augmenter l’ardeur à creuser des hommes. Plus tard, c’est le souvenir de Christiane Rochas, concernant d’autres chèvres : « Egalement hébergées au Mas, deux chèvres complètement ‘barjots’ qui faisaient ce qu’elles voulaient et « pillaient régulièrement le potager… du moins ce que l’on appelait ainsi : quatre salades et deux poireaux qui tentaient d’exprimer leur droit à la vie sur un bout de mauvais terrain en contrebas de la vieille maison… Il suffisait que je veuille les sortir pour qu’elles y courent tout droit. De temps en temps, c’était le voisin qui les ramenait, le visage plus ou moins rougi par la colère selon les dégâts occasionnés par ces demoiselles d’un genre particulier et toujours affamées. »[45] Depuis, bien du chemin a été parcouru. Les chèvres de Carles occupent une demi-douzaine de chevriers, occupés à la fabrication des fameux fromage (les pélardons, AOP) devenus la spécialité de la maison. A travers ces chèvres, Carles est devenu un lieu de production reconnu, plutôt qu’un espace peu sûr peuplé d’ombres dangereuses et avinées ! Une vraie conquête sur tous. (Voir « Bio », « Jardinier », « Légumes », « Oliviers »)   Choisir.
Vivre à Carles n’a pas d’évidence. C’est un choix que certains doivent pouvoir faire s’ils en ont l’envie. Et ce choix peut prendre du temps. Cela est vrai des résidents. Mais cela est vrai aussi des bénévoles et des salariés. « Epouser Carles », comme y invitait Joseph Persat, est une des clefs de notre « commune présence » au Mas. Tout en sachant que certains, trop encombrés d’eux-mêmes n’y arriveront jamais. Soutenir que choisir est une nécessité : qui trop étreint mal embrasse, dit le proverbe. Une nécessité, parce que c’est le choix qui fait l’homme et nourrit notre humanité. Chacun, à tout moment, aura à choisir le chemin de son « nourrissement » (comme on dit pour les abeilles) et de la croissance qui vient avec. Vivre à Carles c’est choisir de changer de vie, entrer dans la recherche d’une nouvelle manière de vivre : où chacun a sa place qui n’est pas celle de « l’autre » ; où l’autre n’est pas un ennemi ; où l’on peut apprendre à parler et à échanger nos manières d’être et de comprendre, sans croire que les autres ont tort s’ils ne pensent pas comme moi ; sans croire que la violence résout tout. C’est notre choix à Carles de favoriser ce genre de rapports entre les membres de la communauté. Mais choisir sonne aussi encore comme un avertissement : celui de nous interdire de choisir parmi les résidents, comme les enfants choisissent le meilleur fruit dans un panier, laissant le reste aux autres… Pour éviter que Carles ne soit qu’un rebut à pauvres et non le lieu de leur reconstruction patiente, que seul le temps et le refus de l’individualisme (largement prôné par notre postmodernité) peuvent opérer et nourrir. 31
(Voir aussi « Compagnonnage », « Coopération », « Habiter », « Vivre ensemble »)   Citoyenneté. Historiquement, un citoyen est l’homme qui, membre d’une cité, dispose du droit de vote et participe aux décisions de la cité. Etre citoyen est une manière de nous rappeler à nos devoirs envers les autres. Plus tard, ce fut le titre de noblesse que la Révolution accolait à chaque nom, à défaut de prince, comte et autre marquis. A rebours des sujets du roi, le citoyen désigne un homme et tout homme hors hiérarchie. C’est le rappel de notre égalité fondamentale entre tous. Ce que l’on nomme citoyenneté, n’est-ce pas pour nous l’invitation à devenir membre actif d’une société qui n’attend que nous pour se construire dans le respect de tous et la volonté de ne laisser personne sur les bas-côtés de nos chemins de vie ? Une bonne occasion de nous redire que, comme partout, c’est en délibérant que l’on devient citoyen (Dominique Rousseau), échappant ainsi aux dangers des gourous et autres populistes souvent beaucoup plus affirmatifs ! C’est bien ce que nous tentons d’apprendre peu à peu au mas de Carles à travers nos lieux d’échanges et de débats : réunions du vendredi, les « dialogues de Carles », les Rencontres Joseph Persat… dont sont nés quelques fascicules régulièrement revisités pour le bien-être de notre vie commune. (Voir aussi « Participation », « Repères », « Soutenir »)   Clairvoyance. « Que faire d’autre, sinon se fier à son étoile et continuer avec entêtement la marche aveugle,
hésitante… », demandait Albert Camus [46].   Une manière de regarder, une manière de se poser au milieu des autres, une manière de n’être pas plus dupe qu’il ne convient. Cette capacité de voir clair est finalement peut-être le lieu de notre responsabilité pleine et entière. Reconnaître l’homme derrière les défauts de l’existence et repérer les défauts derrière les bonnes manières trop affichées. Débusquer, apprendre à débusquer ce que les attitudes agressives, d’assurance ou de sentiment de supériorité peuvent cacher de vraies fragilités, de rancœurs non digérées, de traces insupportables de violences et de mépris passés. Pour mieux tenter de désamorcer les tentations qui les accompagnent (prise d’alcool et produits divers, refuge dans les médicaments, addictions aux jeux, etc.). 32
(Voir aussi « Hôpital », « Illusion », « Médicaments », « Responsable »)   Clef. Petit objet qui nous laisse désemparés quand on n’est pas attentif à l’endroit où on le pose, mais qui nous rend grand service pour rejoindre nos lieux de travail, protégés ainsi de quelques mains sans scrupules. Une des clefs qui ouvrent notre présence ici s’appelle : « Epouser Carles » (selon le mot de Joseph). Cela décrit le type d’engagement proposé. Et Carles peut devenir la clef qui nous ouvre à nous-mêmes, nous libérant de ces portes que nous nous sommes, volontairement ou non, claquées à la figure. Une fois que les portes sont ouvertes, encore faut-il être d’accord pour faire les pas nécessaires vers l’intérieur… La clé de notre présence au Mas est clairement signifiée dans notre projet associatif : mettre l’homme (l’homme concret, celui qui est là) au centre de nos pratiques. Au centre, malgré tous les autres impératifs (y compris économiques). Cela signifie offrir lieux et temps à tous pour construire ensemble et développer les conditions pratiques d’un mode de vie solidaire, pardelà la réalité d’une société où chacun est dans le seul souci de sa propre promotion. Se laisser tenter par l’élimination sociale des plus vulnérables et des moins chanceux de notre société, n’est sans doute pas le meilleur lieu de reconnaissance de nos forces et de celles des hommes : la pauvreté n’est pas un obstacle à notre vivre ensemble. Les plus pauvres ont quelque chose à nous apprendre, ne serait-ce qu’une forme de détachement des faux semblants de ce qui nous réduit à n’être que des consommateurs. Encore que ! Les membres de l’association sont invités à permettre (autant qu’ils le peuvent) l’émergence et la protection de la parole et de la présence des plus fragiles au Mas, contre les tentations hégémoniques des plus forts (à l’intérieur comme à l’extérieur de la maison). Tout le monde doit pouvoir exister dans « le tremblement de sa singularité humaine » Mais la clef est aussi celle d’une tentation forte et fréquente qui nous habite : celle de transformer un service en clef pour y enfermer une forme de toute puissance ou barrer l’accès de ce service à d’autres. Nous croire tout-puissants parce qu’invités à rendre un service. Transformer ce service en contrainte pour les autres. (Voir aussi « Choisir », « Homme »)   Collectif.
Le mode d’accueil au mas de Carles privilégie clairement le collectif comme mode d’insertion. Contre l’usage des principaux intervenants en insertion qui privilégie l’individu et l’individuation des approches, le « lieu à vivre » privilégie le groupe : c’est le collectif qui accueille et propose l’intégration en son sein comme mode d’insertion des personnes. Cette notion de « collectif » comme matrice et point d’organisation de la vie des moins chanceux de notre société irrigue l’ensemble des « lieux à vivre », détermine les modes de vie proposés sur place et invite à la reconnaissance des collectifs plus larges qui portent ces lieux. Comment rendre sa force au collectif, plutôt que de faire endosser à chacun (sans grand espoir de solution) la faute et la responsabilité de sa situation ? [47] Cela passe par l’activité, l’invitation à vivre ensemble à travers repas communs, rencontres de communauté, prise de parole collective, etc. Durant son passage, la vie à Carles est, pour chacun, une vie de collectivité. Vivre avec d’autres, cela a ses avantages (chacun peut le mesurer quand il arrive) et ses contraintes : installations communes, partage des tâches, règles minima à respecter. Accepter un règlement intérieur que l’on n’a pas fait soi-même et le vivre cela permet aussi à tous de pouvoir sortir des règles et des réflexes de leur passé. C’est refuser de faire de son passé la totalité de la vie. C’est ouvrir l’avenir. Beaucoup s’en plaignent régulièrement ou au bout d’un certain temps. C’est normal. Cette vie commune est aussi une des manières de permettre à chacun de partir… ne serait-ce que par lassitude et volonté d’avoir un lieu à soi. Entre les deux, il reste que chacun 33
doit avoir le souci de l’autre. Sinon il n’y a pas de vie ensemble possible [48]. Ainsi, par exemple, tel accueilli après quelques mois ou quelques années d’accompagnement peut passer avec succès l’épreuve de la Validation des Acquis de l’Expérience, ce qui est à la fois une reconnaissance au sein du groupe, la reconnaissance de la société qui préside à la validation (ministère de l’Agriculture ou autre), l’offre d’une compétence supplémentaire proposée au collectif ou l’occasion de quitter le lieu à vivre pour faire sa vie diplôme en poche. (Voir aussi « Charte », « Compagnonnage », « V.A.E. », « Vivre ensemble »)     Combat. Examiner nos pratiques à la lumière des droits de l’homme. C’est l’aspect politique de notre action. Pour que nous ne devenions pas, simplement, l’autre nom de la seconde ou de la troisième vitesse de notre société. François de La Rochefoucauld-Liancourt (1747-1827), duc de son état, conviait sereinement à cet examen, bien avant l’abbé Pierre : « On a toujours pensé à faire la charité aux pauvres et jamais à faire valoir les droits de l’homme pauvre sur la société … La bienfaisance publique n’est pas une vertu compatissante, elle est un devoir, elle est la justice. Là où existe une classe d’homme sans subsistance, là existe une violation des
droits de l’humanité. » A nous d’honorer cette requête et de mener ce combat. Il est vrai que l’affaire n’est pas sans danger si l’on se souvient que La Rochefoucauld fut déchu de toutes ses fonctions en raison de la liberté de ses opinions. [49][50] Nous souhaitons que cesse la comédie qui finit par considérer que la pauvreté et la précarité ne s’énoncent plus comme la conséquence de choix politiques mais comme un simple fait comptable (Catherine Hersberg). Il est loin le temps où un candidat à l’élection présidentielle 34
(2007) osait déclarer : « Si on n’est pas choqué quand quelqu’un n’a plus de toit, c’est tout l’équilibre de la société qui s’en trouvera remis en cause. » Il est vrai que nous ignorions alors qu’il ne s’agissait que d’une promesse électorale ! Nous redire que le geste du Samaritain de l’Evangile n’est pas seulement un acte d’altruisme. Il s’inscrit dans l’espace public comme une rupture avec ce qu’Emmanuel Mounier (fondateur de la revue Esprit) appelait « le désordre établi ». A défaut nous passerions avec bonne conscience de la lutte contre l’exclusion à la gestion sociale de l’exclusion, occultant les « phénomènes dramatiques de l’exclusion derrière les oripeaux d’une gestion sociale douce qui rende les exclus de moins en moins apparents »64… et les structures qui les supportent de plus en plus précaires au regard de ce que certains ne regardent que comme des coûts indus et induits par ces protections. Pour ce qui est du combat de chacun contre ses propres démons… on pourra se reporter ailleurs : addictions, alcool, solitude… (Voir aussi « Risques »)   Commencements. « … Quelques hommes qui tentent d’entretenir un petit carré de maraîchage. Trois chèvres qui se nourrissent des fruits du potager. Joseph qui tente de rentabiliser le tout en fabriquant quelques fromages. Melle Rose qui bat la campagne à la recherche de pignons pour ses fabuleuses tartes ; et sa confiture de citres pleine de pépins et ces premiers hommes qu’elle mène à la baguette, sans peur et protectrice : si bien qu’Edmond redevenait comme un enfant râleur et béat d’admiration devant elle. Les jongleries de Joseph pour trouver de quoi manger et monter la soupe depuis la paroisse de Saint Joseph (avant de sceller trois pierres pour augmenter les murs de son accueil et de redescendre à Avignon). Ces bénévoles qui font tourner la maison à eux seuls, mettant la main à la poche quand il le fallait, au signal donné par Joseph : « Je n’ai plus un sou… » Et cela durera longtemps, avec sa part d’anecdotes et de rencontres et de travail de constructions (à bras d’hommes, pelles et pioches) et de réflexions pour donner forme et stabiliser la maison. Ce n’est qu’en 1988, presque trente ans après sa découverte, que viendra le premier salarié dans la personne de Rémy. Nostalgie ? Contraste, plutôt, parce qu’aujourd’hui « nous sommes plongés à l’autre extrême de notre vie associative ; convoqués à rejoindre une forme de normalité dont la tyrannie administrative semble tirer sa légitimité. » (AG du 28 avril 2011) « On ne sait jamais comment une histoire commence… Je veux dire que lorsqu’une histoire commence… vous ne savez pas, au moment où elle commence, qu’elle commence… Personne
ne peut savoir. C’est seulement à la fin… » [51] Rester vigilants ! Seule certitude : tout ce qui commence a une fin. Même les commencements, qui ne se répètent jamais à l’infini, quand bien même ils posent sur nos actions une lumière particulière. A condition que cela 35
commence. Et nous souvenir : « C’est quand chacun de nous attend que l’autre commence qu’il ne se passe rien. » (Abbé Pierre, 2004). (Voir aussi « Joseph Persat », « Rose », « Testament »)   Communauté. Faire communauté est notre souci. Et son impasse, parfois. Nous savons bien que « la juxtaposition de parcelles individuelles ne suffit pas à restaurer une communauté : elles répètent le quant-à-soi, le « chacun pour soi » et leurs impasses. » (Philippe Demeestère). Quant à la recette nous n’en pouvons guère dire plus, sinon cette forme de proximité respectueuse que nous tentons de maintenir entre nous : une communauté « liée par un même sang et toutes les différences », comme l’écrivait Albert Camus dans son dernier livre, Le premier homme. L’illusion serait de croire que l’individu seul peut tout : nos ancêtres savaient mieux que nous aujourd’hui que leur survie dépendait de leur communauté de vie. Un dicton japonais (un koan) dit : « Jamais la forêt ne se perd. » Une manière d’indiquer une des formes de sécurité que renferme le groupe pour chaque individu. Pour nous, aujourd’hui, communauté est un mot pour dire que « l’important consiste à ne pas faire de l’intervention sociale, c’est-à-dire à ne pas construire soi-même les réponses et les formes d’accompagnement, ce qui implique de ne pas penser l’action en termes de problèmes auxquels il faut apporter des solutions, mais de construire des espaces possibles. » (Caroline Sédrati-Dinet) Un mot pour dire aussi une manière d’envisager le vivre commun sur la base « d’une conception plus égalitaire des rapports humains » : ce qui ne va pas sans interroger (parfois sévèrement) les tentations de relations en surplomb auxquelles nous risquons de succomber (au prétexte de notre rôle éducatif), qui ne protègent guère que la sauvegarde d’une conception hiérarchique des positions. (Voir aussi « Charité », « Collectif », « Vivre ensemble »)   Compagnonnage.  « Aujourd’hui l’humain mime l’humain. L’air de la sympathie est joué, mais quand on s’approche, il n’y a personne. L’humain s’éloigne. » [52] Pouvoir nous redire qu’engager une
relation de proximité les uns et les autres exige parfois de nous plus que nous n’en aurions les moyens. D’où l’importance de la vérification et du dialogue avant de devoir reculer, nous évaporer ou laisser la place vacante… et de susciter les déceptions qui vont avec ! Pas d’usagers donc, mais des compagnons (avec leur poids de participation). Compagnonnage des hommes entre eux : une autre manière de « co-exister ». Où chacun teint sa place pour que l’autre puisse en faire autant. A l’intérieur, cela bute régulièrement sur la participation aux tâches communes (dont certains veulent se dispenser), sources de remise en question de sa place et de la place de l’autre : l’autre est si peu compagnon qu’il ne pense qu’à lui ! « Tu veux changer le monde ? Commence par descendre la poubelle », rappellent les sages. De l’intérieur de celles et ceux qui acceptent (salariés ou bénévoles) de participer à la vie de la maison, cela peut aller jusqu’à la remise en cause de certains modes de vie et de fonctionnements : devenir « compagnon » des résidents n’est pas toujours sans risque. Pour les non-résidents, c e compagnonnage est une vraie question. Question des bénévoles : comment se faire compagnon de personnes qu’on ne fréquente qu’assez peu, finalement ? Et comment ne pas réserver ce compagnonnage à sa seule résolution par les résidents entre eux ? Comment le faire vraie entre tous, résidents, salariés, bénévoles ? Au prix de quelles remises en cause y compris de nos fonctionnements premiers, comme c’est le cas dans la participation et la redistribution des responsabilités dans la vie de la maison ? Comment s’accepter compagnon de l’autre ? Cela renvoie à la question de la place du collectif dans notre mode d’accueil, pour celles et ceux qui l’acceptent : rendre sa force à cette dimension collective, plutôt que de renvoyer sans cesse des individus à la faute d’être ce qu’ils sont. Avec l’impératif d’entrer dans un compagnonnage valorisant [53] pour permettre que le lieu devienne réellement dans la tête et la pratique de tous le collectif, la ferme « bio » qu’il est 36
peu à peu devenu. « Un grand doit donc être pleinement persuadé qu’il renverse l’ordre que Dieu a établi dans le monde et surtout dans le monde chrétien, quand il croit que ses inférieurs soient faits pour lui, en sorte qu’il puisse disposer d’eux comme il lui plaît », rappelait en son temps le prince de Conti [54]. Belle manière de renvoyer à l’essentiel. (Voir « Accueillir », « Choisir », « Collectif », « Risques »)   Compassion. Le mas de Carles ne peut pas se résumer à l’accueil de nos misères, ni être le simple terrain de jeu de nos compulsions compassionnelles. Venir à Carles, c’est accepter que notre propre pauvreté soit au service de celle des autres. C’est avec et pour eux que nous sommes là… pardelà la charge malheureuse de toute vie. Comment « chercher l’utilité de tous et non la sienne propre », se demandait Clément de Rome en son temps[55] ? Comment ne pas enfermer l’autre dans le filet de mon sentiment, dans la froideur de ma méfiance, dans le rejet de ce que je ne veux pas devenir moi-même ? Ne pas oublier que le collectif est un des lieux d’apprentissage et d’identité des personnes. Riche car le groupe est porteur de sens, de chaleur, de possibilité de prise de parole, fondement préalable à toute reconnaissance de soi et d’insertion active. C’est dans le jeu du collectif que se noue une part de notre « identité » et la possible (re)conquête de l’estime de soi. Cela est parfois difficile parce que les exigences communautaires peuvent devenir lourdes au point qu’on veuille s’y soustraire (que nous soyons résidents, bénévoles ou salariés).  Important, encore, de ne pas négliger le fait que c’est l’appartenance à plusieurs collectifs qui
nous permet de compléter notre identité et d’être ce que nous sommes : « La générosité et le bon sentiment prétendent toujours vous rendre service pour vous aider à vivre. Mais vivre ne se vit pas d’aumône. Aujourd’hui les hommes sont moins préoccupés de vivre que de résoudre le problème de leur culpabilité. L’angoisse est trop vieille pour être généreuse… » 70. 37
(Voir aussi « Créer », « Droits », « Illusion »)   Compétences. Des réalités qui existent en tout homme. Qui ne dépendent pas de ma volonté. Qui n’attendent qu’un regard positif sur l’autre pour lui donner son vrai visage. « Envisager » l’autre c’est lui reconnaître comme un dû ce qu’il sait faire et être, sa capacité à le partager avec d’autres. Et cela met de la lumière partout. « Envisager » l’autre c’est lui reconnaître que nos communes compétences peuvent participer à la (re)construction de la maison et de chacun d’entre nous. Que ses compétences propres sont nécessaires à la construction de nos vies communes. Et cela s’acquiert, aussi à travers l’exercice des activités proposées dans la maison, comme à travers l’invitation à valider les acquis de l’expérience par un diplôme d’Etat. (Voir aussi « Participation », « Produire », « Terre », « V.A.E. »)   Confiance.  Parlant de celles et de ceux qui parfois débarquent (au Mas ou ailleurs) dans des états lamentables (à nos yeux), Primo Lévi insistait : « Qu’on imagine un homme…privé de tout ce qu’il possède…. Il n’est pas rare quand on a tout perdu de se perdre soi-même. » L’acte premier de l’accueil sera peut-être alors de permettre à cet homme de retrouver suffisamment de confiance en lui pour accepter de retrouver tout ou partie de ce qui fait sa personnalité. Avec prudence. Car l’incurie et/ou la maladie « doivent être considérées comme un support identitaire qui permet à certaines personnes d’exister par le symptôme dont la disparition « grâce aux soins » peut entrainer un effondrement psychologique et social » (Karine Boinot). Permettre à l’autre de retrouver confiance en lui n’est pas affaire d’injonction, ni de soins, mais de patience et de proximité. Confiance est un mot destiné aussi à tous (accompagnateurs). Avoir suffisamment confiance en soi pour ne pas se laisser repousser. Pour accepter l’infécondité immédiate de nos gestes pour l’autre (peut-être parce qu’ils ne sont pas des gestes de reconnaissance). Invitation à commencer par se rencontrer à égalité… Ni au-dessus, ni au-dessous. Accepter de se voir avec et dans l’autre. Et pouvoir, là, dire l’essentiel de soi. Et pouvoir, là, accueillir l’essentiel de l’autre. (Voir aussi « Charité », « Compagnonnage », « Personnes ressources »)   Consentir.
Rappel d’une parole de l’abbé Pierre : « Il va falloir savoir aimer, consentir à apprendre à aimer. Combien cela est autre exigence que l’instinct. C’est exigence de liberté. Et de cette liberté la plus extrême, la liberté volontaire pour se livrer, pour se lier. » La liberté ne s’adosse 38
pas simplement à une profusion de choix. Elle commence le plus souvent à s’exprimer dans le consentement (ou non) à ce qui advient. Pour y donner sens. René Char sur cette margelle du sens : « Pourquoi ce chemin plutôt qu’un autre ? Nous sommes venus jusqu’ici car là où nous étions la vie n’était plus possible. On nous tourmentait et on allait nous asservir. Le monde, de nos jours, est hostile aux transparents… Et ce chemin nous a conduits à un pays qui n’avait que son souffle pour escalader l’avenir. Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinée… entre la mort et la beauté ! » [56] (Voir aussi « Aimer », « Liberté »)   Construire. Un mot pour dire Carles. C’est Joseph qui chaque jour, pendant les années des commencements, monte à Carles avec le repas de midi pour la demie douzaine d’hommes et quelques-unes des pierres des fermes de Courtine soumises à démolition en vue de la construction à venir de la zone industrielle (c’est là qu’il découvrira Pascalon, au milieu de ses chiens, qui finira par intégrer le Mas dont il sera le chevrier pendant de longues années). Et chaque jour, avec Edmond, Luis et quelques autres, il bâtit et agrandit les murs de Carles, les murs de la maison d’accueil qu’il porte dans son cœur. « C’est en donnant ces trois ou quatre heures chaque jour, avec les hommes qui s’y sont succédés, que Carles est devenu ce qu’il est aujourd’hui », se souvient Jean Hilaire Cela ne va pas sans l’étonnement de certains. Mais construire est pour Joseph l’acte premier de l’accueil. Préparer un lieu capable d’accueillir des pauvres parmi les plus pauvres… bâtir la solidarité, l’ancrer dans le réel est passé, pour lui, par la construction du lieu où l’on pourrait réellement accueillir les hommes en errance. Et rien n’était plus important, pour lui, que ce réalisme-là ! [57] Cette volonté d’aménager l’espace d’accueil reste pour les successeurs une dimension importante de la vie de la maison. Un lieu fédérateur, quand s’y ajoute le concours des gens de la maison, autant qu’il est possible au regard des normes et des réglementations en vigueur. (Voir aussi « Commencements », « Habiter » « Persat Joseph »)   Contrat.
Les salariés en signent un avec la direction (qui représente le conseil d’administration de l’association) pour définir leur mode de présence dans la maison. Les résidents en signent un aussi : pour se donner des repères clairs pour vivre dans la maison en harmonie avec les autres. Ces contrats sont ce qui peut nous porter sur le chemin de nous-mêmes. « Lieu » de redécouverte de nos capacités. « Lieu » de confiance accordée et partagée : je signe mon engagement en réponse à l’engagement d’un autre. (Voir aussi « Communauté ») 39
  Coopération.  C’est l’adhésion de tous les acteurs au projet collectif qui préserve l’organisation. Tous sont invités à être créatifs et responsables de la mise en œuvre du projet qui justifie notre présence. Cet « espace » coopératif est le lieu de la mise en discussion et du partage des propositions des uns et des autres. Ce modèle suppose cependant des responsabilités et des responsables clairement identifiés. Comme dans toute organisation, il y a au mas de Carles une autorité organisatrice, l’équipe des permanents qui œuvre sous le contrôle de l’assemblée générale et de son conseil d’administration : gestion du choix des moyens et de l’accueil des personnes, sens de la marche de la maison, options éducatives, alimentaires, etc. Quand il y a doute sur un comportement, quand il y a projet avec un résident, il est sans doute meilleur d’en parler avec celles et ceux qui portent au quotidien la responsabilité de la maison et des hommes qui y habitent. Etre compagnon ne se vit pas hors du dialogue avec toutes les parties concernées. La responsabilité ne peut s’affranchir de médiateurs reconnus, capables de trancher litiges et situations ambigües… Dans ce cadre, la plupart des résidents endosse une vraie charge dans le fonctionnement du lieu à vivre… Un engagement toujours plus à reconnaître qui a fait advenir le lieu comme « un lieu à vivre » ouvrant un avenir pour tous. Avec une grosse interrogation : comment maintenir cette réalité d’une coopération entre tous, quand toute la société, dans son fonctionnement socio-économique en refuse les contraintes au nom de ses propres options : « mutations technologiques, recherche de gains de productivité, primauté du marchand, concurrence internationale, développement des marchés financiers » qui débouchent non sur la volonté d’une coopération entre tous mais sur « la diminution constante du besoin du travail vivant » [58]. Tout le contraire de notre projet associatif, dont on peut se demander à quelles conditions ses orientations peuvent tenir et prendre sens pour les femmes et les hommes aujourd’hui marginalisés et politiquement renvoyés à un statut « d’inutiles au monde » (comme cela se disait déjà avant le XVème siècle, au temps où la pauvreté venait remettre en cause une organisation sociale dont seuls quelques-uns profitaient largement, au tournant des XIVème et XVème siécles [59]. (Voir « Collectif », « Personnes ressources »)   Corps.
Parce que le corps est notre première maison, notre « lieu à vivre ». Commun à tous, unique pour chacun. Corps des résidents que l’errance ou les ruptures ont fini par renvoyer comme à un monde oublié. Corps dégradés ou dernier lieu de préservation d’une forme de dignité. Se réapproprier son corps, renouer avec son corps (soins, propreté, nourriture équilibrée, lutte contre l’obésité) doit rester une priorité de notre rencontre avec eux : « Personne ne peut être intelligent sans son corps », affirme Véronique Dufief. 75 « Prendre corps » ne signifie-t-il pas « prendre tournure », comme un avenir qui « prend forme » ? Ne parle-ton pas d’un vin qui manque de corps quand il est trop léger ? Et puis le « corps » des salariés et des bénévoles, invités à comprendre ce que veut dire être « incarné », pour soi-même et pour les autres : lourdeur et envolée, misère cachée ou dévoilée, soin et mépris, liberté et enfermement, homme renvoyé à sa solitude mais désirant encore. Invitation permanente à passer de la parole aux actes, de l’idée « d’être avec » au concret de la proximité. Comprendre que nous sommes un corps dans le monde et pour le monde : 40
mettre nos « mains de chair dans l’engrenage pour que cela change » (Aragon). Vêtir son corps peut signifier un engagement pour l’autre ou le désir d’une protection contre l’autre. Il n’y a pas de corps normalisé : il n’y a que des corps en attente de reconnaissance. C’est un des enjeux de notre présence au Mas. Et une revendication silencieuse de beaucoup : « Ce besoin de marcher lentement afin qu’on me heurte sur les trottoirs, dans les couloirs du métro, n’importe où. Pourvu que l’on me confirme ce corps » (Jean-Louis Giovannoni). (Voir aussi « Barbe »)   Courage. Ne jamais oublier de saluer le courage de celles et de ceux qui, accueillis ici (sous quelque forme que ce soit), ont accepté d’entrer dans un soin, de reprendre une activité ou un travail, de s’engager dans un changement de leur vie en arrêtant alcool, shit, prise excessive de médicaments, de changer de regard sur le monde et sur eux-mêmes : c’est le plus beau des combats. Et il n’y a pas, pour nous, de bilan supérieur à cela, puisqu’il s’agit de donner ou redonner un sens à sa vie. C’est le plus difficile, aussi (voir AG du 29 mars 1998). Autre courage : celui de chacun face à la réalité et aux appels suscités par une présence, ici et maintenant. Ajouter sa souffrance à celle de l’autre (résident, bénévole, salarié) espérant les atténuer en les conjuguant. Comme le rappelait Paul VI en 1971 : « Il ne suffit pas de rappeler des principes, d’affirmer des intentions, de souligner des injustices criantes et de proférer des dénonciations prophétiques : ces paroles n’auront de poids réel que si elles s’accompagnent pour chacun d’une prise de conscience plus vive de sa propre responsabilité et d’une action effective [60]. » (Voir aussi « Accueillir », « Homme », « Résister », « Valises »)   Créer.  C’est un verbe d’action qui nous amène du côté de la nouveauté de la singularité, voire de l’inattendu. Créer c’est concevoir, imaginer quelque chose de nouveau. Beaucoup d’artistes de renom qui se sont exprimé sur ce point se rejoignent pour dire : c’est vital. La création est liée à la vie et ne se résume pas aux démarches dites artistiques.
« Une création c’est un tableau, un jardin, une maison, une coiffure, une symphonie, une sculpture et même un plat préparé à la maison. Ou peut-être vaudrait-il mieux dire que toutes ces choses pourraient bien être des créations. La création est inhérente au fait de vivre… La créativité que nous avons en vue est celle qui permet à l’individu l’approche de la réalité extérieure. »[61] 41
Permettre à chacun de se sentir en capacité de créer c’est lui permettre de rompre les liens de servitude : « Nous constatons ou bien que les individus vivent de manière créative et sentent que la vie vaut la peine d’être vécue, ou bien qu’ils sont incapables de vivre créativement et doutent de la valeur de la vie. »78 (Voir aussi « Errance », « Récolte »)   Crise. Pour celles et ceux qui passent dans la maison, Carles est un havre de paix. Et cela est vrai : manger régulièrement, dormir, se soigner, être propre, se promener, se (re)mettre dans une activité, restaurer un lien avec l’environnement social, économique, culturel local… Pourtant, le Mas n’est pas le jardin de l’Eden. Il est plutôt comme le territoire attribué à Adam et Eve après l’épisode du fruit interdit et croqué (Gn 3,23-24) : il y a du travail, de la sueur, des enjeux de domination, de la violence, du mépris parfois. Carles n’est pas le paradis ! Et la crise n’est jamais loin. La fragilité des uns alimente régulièrement d’autres fragilités chez les autres. Et cela fait parfois « clash ». Vient alors le temps des exigences dictées par la peur : il faut virer celui-là parce qu’il est fou, parce qu’il boit trop, parce qu’il fait peur… Peu d’espace alors offert à la réflexion et au temps qu’il faut pour apaiser, soigner, dédramatiser. Tout se confond dans le refus de l’autre qui souvent ravive nos propres limites et nos anciennes blessures. Crise donc. Et cela n’est pas vrai seulement des résidents, comme on aimerait tant le croire. Redécouvrir avec Jean Debruynne que ces crises peuvent être l’autre nom d’une paix durable : « Ma paix va de crise en crise, son réel est divisé : pas une tombe pour enterrer les conflits, pas un grand rêve, mais un geste inopportun. Ma paix mène bataille, elle ouvre un grand débat : ce désir qui nous travaille corps à corps, lutte et combat. » [62] (Voir aussi « Combat », « Sanctions », « Temporiser »,)   Croyant. « Pour convertir le monde, il nous faut, chrétiens, multiplier nos missionnaires. Mais nous devons avant tout repenser, de toute notre humanité, notre religion. On ne convertit que ce qu’on aime : si le chrétien n’est pas en pleine sympathie avec le monde naissant, s’il n’éprouve pas en lui-même les aspirations et les anxiétés du monde moderne, s’il ne laisse pas grandir en son être le sens humain, jamais il ne réalisera la synthèse libératrice entre le ciel et la terre d’où peut sortir la parousie du Christ universel. Mais il continuera à s’effrayer et à condamner presque indistinctement toute nouveauté, sans discerner, parmi les souillures et les maux, les efforts sacrés d’une naissance. S’immerger pour émerger et soulever. Participer pour sublimer. C’est la loi même de l’incarnation… Le monde ne se convertira aux espérances célestes du christianisme que si, 42 préalablement, le christianisme se convertit, pour les purifier et les diviniser, aux espérances de la terre. » 80 Et pas seulement pour le chrétien. Tout croyant, tout spirituel est attendu sur ce chemin-là de notre humanisation réciproque. (Voir aussi « Alliance », « Evangile », « Prière », « Spiritualité »,)   Culpabilité. Avec Maurice Bellet, se souvenir de Françoise Dolto, à un de ses patients : « C’est de votre fait, mais ce n’est pas de votre faute. » 81 Le plus souvent le passage par la culpabilité ou la culpabilisation reste du temps perdu, entre une défense sans les mots, un refus de s’avouer soi-même et la difficulté à avancer, quand le temps d’une certaine mise à nu est venu. Mais ce passage s’inaugure et s’alimente à la source de nos défauts ou des facilités que, parfois, les encadrants se donnent, quand un acte où une forme de présence devient trop encombrante pour la mémoire du vis-à-vis… ou sa souffrance. Cela peut être une manière de maintenir des personnes dans une forme d’infantilisation, voire de dépendance (hiérarchique, affective, etc.). Un abus de pouvoir, en quelque sorte, une mauvaise manière de signifier à l’autre sa responsabilité ou de vouloir lui faire porter plus qu’il n’en peut. Mettre l’autre en dette (en allemand « dette » et « culpabilité » se disent avec le même mot) n’est jamais un bon chemin pour que s’installe une dynamique positive chez l’autre. Constat pédagogique : cette forme de mise en dette de l’autre n’est, le plus souvent, que la mise en scène sans autre efficace que l’affirmation d’une autorité dépassée par la réalité de l’instant. Tutelle mortifère pour le mis en demeure. (Voir aussi « Aimer », « Projet », « Responsable »)   43 D     Débattre. Pas pour imposer une volonté contre une autre. Mais pour dire incompréhensions et questions. Débattre en groupe, pour s’approprier une question, une manière d’être et de faire. Une pratique de Carles dans l’exercice des « Dialogues de Carles » (pour les résidents), des réunions de bénévoles (tous les deux mois), des rencontres tous les deux ans « résidentssalariés-bénévoles » ou des « Rencontres Joseph Persat », par exemple… (Voir aussi « Assemblée générale », « Association »)   Décentrage.
Parce que « décentrement » primitivement choisi est un terme d’optique ou de photographie, nous dit un spécialiste de la langue ! Ceci rétabli, s’agit-il ici de nous oublier absolument ? Tout donner ? Ou donner autrement ? Se laisser accueillir ? C’est souvent ce que pratiquent les personnes accueillies au Mas lorsqu’elles abandonnent leur petit bagage, leur(s) chien(s)… les voilà tout à coup décentrés de ce qui faisait leur vie. Rien à voir avec la volonté de rester à distance ou d’établir une distance. Plutôt affaire de se tenir en capacité d’entendre en fonction de l’autre. Tenter de mettre de côté nos impératifs propres, refuser le piège de l’enfermement dans nos règles : vouloir que l’autre puisse se trouver lui-même, par lui-même, être capables d’accueillir le sens de son histoire. Regard cru d’un « pratiquant » de l’accueil : « Vouloir restaurer quelqu’un dans 44
sa dignité c’est encore l’embaumer. Comme si la dignité était affaire individuelle, que nous connaissions déjà les contours et les emballages en en étant les représentants attitrés… » [63]Peut-être, dans notre présence, aller jusqu’à l’acceptation même de notre étrangeté, faire acte de lucidité : « leurs histoires et les nôtres demeurent étrangères les uns aux autres… nos repos se trouvent et se prennent loin tant de leurs vies que de leurs morts. Sortir de soi, se laisser sortir de ses gonds » pour telle rencontre ? « Oui, sans doute, pour rentrer ensuite à nouveau dans un chez soi inhabitable par l’autre », écrit le même au commencement de son petit livre décapant. (Voir « Accueillir », « Audace », « Beau »)   Démuni. Statut attribué à celui qui arrive au Mas. De « ceux que le soleil ne parvient pas à réchauffer, qui marchent dans l’été comme une frêle brassée d’os. Une cage d’os, branlante, où il n’y a presque plus de feu. » [64] Et il faut du temps pour faire le chemin qui rend à chacun la vie chaude et vivable. Démunis, mais pas de tout, ni en tout. Chacun a son histoire (souvent à revisiter pour se prémunir contre le vide de sens). Chacun a des capacités acquises ou à découvrir pour nourrir sa propre dignité, pour désarmer l’impuissance de vivre. Mais aussi, situation à laquelle nous sommes souvent confrontés devant les hommes : invitation à inventer là où on ne sait pas (ou plus). Invitation supérieure encore : entrer nousmêmes dans un certain dénuement pour nous laisser accueillir par ceux que nous rencontrons. Sans doute sommes-nous quelque peu marqués ici (c’est la faute à Olivier [65]) par le souvenir de ce qu’ont fait les Pères de l’Eglise au moment de leur conversion : ils distribuent leurs biens aux pauvres et font de ce geste la condition de l’hospitalité due à l’autre : « … prendre part, rejoindre ceux d’en face… s’en aller chez les pauvres, les priant de se serrer encore un peu plus pour nous accepter à leur table, festin où l’on ne se nourrit que de faim… », psalmodie Jean Debruynne [66] (Voir « Dignité », « Pauvres », « Sens », « Vivre »)   Départ.
« Carles sera un lieu pour de nouveaux départs », dit le testament de Joseph. Il peut s’agir de départ vers l’extérieur quand cela est possible. Mais ces départs ne sont pas forcément liés à un retour à l’extérieur. Le « nouveau départ » est aussi celui qui permet à un homme de retrouver estime de lui-même et dignité à son propre regard. Pouvoir se redire enfin que 45
« toute vie est une vie. Il est vrai qu’une vie paraît à l’existence avant une autre vie, mais une vie n’est pas plus « ancienne », plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie. » [67] Respirer sa vie peut être, est souvent un autre « départ » pour beaucoup des personnes accueillies au Mas. Ce peut-être aussi le départ pour ceux de l’extérieur qui participent d’une manière ou d’une autre aux actions du mas : départ d’un autre regard sur l’autre en situation de pauvreté ou de précarité qui a trouvé abri au mas. (Voir aussi « Regard », « Coopération », « Compassion »)    Désir. Quand il arrive au Mas, cet homme n’a qu’un seul désir : en sortir le plus vite possible. Avec un travail et un logement autonome. A quoi s’interposent plusieurs empêchements : il n’y a plus assez de travail pour tous ; le logement est souvent trop cher quand on n’a qu’un RSA pour faire face (il faudra alors choisir entre se loger et manger). « Il y a au fond de mon cœur une loi quasi implacable qui veut que chaque instant soit empreint de manque… La plus grande sagesse qui me manque, c’est de savoir cohabiter avec ce manque… » [68] Difficile de permettre à chacun de laisser vivre en nous le temps pour permettre la venue d’un vrai projet, porteur d’humanité, plutôt que de vouloir être conforme avant d’être soi, voire malgré soi. Mais chacun sait que prendre le temps dans une société qui ne cesse d’accélérer sans cesse le rythme et de contraindre les individus à s’identifier à un modèle normatif est quelque chose qui semble inutile à première vue. C’est pourtant une part de notre responsabilité les uns vis-à-vis des autres. Ailleurs et pour tous, cette réflexion d’un psychanalyste à méditer pour la part que chacun en peut : « L’énergie vitale qui habite un individu peut s’ouvrir à deux utilisations possibles : ou celle de la destruction sous l’emprise d’une quête de satisfaction totale et immédiate ; ou celle de la création, quand il peut y avoir transformation de cette énergie en désir, s’inscrivant dans un projet. C’est de l’accès à la maîtrise de ce dynamisme que dépend la maturation de la personne et la transformation de l’agressivité en élan constructif, permettant l’élaboration… d’un rapport de respect d’autrui… » Mais le chemin est long pour accepter d’inclure mon désir dans une organisation collective à laquelle je donne priorité, plutôt que de vouloir briller pour moi-même ! (Voir aussi « Communauté », « Compagnonnage », « Temps »)   Dialogue.
Après avoir privilégié la quête du bonheur individuel depuis la fin des années 90, ce mensuel recadre sa réflexion : « Osons les autres ». Comme une nouveauté ? Ou comme l’essentiel de ce qui fait notre rencontre et passe d’abord par la volonté de maintenir entre nous un dialogue, aussi vrai que possible. Dans un monde qui bascule de plus en plus dans un individualisme destructeur de liens et de sens, où seul fait sens ce qui m’intéresse moi dans l’oubli de l’autre qui partage le même air que moi, la « maison Carles » voudrait être un de ces lieux dont l’exception consiste à faire naître des actions et renaître des hommes à travers le difficile exercice du dialogue. Cela suppose de la clarté vis-à-vis de soi-même, oblige à la modestie, offre à chacun l’espace pour refuser que la détresse intérieure prenne toute la place, se donner le temps d’avancer dans la (re)construction de soi et grandir en dignité. Déjà au VIème siècle, Grégoire le Grand invitait à l’attention à l’autre en termes vigoureux : 46
« Ils montrent par leurs paroles, lorsqu’ils enseignent, qu’ils se considèrent comme installés sur un sommet, qu’ils regardent leurs auditeurs comme situés très en-dessous d’eux. S’ils daignent leur adresser la parole, ce n’est pas pour les aider, mais seulement pour les dominer. » 88 (Voir aussi « Temporiser »)   Dieu. Il arrive, parfois que l’on se demande : pourquoi un prêtre au mas de Carles ? Il n’y a donc rien d’autre à faire dans l’Eglise ? Sans doute rien d’autre : toute la tradition biblique et ecclésiale donne à méditer cette réalité spirituelle que nul ne peut voir Dieu sans se préoccuper du frère (Is 58 ; Mt 25,31ss ; 1 Jn 4,20s). En quelque sorte il s’agit de donner à voir Dieu en progressant dans l’accueil du frère et du frère le plus démuni : « Ce que Dieu a de visible a été la vie de l’un d’entre nous… Les timidités ou les dévouements qu’il y a entre les personnes humaines sont de meilleurs indices de Dieu que les images ou les concepts », écrivait Jean Grosjean [69]. Faire signe, dans une société dont la priorité à l’autre n’est pas le réflexe premier ni la volonté immédiate : tel est le socle de notre spiritualité. Pour le reste, il faut sans doute faire sa part à la méfiance d’un Kamel Daoud : « Dieu, c’est mon affaire. Je le cherche, je peux le trouver ou pas, mais c’est mon affaire. La question n’a de sens que si elle se réfère à la liberté. Si on mesure la liberté par la croyance, les jeux sont faussés. »[70] (Voir aussi « Spiritualité »)   Différences. 
Chacun son rythme. Chacun son tempérament. Chacun ses périodes positives et ses périodes négatives. L’enjeu n’est pas que tous soient dans le même tempo, mais que tous se voient offrir accueil, écoute et temps par-delà leurs souffrances. C’est le propre du compagnonnage de savoir prendre le temps qu’il faut pour que l’autre se retrouve et aille mieux. Difficile. Reconnaître et accepter la différence comme on le fait pour les fleurs… et cela devient bouquet coloré. Pourquoi les hommes ne vivraient-ils pas ainsi ? Plus fondamental encore : savoir que jamais ne sera possible de faire l’économie de la différence entre nous, que c’est cela qui fonde nos désirs et parfois nos peurs. Différence comme celle qui diversifie les modes de présence des uns et des autres au Mas, par-delà nos désirs (celui de quelques-uns en tout cas) que tout le monde marche au même pas et dans les mêmes horaires. Mais nous savons bien que cela n’existe nulle part, pas plus au Mas que dans le monde qui nous entoure. Que des marginaux existent partout, au Mas comme ailleurs, et posent, au mas comme ailleurs, des questions identiques : celle de leur place et de nos reconnaissances. 47
(Voir aussi « Compagnonnage », « Vivre ensemble »)   Dignité.  Important de nous redire que chaque vie est une vie. Et les vies des résidents du Mas sont le plus souvent « lourdes ».  Au point de rendre parfois la vie moins féconde qu’en d’autres lieux. Ils vivent avec un revenu très largement au-dessous des autres, cela peut poser, à leur regard comme au nôtre, la question de la condition de l’estime de soi. Il peut donc être important de nous redire que l’humanité des hommes ne dépend pas de notre permission ou de notre bonne volonté 91. Egalement partagée avec l’autre, elle est ce qui m’offre de pouvoir changer mon regard en don de vie pour chacun : « Qu’est-ce qui reste quand il ne reste rien ? Ceci : Que nous soyons humains envers les humains, qu’entre nous demeure l’entre-nous qui nous fait hommes. Car si cela venait à manquer nous tomberions dans l’abîme, non pas du bestial, mais de l’inhumain ou du déshumain, le monstrueux chaos de terreur et de violence où tout se défait (…) Il n’y a rien à ajouter à cet infime et pur commencement ; surtout pas ce qui fonderait, justifierait, expliquerait, etc. Il n’y a qu’à s’enfoncer dans cette sobre tendresse sans mesure ; alors tout sera donné, qui ne s’ajoutera pas, mais fructifiera à l’infini. »[71] La dignité se conjugue aussi dans la prise en compte du projet de vie au mas par les hommes, comme en témoigne la plaque des résidents à l’entrée du mas : « Je laisserai à ceux qui viendront, aujourd’hui ou demain, des champs, des oliviers, un troupeau de chèvres, de beaux murs, un toit pour se mettre à l’abri. Je laisserai à ceux qui viendront, aujourd’hui ou demain, une expérience partagée apprise de ceux qui m’ont précédé, un savoir-faire commun, des histoires de vies où chacun aura mis sa pierre à l’édifice : le souvenir des hommes qui ont bâti le Mas de Carles. Alors je dis à ceux qui viendront, aujourd’hui ou demain : c’est en apportant votre contribution que vous ferez l’histoire de ce lieu à vivre. » [72] (Voir « Compagnonnage », « Différence »)   Distance.
Le maître mot de beaucoup d’institutions. Garder la distance face aux hommes et aux événements. Sorte de « vademecum » de la tranquillité professionnelle. Pour échapper à l’émotion ?  Pour assurer une juste décision ? Mais il s’agit toujours du point de vue de l’accompagnateur, pas de l’accompagné. Peut-être nous redire (et nous tentons de le faire ici) que l’action juste est peut-être davantage celle qui relève d’une proximité assumée : ni agitation médiatique, ni volonté de rétablir une norme de vie, mais proposition d’une présence qui peut aussi être le « lieu » d’une forme de guérison pour quelques-uns, plus souvent qu’à leur tour affrontés à la solitude. Tant que l’autre n’est pas un vrai visage de chair pour nous, rien de ce qui le touche ne peut me toucher. Lévinas nous en a suffisamment informés. Ton prochain est celui dont tu as accepté de te rendre proche, nous rappelle l’Evangile (Lc 10,29ss), évoquant ici la simple « justice » et non l’exceptionnel d’une rencontre particulière. 48
(Voir « Proximité », « Visage »)   Don. Le don suppose l’entière gratuité. Chacun d’entre nous a reçu de multiples dons qui ne lui étaient en rien « dus ». Mais à reconnaître. A Carles nous sommes tous, pour une part, héritiers de l’œuvre de Joseph et nos dons, d’argent, de temps, d’idées viennent en écho à ces dons premiers que Joseph a dispensé sans compter. Nous ne donnons finalement que ce que nous avons déjà reçu, chacun à notre manière.  Et la fatigue est parfois l’indice du chemin donné à l’autre. Parfois aussi le signal d’une attention insuffisante à soi-même. Sagesse de Charles de Borromée : « Tu as charge d’âmes ? Ce n’est pas une raison pour négliger la charge de toi-même et pour te donner si généreusement aux autres qu’il ne reste plus rien de toimême pour toi. Car tu dois te souvenir des âmes dont tu es le supérieur, mais sans t’oublier toimême. » [73] Partager et/ou apporter à l’autre ce que l’on possède, pas forcément financier ou matériel, mais apporter aussi son avis. Nous souvenir que le don n’est authentique que s’il creuse en moi un vide : « On ne donne pas ce qu’on possède, on ne possède que ce qu’on est capable de donner, sinon on est possédé » (Abbé Pierre, 1968) [74]. Petite histoire des commencements de l’Eglise, dans le sillage de sainte Lucie déclarant à sa mère qui propose à sa fille de la faire héritière après sa mort : « Ecoute, ô mère, le conseil que je vais t’adresser. Celui qui ne donne à Dieu (comprendre ici « aux pauvres ») que ce qu’il ne peut emporter et seulement les biens dont il ne peut plus jouir ne saurait lui être bien cher… Abandonne maintenant ta fortune… Si tu la donnes au dernier moment, lorsque tu ne pourras plus t’en servir, tu sembleras lui laisser seulement ce qu’il n’est plus en ton pouvoir de garder avec toi. » [75] Plus loin, nous souvenir que l’association ne tient, depuis des années, que par les dons de nombreux donateurs dont même la crise n’a pas su prendre en défaut la fidélité. Carles tient à ce fil : tout est don, rien n’est dû. Et cela lui donne un prix infini : « Non dû mais don / Mais abandon / À l’endurance à la durée / D’où l‘abondance inespérée / Tout don de vie abonde en don. » [76]Mais, conclurai avec nous Jean Sulivan, toujours nous efforcer de faire face, car peut arriver « que l’idée de l’amour se dégrade dans sa réalisation et peut empêcher tout don. » [77]
(Voir aussi « Audace », « Courage », « Envie »)   49
Donateurs. Ils sont nombreux au mas. Petites et grosses sommes, selon leurs moyens, dons spontanés ou prélèvements. Ils sont nombreux et diversifiés : les financeurs institutionnels ou privés, les trois cents et quelques personnes qui offrent chaque année leur part à la trésorerie du Mas, les boulangers autour de Carles qui nous offrent le pain de chaque jour (Les Romarins, Bouffier, Tartine, Mocellin, Coopérative de Pujaut), ACO et le gas-oil pour les tracteurs, les activités des hommes du Mas, sans qui la maison ne serait pas ce qu’elle est, les associations, les entreprises, les amis, les salariés, les bénévoles qui donnent de leur temps, de leurs compétences, de leur amitié attentive (au-delà des minima) et toutes ces formes d’aides pour que Carles vivent dans le beau et dans la sécurité. Carles est bien une œuvre collective. (Voir aussi « Argent », « Association »)   Doute. « Mieux vaut certes conserver son incertitude et son trouble, que d’essayer de se convaincre et de se rassurer en persécutant autrui. » (René Char [78]) C’est une des invitations qui se retrouvent dans le projet associatif du Mas : cultiver un doute raisonnable sur nos actions : sommes-nous toujours assurés de ce que nous voulons offrir ? Que faisons-nous réellement de notre projet associatif ? Comment ne pas nous exposer à financer le fonctionnement de nos structures par des actions qui n’ont pas forcément vocation à y entrer ? Et sur un mode de présence qui permette de mesurer la place de chacun, de participer à la maîtrise de la toute-puissance de l’organisation collective et du projet associatif sur les personnes, de faire place à la capacité d’intervention des résidents, des bénévoles, du C.A., des salariés, de préserver la possibilité pour chacun de venir, de s’en aller, de revenir, de prévenir et protéger, autant que possible (contre) toute forme de maltraitance. Le doute fait partie intégrante de l’analyse permanente que nous devons avoir des actions et des activités menées au mas : est-on dans l’esprit du fondateur, est-on dans l’évolution de notre société sans renoncer à ce qui fait l’originalité de notre accueil. Comme tel, le doute participe à la décision. Il est inscrit comme tel dans le projet associatif (voir p. 5). (Voir aussi « Illusion »)   Droits.
Permettre l’accès aux droits (à leurs droits) est un des objectifs de nos actions. Difficile. Car il faut conjuguer en permanence le projet des personnes (ce qu’elles en disent), la réalité de leur vie et la part de non-recours à certains de leurs droits, notre capacité à entrer en dialogue avec elles et notre volonté de leur permettre d’accéder à une autonomie vivable pour elles… A commencer par le droit de vivre, permettre à « chacun de connaître en lui-même que la 50
faute d’exister n’existe pas et que sa faute d’y avoir cru… se dissout, se défait à ce soleil : l’amour est au principe. » (Maurice Bellet 100). Par-delà la formulation lapidaire de la première demande : un travail et un logement, autonomiser (le tenter, du moins) sans renvoyer la personne à sa marginalisation première. Lui offrir la possibilité d’élargir sa connaissance souvent aléatoire de ses droits et rester en soutien de la démarche proposée pour y révéler l’exercice d’une citoyenneté vraie. Méditer encore cette réflexion de Jacques Généreux : « Il est faux de soutenir qu’il n’y a pas de droits sans devoirs. En Europe, au moins, on considère que tout le monde a le droit de vivre quelle que soit sa contribution à la société (même les meurtriers). Et de quels devoirs préalables doit s’acquitter le nouveau-né pour avoir droit à son biberon ? En réalité il faut inverser la proposition : il n’y a pas de devoirs sans droits. » Et pouvoir nous demander si ouvrir l’avenir ne passe pas définitivement par la réassurance que c’est dans la reconnaissance de ce que Ricoeur appelait « l’endettement mutuel » que se résout la question de nos droits ?  (Voir « Accompagnement », « Innocence », « Projet »)   Dû. Certains voulaient supprimer le mot. D’autres le maintenir, mais le laisser vierge de tout commentaire, puisque rien n’est dû. (Voir aussi « Don »)   Durée. Carles est un lieu où l’on peut choisir de rester. Le projet de rester est aussi un projet acceptable pour tous, dans la mesure où il s’agit de vivre et de vivre là mieux qu’à l’extérieur. Cette proposition s’enracine dans la réalité des personnes accueillies, souvent hors des cadres ordinaires et à la limite de l’abandon institutionnel (malgré tous les efforts des institutions pour réduire ces limites) (Voir aussi « Choisir »)   Dynamique.
Arriver au mas de Carles, c’est s’inscrire dans une dynamique, accepter d’entrer dans un mouvement. Celle du « lieu » qui tente de promouvoir le beau et le durable. Celle d’un mode d’habitation qui privilégie l’espace individualisé et le confort (avec ses avantages d’être comme chez soi et ses risques d’enfermement dans ses addictions à l’abri des regards). Celle du « lieu à vivre » qui invite au vivre ensemble et à l’activité comme possibilité de grandir, de se former (VAE) et d’acquérir des compétences nouvelles, de réinvestir un réseau de relations jusque-là résumé à des intérêts relatifs. Tous n’y arrivent pas. Quelques-uns repartent aussi vite qu’ils sont arrivés. Ni tort ni raison : simplement un moment qui nous profite ou auquel on ne veut qu’échapper. 51
(Voir aussi « Beau », « Communauté », « Lieu à vivre »)   E       Eau.
Partout, l’eau est ce qui fait vivre. Et son absence mourir. On dit même qu’elle est une mère autant que le pain est un père. Mais elle n’est pas inépuisable, d’autant qu’elle provient d’un forage à quatre-vingt-dix mètres soumis, comme tout forage, aux fluctuations des saisons et des pluies. La terre de Carles n’a jamais brillé par le trop d’eau. Et le changement climatique qui accentue la sécheresse d’été n’arrange rien à cela. Aride, sèche, grillée par le soleil en été, elle demande attention et arrosage quotidien si l’on veut qu’elle donne du fruit. Le feu qui dévaste la garrigue et enflamme nos grands pins comme des torches, vient régulièrement sanctionner cet état de fait. Contrairement au dicton qui tient que « tous les méchants sont buveurs d’eau » (dont la preuve tiendrait dans le déluge) [79], l’eau invite les habitants du Mas au soin et à l’économie de la terre, comme d’eux-mêmes. Boire pendant la canicule est un réflexe de survie (encore plus pour les personnes âgées). Et être privé d’eau potable est, pour une partie non négligeable de la population mondiale, une épreuve sans nom, la cause de luttes acharnées et d’exodes sans fin. Pourtant, il ne faudrait pas oublier ce vieux proverbe tunisien : « la différence entre le désert et le jardin, ce n’est pas l’eau, c’est l’homme. » Pour nous éviter de nous reposer sur de fausses illusions : celles de croire que le salut vient avant tout d’un apport extérieur. Demandez donc à Raymond, celui qui est chargé de l’arrosage dans la maison. Etonnement : l’une et l’autre, l’eau et l’homme, sont bien au rendez-vous de nos fragilités. Une remarque encore, comme en passant, souligné par un autre proverbe, africain celui-là : 52
« Un homme boit de l’eau pour devenir beau… et regarde le ciel pour devenir grand… ». Retour à l’essentiel. (Voir aussi « Fragilité », « Produire », « Terre »)   Echanges solidaires. Participation aux activités et accompagnement socio-culturel : larticulation de ces deux temps est vécue comme un échange de services à travers lequel nous voulons casser un fonctionnement d’assistanat classique. Les résidents doivent pouvoir devenir (à l’intérieur comme à l’extérieur du mas) acteurs de leur vie, et non simples spectateurs. Il leur revient de donner corps à leur avenir. Nous ne souhaitons pas faire à la place de quiconque : demain, chaque personne devra être capable de retrouver toute seule le chemin de telle administration ou service. Accompagner la démarche (ni trop ni trop peu) est notre souci. Du coup, lors de son départ, chacun peut être serein : il a donné à la communauté sa quotepart de « travail » qui, en échange, lui a permis de se retrouver, voire (dans le meilleur des cas) de s’autonomiser. Cela va sans dire : comme toute approche, temps, échecs et réussites jalonnent cette mise en œuvre. Il va de soi que les « accueillants » participent également au travail de la communauté : l’appartenance au groupe est liée à cette dimension, veillant à l’épanouissement de tous dans le respect du projet associatif et du projet de chacun. Il s’agit, pour eux, d’apporter une aide simultanée à la gestion de l’individu dans sa quête d’identité et du groupe dans son harmonie comme passage obligé de la réalisation de chacun. Echange encore avec les personnes « extérieures » au mas : avec cet agriculteur qui s’est lancé avec le soutien du mas concrétisé par du prêt de matériel agricole ; avec cet ancien de la maison à qui le mas offre matériel et heures de travail ; cette personne soutenue dans l’installation de son activité en chèvrerie ; cette autre qui nous partage son petit lait… Plus encore, cette pratique de l’échange concerne celles et ceux qui nous partagent argent, pain, fuel, temps, etc. (Voir « Accompagnement », « Initiative de solidarité », « Participation », « Personne ressource »)   Ecologie.
Question à la mode ou réel lieu d’appropriation de notre monde ? Une manière de faire place à la « nature » et de la protéger ou une manière de faire sa place à tout le monde (écologie humaine) ? Ou encore, comment ne pas rejeter l’homme au nom d’une « écologie » qui préfèrerait la nature à l’homme « dénaturé » ? Tenter de nous redire que, dans le souci du 53
respect de la « maison commune, « une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres », comme le signale le pape François [80]. Le projet écologique que nous voulons mener au Mas ne se résume pas à tenir notre lieu propre ou à encourager les bonnes pratiques de tri et d’emploi de produits non polluants. Encore que cela doive s’apprendre (avec difficulté) au quotidien. Le projet écologique est aussi celui d’une écologie humaine : pouvoir s’intéresser à autre chose qu’à soi-même, évaluer « les contradictions d’un modèle de développement qui génère des contre-productivités sociales et environnementales majeures », comme le dit Corinne Pelluchon [81]. « Entendre la clameur des pauvres » c’est peut-être prendre le temps d’un accueil qui ne soit pas qu’une « garderie » améliorée, mais l’accueil des fragilités de chacun et le respect des différences (ethniques, sexuelles, philosophiques), le refus des addictions qui enferment les hommes dans leur paranoïa, le partage des tâches et la responsabilisation de tous, la possibilité d’une formation à partir de ces tâches… : « Nous ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la nature et à l’environnement sans assainir toutes les relations fondamentales à l’être humain », déclarait le pape François 104. C’est aussi notre volonté ! (Voir aussi « Compagnonnage », « Projet », « Militance »)      Ecouter. Entendre est une chose. Ecouter en est une autre. Car écouter cherche à comprendre. « J’écoute. Est-ce un lézard qui fuit dans la ravine ou ton soleil qui pleure ? » (Rabah Belamri) Se mettre à l’écoute de l’autre est un engagement, un risque à prendre. Car se mettre à l’écoute c’est se mettre à l’école : l’écoute est une des bases de l’enseignement : « Qui parle sème, qui écoute récolte », dit un proverbe Persan. Ecouter c’est encore accepter que quelqu’un d’autre parle… et parfois une autre langue que la mienne. Invitation à entendre même ce que nous ne comprenons pas. Peut-être alors risquer de reconnaître l’autre pour ce qu’il est ! Zénon d’Elée, trois siècles avant Jésus-Christ, disait déjà : « La nature nous a donné deux oreilles et seulement une langue afin de pouvoir écouter davantage et parler moins. » [82] Cette écoute était un des traits de caractère de Joseph Persat, le fondateur de la maison. Comme une seconde nature. Pour certains, ce peut-être aussi leur part d’épreuve, tant écouter peut être exigeant. (Voir aussi « Expression », « Parole », « Persat », « Silence »)   Educateur.
« Un soutien du moi défaillant », disent certains psychanalystes. « Technicien de la relation », disent les formateurs des écoles d’éducateurs. Ou encore : opérateurs de « re-liance », comme pour en finir avec les chimères de l’autonomie. S’agit-il de celui qu’autrefois la tradition appelait le « pédagogue » ? A ceci près qu’il s’agissait alors d’un esclave chargé de conduire les enfants de son maître à l’école. Par extension, à Rome, il sera le précepteur chargé de l’instruction d’un enfant de famille riche. Et donc il s’agissait d’enfants à former. On sait que lorsque Platon voudra transférer son art de pédagogue à la réalité du pouvoir et des adultes, il souffrira mille mots. C’est qu’éduquer des adultes, n’est pas soumettre des personnes (en précarité) à des normes sociales : cela risque de n’engendrer que de la violence. « Eduquer c’est permettre à un humain d’élaborer les « capacités structurelles » (liées à la structuration psychique, affective, relationnelle et sociale de l’individu) qui sont nécessaires à son existence actuelle comme celles qui lui seront indispensables dans l’inconnu de sa vie future » pour construire du sens (Jacques Marpeau 106) Et selon certains, cela ne se repère qu’au terme, puisque « le propre de l’éducatif est de disparaître dans l’ordinaire, le normal, le banal, quand il réussit. » 54
« Comment penser une posture professionnelle constituée par une connaissance de l’autre, une connaissance du cadre sociétal et institutionnel, un souci éthique et penser la relation. Autrement dit : comment accueillir l’autre dans sa singularité qui le constitue comme sujet ? ». Relayée par Karine Boinot, c’est sans doute une bonne question pour la gouvernance de la maison. (Voir aussi « Personnes ressources », « Salariés », « Compagnonnage »)    Egalité. « Et pourquoi lui et pas moi ? » Ce deuxième mot de notre devise républicaine est décidemment controversé sur place. Volontiers traduit par « égalitarisme ». Un mot dont nul ne sait trop quoi faire… quand bien même ce mot se voudrait le fil conducteur magique de notre république et d’un quinquennat. Egalité : pour dire que nul n’a le droit de violer la vie d’un autre. Et on parle d’égalité homme/femme. Ce qui n’est déjà pas sans difficulté, au regard de Marie Balmary : « On sait faire avec l’égalité, mais alors in veut faire disparaître les différences ; ou bien on promeut la différence, mais alors on ne reconnaît plus l’égalité. »[83]
Poussons un peu. Au-delà de la volonté de rétablir une égalité de salaire, de respect mutuel, constatons qu’il y a des inégalités partout, que nous en soyons d’accord ou non : grand/petit, gros/maigre, lent/rapide… L’essentiel n’est-il pas que chacun, dans son registre, fasse entendre sa voix, comme dans une chorale ? Ensuite il y a des inégalités établies comme de droit, par le refus (individuel, collectif ou institutionnel) de renoncer à la violence contre l’autre : nationalistes de tout bord revendiquant une supériorité qui instaure une inégalité contre les autres ; peuples rejetés par décisions politiques, enjeux guerriers et financiers : les Rohingyas en savent quelque chose, mais beaucoup d’autres aussi que la Méditerranée, les maltraitances, conduisent à la mort (physique, institutionnelle, civique). Plus loin encore, c’est la Chine qui rase les maisons des quartiers entiers de Pékin ou d’ailleurs, touchés par la grande pauvreté. Dont on s’aperçoit par après que des logements pour personnes plus aisées ont surgi à leur place. Cynisme et petits (ou grands) calculs. L’Europe n’échappe pas à cette vague, ni la France. Pour s’en persuader, il suffit de lire le résultat de la rencontre entre le ministre de l’intérieur et les associations de lutte contre l’exclusion (qui ont claqué la porte). Voulant faire libérer des places pour les « SDF en situation régulière » (un nouveau concept social, sans doute)[84], le ministre a rallumé la guerre entre les pauvres. Certains n’ont donc pas droit à la même égalité de reconnaissance et de traitement ? Il semble que ce ministre a oublié de travailler à l’émergence d’une lutte pour l’égalité entre précaires, ni pour l’analyse d’une situation qui fasse droit à l’égale humanité de tous. Ou bien regardons cette inventivité diabolique mise au service du matériel urbain, pour lutter contre la présence des SDF sur nos banc, dans nos entrées de garage et ailleurs. Le malheur des uns pour faire le bonheur des autres ? Ce n’est rien d’autre que la logique de tous les colonialismes revendiquant pour eux une inégalité de droit ! Retour à Joseph Wresinski parcourant le chemin de ces refus d’égalité : « Le plus pauvre le dit souvent : ce n’est pas 55
d’avoir faim ou de ne pas savoir lire, ce n’est même pas d’être sans travail, qui est le pire malheur de l’homme. Le pire des malheurs c’est de se savoir compté pour nul au point où même vos souffrances sont ignorées. Le pire est le mépris de vos concitoyens… Le plus grand malheur de la pauvreté extrême, est d’être comme un mort vivant tout au long de son existence. » [85]  Un dernier mot ? Dab=ns une lettre de Paul, cette invitation à donner à l’autre ce qui lui manque, « et cela fera égalité », dit l’apôtre. L’égalité comme le travail d’offrir à l’autre ce qui lui manque, à lui seul ? (Voir aussi « Obéir », « Politique »   Embrumes.
Carles a été construit au creux d’importantes carrières qui ont fourni la molasse marine du Burdigalien supérieur sélectionnée pour devenir les pierres de construction du palais des Papes d’Avignon. Le pape Benoît XII (1334-1342), ancien abbé de l’abbaye cistercienne de Fontfroide (près de Narbonne), fut l’initiateur de cette construction en même temps que de la mise en exploitation de cette carrière. Le quartier porte toujours la trace de cette activité puisqu’il s’appelle encore « les Perrières » (« li peiriere », en provençal, ce sont « les pierres »). Ces pierres ont été extraites de la carrière de Carles, dite carrière de saint Bruno. Par corruption, ce nom du lieu deviendra “Sanbrune”, puis les “Embrumes”. C’est ce nom que l’on retrouve sur les cartes d’état-major, aujourd’hui. C’est l’appellation que l’on choisira plus tard pour dénommer un des espaces du Mas, sur le site d’une ancienne anfractuosité aménagée par Joseph Persat au temps des commencements pour y déposer tout « ce qui pourrait servir »… ou pas ! Peu à peu cet espace deviendra dépôt de brocante (jusqu’à sa dispersion), lieu de stockage des confitures, proposition d’accueil marchand certaines matinées, vestiaire… 56
(Voir aussi « Argent », « Commencements », « Produire »)     Emploi(s). Travail. Emploi. Activités. Trois mots équivalents ? Pas à nos yeux. La maison est plutôt centrée sur l’activité, cette invitation faite à chacun de participer aux divers travaux pour tenir la maison debout (y compris financièrement), sources de formation possible et d’acquisition de diplôme dans le cadre de la VAE. Chacun gardant pour lui la majeure partie de sa rémunération propre (RSA, AAH, pensions, etc.). En nous redisant qu’activité n’est pas « emploi », ni recherche d’emploi, nous voulons redire que rechercher ou fournir un emploi n’est pas le rôle de l’association (à quelques rares exceptions près). C’est celui de l’Etat et des collectivités dont la fonction est bien fournir à tous ses citoyens un emploi source de ressources suffisantes pour vivre dignement. Même si la pertinence de cette déclaration semble fondre avec la boursouflure de nos égoïsmes, rappelons que le droit au travail est l’un des droits de l’homme proclamé à l’article 23 de la Déclaration des Nations unies de 1948 : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. » Et la constitution française reprend la même antienne : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » (1946), droit qui est repris dans la Constitution de 1958 qui fonde les bases de la VeRépublique. (Voir aussi « Activités », « Lenteur », « Travail »)   Encourager. Encourager : donner de l’assurance ! Penser à tout moment que ne souligner que le négatif ne permet pas aux hommes d’avancer dans l’estime d’eux-mêmes. Nous souvenir, le plus souvent possible, à l’occasion de rencontres où le reproche affleure, de ce que nous nous entendons dire, parfois à notre étonnement : « Mais, vous savez, je fais des efforts… ». (Voir « Dignité », « Illusion », « Regard »)   Enfants. Ils sont l’objet d’affection et d’attention respectueuse au mas.  Affection et attention que chacun a pour ses enfants, respect de leur liberté. Affection aussi pour tous ces « minots » qui viennent passer un moment à Carles, lors de visites de la ferme, de la journée portes ouvertes, respect de leurs questions, de leurs envies, de leur curiosité, de leur innocence. Ils remplissent alors la maison de leurs cris de vie, comme le firent ces enfants des commencements pour qui Joseph avait initialement cherché ce lieu pour aérer leurs parties de foot. Et le cri des parents au retour de ces après-midi de garrigues, le soir, quand « chacun
ramène avec lui l’odeur du thym, imprégné dans les semelles de ses souliers, jusque dans l’H.L.M.  « Les enfants sont rentrés, cela sent le thym », deviendra vite le refrain rituel des parents accueillant le retour de leurs enfants. » [86] 57
Non seulement ils ont leur place au Mas dans l’esprit et le cœur, les projets de chacun, mais il nous revient de nous souvenir qu’ils sont à l’origine de cette « trouvaille » sur laquelle Joseph bâtira l’espace d’un accueil pour les plus pauvres de notre société. Voilà pourquoi nous ne pouvons que les accueillir avec un grand plaisir et leur offrir ce qu’il y a de mieux. A travers eux, retrouver en nous l’enfance, celle qui nous invite à découvrir encore « tout ce qui n’est pas écrit » (J. Brel) au grand livre de nos vies, avec « le droit de rêver encore » l’avenir et de déployer les audaces qui le font naître. (Voir aussi « Famille »)   Engagement. Et quelques bénévoles de demander : « Et le mot engagement ! Pourquoi n’apparaît-il pas ? » Alors voilà. Tout est parti de l’engagement de Joseph vis-à-vis des plus pauvres de notre société. Partout où il est passé. Jusqu’à sa rencontre magique avec le mas de Carles, ses pins et son ombre cathédrale. Au début des années 60, au nom de l’Evangile, le père Joseph Persat commence à accueillir des hommes et des femmes en difficulté, dans une ancienne ferme provençale entre Villeneuve les Avignon et Pujaut : le Mas de Carles. Cette initiative de solidarité se donne pour vocation de leur proposer un temps de récupération pour repartir dans leur vie. En 1981, cet engagement premier de soutien aux plus pauvres de notre société donne naissance à une association loi 1901 dont le fondateur fixe les buts, en forme de testament spirituel : « entrer dans ce mouvement d’accueil pour le développer et le soutenir avec
désintéressement ». Par-delà les difficultés, fraternité et compagnonnage sont nos maîtresmots, pour ne pas laisser les plus pauvres seuls face à la puissance des puissants ou supposés tels : pour que notre monde ne soit pas plus malade demain. Et tout se poursuit grâce à l’engagement des celles et de ceux qui comme lui ont accepté d’entendre la détresse des uns et des autres ; ont voulu participer à l’œuvre de Carles et poursuivre l’intuition du fondateur, salariés et bénévoles. Mais ce serait trop peu, si l’on omettait l’engagement fondamental des « résidents », des personnes accueillies à longueur d’année par Joseph et les héritiers de cette maison, de l’association. Et ne pas omettre est bien trop peu encore [87] : sans l’énergie de celles et ceux qui vivent sur le lieu, rien ne se serait fait et très peu se ferait encore. Leur engagement est premier et fondamental. Cette présence est la clé de notre dynamique. Et notre engagement est de la rendre toujours plus fraternelle. Au-delà de cela, cet engagement est aussi fidélité. Fidélité de Joseph à ses choix pour les plus pauvres. Fidélité des bénévoles au projet esquissé par Joseph et régulièrement redessiné depuis par l’association. Fidélité des résidents à la prise en charge du lieu à travers leur prise de responsabilité et leur volonté de faire ce qui se peut pour que vive le lieu. Fidélité d’une équipe de salariés, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle vit son engagement dans la durée, au service de l’association et celles et ceux que l’on y accueille. 58
(Voir aussi « Commencement »)   Entraide. Un des mots clefs des « lieux à vivre ». Cela paraît simple. Mais la réalité vient bien vite démentir cette fausse simplicité : des salariés n’ont pas envie de « faire » sans être payés ; des résidents font obstacles vis à vis de ceux dont l’activité déborde ce qu’ils considèrent comme une limite (l’activité l’après-midi) même si cela les aide dans leur lutte contre l’alcool et autres produits ; des bénévoles sont plus soucieux de leur place et de leur reconnaissance que de la fécondité de l’échange entre tous. Et pourtant, envisager le collectif est impossible sans lui offrir notre visage, sans lui prêter nos mains, sans y mettre du temps et notre intelligence. Et la volonté de n’être pas dans l’entre-soi de nos petits fonctionnements (y compris monétaires). L’entraide vient dire le refus de la solitude et de l’enfermement dans l’individualisme ; que notre maison est cette occasion offerte d’avoir besoin de l’autre pour donner corps à nos présences et gratuitement : ce que La Fontaine qualifie de « loi de nature » 112. C’est encore aujourd’hui un des maîtres mots du monde de l’agriculture (juridiquement très encadré). Pour ouvrir à plus qu’à son monde. Au-delà de la gestion commune de la ferme, c’est aussi ce que vise l’accueil global proposé au Mas : un lieu d’entraide entre résidents, bénévoles et salariés, exprimé dans le projet associatif et repris sous forme concrète dans le projet d’établissement géré par les salariés. (Voir « Compagnonnage », « Ferme »)    Entreprendre. « Il est plus aisé de bâtir des cheminées que d’en tenir une chaude », dit un vieux proverbe anglais [88]. Première sécurité : point trop n’en faut. Et particulièrement, faire dans ce que nous savons faire. Pas simplement multiplier les initiatives, mais permettre à celles que menons de durer et d’offrir à tous un espace de vie élargie. Entreprendre encore : quoiqu’agissant dans un cadre souvent lourd et exigeant, prendre le temps de militer pour une transformation sociale qui dépasse le cadre « étroit » de notre responsabilité quotidienne. Une manière de faire exister la personne morale (l’association et son projet) et pas seulement l’établissement. Bref, donner une âme, en nous posant la « question de savoir ce qui peut encore faire lien entre tous les hommes que nous sommes » (Roland Janvier, Jean Lavoué, Michel Jézéquel) ! Entreprendre : refuser d’entrer dans le jeu du marché (en faisant le jeu de la concurrence entre associations, par exemple) et faire vivre le cœur de la vie associative : se tenir à l’affût, éveiller les capacités de chacun ; « se tenir au côté des hommes » et de leur capacité d’auto-
organisation. (Voir aussi « Projet associatif », « Réussir ») 59
  Envie. C’est un mot souvent répété entre tous : j’ai envie ! As-tu envie de rester ici ? Une autre manière de se dire que vivre au Mas n’est pas sans intérêt, tant il est vrai, comme le disait Goethe que « l’envie ne se glisse jamais dans les greniers vides. » Bien sûr, il ne s’agit pas là du sentiment désagréable qui vient parfois miner nos meilleurs élans et étouffer notre désir de vivre ensemble, mais plutôt de ce sentiment qui vient nourrir notre geste pour l’autre, pardelà nos difficultés. Un mot et une réalité qui peuvent nous aider (qui que nous soyions) à mesurer notre désir d’être là et notre bonheur à partager. Sans l’envie d’être là, rien n’est plus ni possible ni heureux. (Voir aussi « Désir »)   Environnement. L’environnement c’est ce qui entoure. Le Mas de Carles est le lieu d’un projet, de sa réflexion, de son organisation, de son développement, et ce lieu est en lien avec un environnement social, économique, politique et culturel. Le lieu à vivre n’est pas une île aux Robinsons, c’est un lieu qui quotidiennement échange avec un environnement (réseau des Lieux à vivre, réseau des bénévoles, réseau des collectivités territoriales, réseau de commercialisation des produits, réseau de la formation professionnelle, réseau culturel (patrimoine, Cinéchange)… Ouvrant de toute part sur la garrigue, cet espace signifie que tous peuvent entrer et sortir dans une forme de liberté et pour en permettre l’exercice. « Voir « Espace », « Terre », » Nature »)   Errance (et exil). L’errance est une des réalités clefs de la vie des hommes accueillis au Mas. Et une réalité à laquelle ils ont de plus en plus de mal à faire face (contrairement à une part de ceux qui déboulaient autrefois ici. Encore que… !) Se poser là c’est, pour un temps, interrompre l’errance, renoncer (au moins provisoirement) à l‘exil de ses lieux, de sa vie. Encore que ! Qui de nous ne peut murmurer pour lui-même : « Je suis né d’un exil : l’expulsion fut ma naissance. Et je vis dans le sillage de mon exil… là se dénouent les pièges de nos simulacres, tombent en poussière nos masques… Là s’enfante, incertaine, douloureuse et fragile, la souveraine liberté du cœur…  » [89] ? Se détacher n’a rien à voir avec l’indifférence (Karine Boinot).
maison. Peut-être après tout faut-il faire retour au plus essentiel : « Dans l’exil le but n’est pas le retour à la maison (comme Ulysse), mais la fondation (comme Enée). Il ne s’agit pas de reproduire à l’identique mais de fabriquer de l’autre (à commencer par soi-même)… L’exil oblige à abandonner la langue maternelle… c’est avec la langue de l’autre que l’on se fait une 60
C’est aussi le temps de mesurer ce que l’errance a dévasté du rêve d’un retour possible : l’errance est, pour une bonne part, un exil plus ou moins volontaire (les circonstances sont multiples) mais souvent assez définitif. Quelques-uns ont bien tenté un retour, toujours soldé par un échec… et une nouvelle errance ou un retour au Mas ou un lien fort maintenu avec la nouvelle patrie. » [90]Exil et métamorphose. L’errance comme la possibilité d’entrer dans une autre construction de soi-même et du monde ? (Voir aussi « Différence », « Etranger », « Illusion »,  « Métamorphose », « Sédentaire »)   Espace. Espace désigne « l’étendue, le volume destinés à un usage particulier » (Larousse). « Espace » parle à la fois du lieu mais aussi de la durée : sans espace, sans respiration entre les mots, le récit est illisible, la parole n’est qu’un bruit sourd ou assourdissant. Sans « espace » (l’intimité due à chaque existant) la vie pourrait bien manquer de souffle, devenir étouffante. C’est ce que l’on ressent quand on arrive à Carles : ce lieu se donne comme une étendue, un ensemble (sans limite ?), sans notion de barrières territoriales. Où, en tout cas, la limite est suffisamment élargie pour offrir cette grâce d’un « espace » donné à la respiration de chacun. Ce que certains (promeneur ou habitant) perçoivent lorsqu’ils s’assoient au « théâtre de pierre », sous la place de la Fontaine : en portant le regard au Sud c’est la garrigue qui s’offre, pour y entrer ou pour en sortir ! Pour entrer en soi-même ou s’extraire d’un moment difficile. (Voir aussi « Accueillir »)   Espérance. Tenter toujours de maintenir une porte ouverte, un espace où il sera possible de mieux respirer pour celles et ceux que nous accueillons, par-delà les addictions, les histoires inabouties ou cassées, les étrangetés de comportement, les limites psycho-affectives auxquelles tou(te)s se heurtent. Est-il encore raisonnable d’espérer changer le cours de la vie de celles et de ceux que nous accueillons… voire même de donner des idées d’une autre vie au monde hors de Carles ? Dans la Bible, une parole pourrait nous décourager : « Des pauvres vous en aurez toujours. » (Mt 26,11). Retour à l’histoire de l’enfant et de l’étoile de mer : « Alors qu’il marchait à l’aube sur une plage, un vieil homme vit devant lui un jeune garçon qui ramassait des étoiles de mer jetées sur le sable par la tempête, et les jetait à l’eau. Il lui demanda pourquoi il agissait ainsi. Le jeune homme lui répondit : « Les étoiles de mer vont mourir si je les laisse là jusqu’au lever du soleil. » Le vieil homme regarda la plage, à droite, puis à gauche. Il y avait des milliers d’étoiles de mer, partout, et le soleil allait se lever d’une minute à l’autre. Cela n’avait donc aucun sens d’essayer de les sauver. Il dit alors au jeune garçon : « Mais le soleil va bientôt arriver ! La plage s’étend sur des kilomètres et il y a des milliers d’étoiles de mer ! Quelle différence cela va-t-il faire d’en sauver une ? » Le jeune homme regarda l’étoile qu’il tenait dans sa main, la lança dans l’écume et répondit : « Cela fera une différence pour celle-ci… »
Espérance encore, devant les échecs et les refus, dont peut témoigner cette autre petite histoire : « C’était un magicien de la harpe. Dans les plaines de Colombie, il n’y avait pas une 61
fête sans lui. Pour que la fête fut une fête, Mesé Figueredo devait être là, avec ses doigts dansants qui égayaient les airs et affolaient les jambes. Une nuit, sur un sentier perdu, des voleurs l’ont attaqué. Mesé Figueredo revenait d’un mariage, à dos de mule, lui sur une mule, la harpe sur une autre, quand des voleurs se sont jetés dessus et l’ont roué de coups. Le jour suivant quelqu’un l’a trouvé. Il était allongé sur le chemin, torchon sale de boue et de sang, plus mort que vif. Avec ce qui lui restait de voix, il a dit : « Ils ont emporté les mules. » Et il a ajouté : « Ils ont emporté la harpe. » Et il a repris son souffle et a ri : « Mais ils n’ont pas emporté la musique. » [91] Rendre son souffle à la musique de la vie en chacun. Comprenne qui voudra ! (Voir aussi « Dignité »)   Estime de soi. C’est cette capacité des personnes à juger de leur propre valeur. Quand elle manque, elle renvoie les personnes soit à une surestimation d’eux-mêmes (par compensation) soit, au contraire, à l’effacement de soi, à la solitude ou à la dépression (il y a tellement mieux que moi). Ou encore à la haine de soi et à la dilution de ses angoisses existentielles dans l’alcool et autres produits. Bref, cette notion participe à l’équilibre psychique de la personne. Elle est le haut lieu de la « hiérarchisation de nos actions » et de la valeur de nos comportements : « Le souci de soi est- il un bon point de départ ? », interrogeait Paul Ricoeur. Oui, car le soi « ne se confond pas avec le moi, donc avec une position égologique que la rencontre d’autrui viendrait nécessairement subvertir… C’est en appréciant nos actions que nous nous apprécions nous-mêmes. » [92] Sans quoi trop d’estime de soi pourrait bien se déformer en autoritarisme, voire en pire. Là où la sollicitude pour le plus faible ne vient pas compenser une forme d’inégalité dans la relation, il y a risque de sa perversion en domination sans partage. Equilibre difficile, tant les traces de l’histoire de chacun (sans excuser pour autant) peuvent imprimer leur marque dans l’aujourd’hui de chaque vie… ou pas, diraient certains). Estime de soi est-il synonyme de confiance en soi ? Nous vivons trop souvent l’inverse, la rencontre d’hommes qui, au regard de leurs actions passées, ne se jugent pas dignes de la moindre considération et sont perpétuellement dans la dévalorisation : cela devient vite un combat impératif à réguler par le biais des activités et d’une mise en dialogue permanent. Entrer dans l’acquisition du fait que ma « valeur ne dépend pas de (ma) performance… il n’existe aucune corrélation entre estime de soi et QI ou sex-appeal. » [93] Un vrai travail… de romains, le plus souvent ! Dire que cela ne touche pas que les résidents est de l’ordre de l’évidence. (Voir aussi « Autre », « Individualisme », « Utile/Inutile »)  
C’est une réflexion, un temps de recul qui permet de déterminer le bien agir en tenant compte des contraintes relatives à des situations déterminées… Elle est un positionnement critique sur les normes de conduite… elle désigne le questionnement de l’action sous l’angle des valeurs et cherche à dépasser une logique d’action purement technique. »[94][95]. Exemple : « Je 62
Ethique.  ne reconnais comme seule règle archiéthique que le refus d’humilier, le soin et le souci de ne pas humilier » (Philippe Lacoue-Labarthe). En fait, il s’agit de donner du sens à nos pratiques vis-à-vis de l’humain, par-delà coûts, équilibres budgétaires, pressions administratives. Ne pas réduire l’autre à ce que j’en sais. Le vouloir différent et s’en émerveiller. Et encore, autre versant éthique, entendre le poète : « Songez qu’on n’arrête jamais de se battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien / Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable » (Aragon). Pour nous redire que rien de ce qui fonctionne, aucune institution n’assurera jamais la victoire de l’humanité en l’homme, sauf notre entêtement à ne vouloir pas l’oublier, dans « l’incessante mise à l’épreuve de soi par l’autre et de l’autre par soi. »120 (Voir aussi « Bienveillance », « Morale », « Sens »)   Etonnement. C’est ce sentiment mêlé d’admiration qui nous saisit certains jours quand un homme naît à lui-même alors que rien ou peu le laissait présager. Celui-là s’arrête un jour de boire. Cet autre stoppe le « shit » après de multiples et vaines promesses. Cet autre, encore, se met à l’activité malgré le désordre dans sa tête et la peur de devenir un parmi nous. Et celui-là poursuit sa tâche, malgré l’alcool qui érode peu à peu sa confiance en lui, confirme se faiblesse jusqu’au moment de l’aveu de lui-même à l’un ou l’autre des salariés. Toujours nous souvenir de ce que racontait Lao-Tseu (VIème siècle avant Jésus-Christ) : « Le plus grand arbre est né d’une graine menue. » (Voir aussi « Compagnonnage »)   Etranger. Personne accueillie ou non dans les murs de la maison : ce mot fait débat de nos jours. Avec les mots associés : trop nombreux, trop coûteux, invisible, méfiance, rejet, noyade, facilitateur économique, OQT, visa temporaire, carte de séjour, illégal, agressif… Qu’est-ce qui fait que celui-là est un étranger ? Sa couleur ? Son origine ? Sa religion ? Est-il un problème ou un apport nécessaire pour permettre à nos sociétés, à nos associations, à notre association de respirer et de s’épanouir ? Simone Weil écrit, dans La pesanteur et la
grâce : « Aimer l’étranger comme soi-même implique comme contrepartie s’aimer soi-même comme un étranger. » Après tout, n’arrive-t-il pas à chacun de se trouver étranger à lui- 63
même ? (Voir aussi « Errance », « Migrants »)   Evaluation. Bien sûr, il y a la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 et l’obligation faite aux maisons comme la nôtre d’évaluation interne et externe pour mesurer l’amélioration continue du service rendu et prétendre à la reconduction de leurs financements. Et démontrer (par des écrits réguliers, des « récits de vie ») que notre mode d’accueil est pertinent et permet aux résidents de vivre mieux. Il y a aussi le chemin pour chacun à entrer dans une évaluation de son propre chemin au Mas. Et pour l’autre de s’imaginer maître du chemin des autres, quand il confond évaluation et contrôle.   Evangile. « Née à l’initiative du père Joseph Persat, l’association est le fruit de la rencontre de deux urgences : la situation des plus pauvres, leur accueil, leur défense, leur promotion et l’évangile à vivre au présent de la vie des hommes » indique la plaquette de présentation de l’association. Et c’est bien ainsi, par une citation évangélique, que commence le testament spirituel de Joseph : « Un homme découvrit un trésor, caché dans un champ. Dans sa joie, il s’en alla, vendit tout ce qu’il possédait et acheta le champ (Evangile de Matthieu 13,44). Cet homme, c’est moi-même. Le trésor, c’est le Mas de Carles. » Ce langage d’évidence était bien le « lieu » de Joseph… Et celui d’un certain nombre de celles et de ceux qui ont accompagné ou poursuivent son initiative auprès de quelques-uns des pauvres de notre région. Pour autant, l’évangile n’est pas inscrit comme tel dans les statuts de l’association et il n’est pas demandé à qui veut venir au Mas son certificat de baptême ! Pour ne pas réduire toute forme de spiritualité à ma relation à l’Evangile. Rien à brader pour moi, pour autant. Jacques Ellul, pour guide : l’Evangile, « la Révélation n’est en rien là pour nous donner des explications sur tel point intéressant, mais pour nous poser des questions sur l’homme et sur chacun de nous, pour nous amener à entendre des questions ou une question. » [96] C’est bien ainsi que Joseph semblait comprendre son adhésion à l’Evangile. Répondant à une question sur ce qui l’avait amené à fonder le Mas de Carles comme lieu d’accueil des exclus, il
répondra ceci : « Il y a l’Evangile, bien sûr, que j’ai surtout reçu pendant mon séjour en captivité. Là, j’ai beaucoup vécu avec des hommes et c’est là, justement, que j’ai approfondi ma foi. Dans l’Eglise, je n’avais pas remarqué tellement d’insistance sur l’accueil des pauvres… ou alors j’étais inconscient. A partir de la guerre, je me suis rendu compte que l’accueil des pauvres était important. Et en relisant l’Evangile, j’ai vu que c’était essentiel. Depuis cette époque, j’ai toujours accueilli chez moi, même quand je n’avais pas de locaux pour cela. Quand j’étais curé de paroisse, mon presbytère était ouvert nuit et jour et j’ai reçu toutes sortes de gens… La personnalité de l’Evangile se découvre à travers la vie. Saint Vincent de Paul allant ramasser les gosses dans les poubelles de la capitale, annonçait bien Jésus-Christ par ce gestelà ! » [97][98] Sa manière de répondre à l’invitation (qui était aussi une nouveauté) du pape Benoît XV « à ne pas considérer l’action sociale, malgré ses aspects économiques, comme étrangère 64
au ministère sacerdotal 123. » Voilà bien un trésor à ne pas laisser perdre, de quelque clocher qu’on se réclame. (Voir aussi « Commencements », « Croyant », « Persat », « Prière », « Spiritualité », « Testament »)   Evolution. Qui de nous n’a jamais évolué dans sa vie ? C’est le cadeau que nous devons nous faire entre nous, jour après jour. Les projets d’accueil de la maison évoluent eux aussi, en fonction des événements et du temps qui passe. Les situations des hommes et les hommes également. Quelles exigences en découlent pour nous ? A quels changements allons-nous être appelés dans nos pratiques, nos volontés, nos projets, nos formes concrètes d’engagement ? Pour une meilleure cohésion de la communauté, du collectif ? Sommes-nous (encore) capables de faire confiance à la capacité d’évolution des personnes autour de nous (résidents, bénévoles, salariés), même si cela exige de nous des retours sur nous-mêmes ? Peut-être aussi faire notre cette réflexion de Dominique Sampiero, à propos de ce qui se pense en face de nous : « Comment soupire un arbre et que pense-t-il des gens qui vont et viennent sous ses larmes ? Que voit-il des oiseaux, du ciel sur sa tête et des remous de la terre sous ses racines ? Pourquoi faisons-nous comme si chacun de nous croyait le peuplier sourd, muet, aveugle ? Un regard vaut-il mieux qu’une racine ? » [99] (Voir « Projet », « Regard »)   Exclusion.
L’exclusion porte en elle son poids d’immobilité et d’enfermement mortifère. Elle désigne également les priorités à mettre en œuvre : priorité à être là plutôt qu’à la rue : pouvoir poser sa valise ; priorité médicale ; priorité administrative : être (r)établi dans ses droits ; priorité thérapeutique (soins psy) ; priorité de restaurer une relation de confiance avec soi-même (estime de soi) et au sein d’un groupe (compagnonnage). La pratique d’accueil des « Lieux à vivre » veut être une proposition pour répondre à ces priorités, entre le tout CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) et le rien de la rue ; une réponse alternative entre le tout de la mise à l’emploi (et de préférence en six mois) et le rien de l’errance et de la reconduction de situations abandonniques. Les piliers de nos actions, liés et indépendants les uns des autres, veulent permettre aux personnes et aux politiques sociales de sortir de l’impasse de l’actuel « tout ou rien », la rue ou l’inclusion sociale. Est-il utile de préciser qu’on peut construire à partir de l’un de ces piliers sans avoir les moyens d’accéder aux autres, pour un temps plus ou moins long ? La souplesse de la formule permet d’envisager d’accueillir sans pour autant imposer la programmation préalable d’un « parcours » obligatoire : allers et retours peuvent donc rythmer sans dommage cette forme d’accueil. Certains disent que la limite entre « inclusion » et « exclusion » est toute relative. Beaucoup de ceux qui ont basculé dans l’exclusion en témoignent : avant… Que faisons-nous de la reconnaissance de la faiblesse de cet écart pour nos vies et la reconnaissance de celle des autres ? 65
(Voir aussi « Accueillir », « Migrant »)   Exister. Imaginer la vie telle que nous la voudrions ou bien accueillir ce qui nous vient de la vie ? Entre nostalgie de ce que nous avions imaginé et fragilité de l’aujourd’hui confit dans les sécurités dont nous l’enrobons pour nous persuader d’exister : un espace pour nous et pour la vie ? « La responsabilité n’est pas liée à la situation dont nous héritons, mais à ce que nous allons en faire. » (Picard). Invitation à renoncer à nos routines, à nos œillères. Exister n’est pas un chemin tranquille, mais l’autre nom de nos volontés à prendre en main ce qui est possible du possible à réaliser. Epreuve, même pour les plus doués d’entre les hommes : « Je ne sais comment venir à bout de cette éternité du jour, comment combler ce gouffre. Comment traverser ce désert »écrivait Christian Bobin [100]. (Voir aussi « Vivre »)   Expérience. Est-il vrai que l’expérience ne soit qu’une lanterne que l’on porte sur le dos : elle éclaire le passé, mais ne fait que de l’ombre par devant soi, comme l’affirmait Confucius ? Ce que semblait confirmer, à sa manière, Goethe : « Plus on fait de progrès dans l’expérience, plus on approche de l’impénétrable ; plus on apprend à utiliser l’expérience, plus on voit que l’impénétrable n’a aucune utilité pratique. » [101] Et les sportifs se souviennent sans doute de la boutade d’Eugène Saccomano (célèbre commentateur sportif) : « L’expérience est un peigne pour les chauves. » D’autres, évidemment en parlent tout autrement. A commencer par les paysans pour qui « l’expérience en culture passe science ». Qui faut-il croire ?
En tout cas, ici, nous savons que redonner place aux gestes pratiques d’expériences passées, permettre aux mots acquis d’une expérience d’exhumer des richesses enfouies peut être, pour celles et ceux qui décident de se poser au Mas, d’acquérir une autre stature. Le retour sur l’expérience de soi peut être le chemin d’une reconquête. Car rares sont ceux qui ne peuvent revendiquer un geste, une formation acquise, une profession ou un statut passés, une famille en attente, une communauté de vie où il a été bien… (Voir aussi « Risques ») 66
  Expression(s). Quand les bénédictins introduisent la cloche dans les villages, ils redonnent des repères à toute la population. On exprime le jus d’un fruit, d’un arôme . Ex-primer, c’est sortir, faire sortir quelque chose de l’intérieur vers l’extérieur. C’est aussi communiquer quelque chose de subtil, d’intime. Mettre la main à la pâte : participer à la création collective. Parole, geste, regard, attitude, posture : autant d’expression qui permet aux hommes de dire leur présence, leur utilité… Toute expression est liée à une culture, à des codes communautaires : par exemple, se serrer la main était autrefois une manière de montrer qu’on n’avait pas d’armes sur soi. Dans certains cas, des religieux refusent de serrer la main de femmes, d’autres croyants : pour ne pas se compromettre avec des inégaux. Pour un occidental c’est devenu un geste d’urbanité, l’expression d’une confiance entre égaux. (Voir aussi « Créer »)     Extérieur. On ne peut pas tous être au Mas de Carles ! C’est ce que rappelait Bernard lors de la veillée de témoignage la veille de l’enterrement de Joseph Persat : « Si vous ne nous voyez pas plus souvent au Mas, c’est que le père Persat a tellement bien semé que, parfois, on travaille dans d’autres terres que Carles. Ce soir, nous sommes tous là pour nous souvenir et fêter ces semailles… Et Martine concluait : « D’ailleurs, on ne vous supporterait pas tous ici. » [102]  Une manière de dire que nous préférons quelques fois nos défauts aux trop grandes qualités manifestées par quelques-uns : « Un diamant a-t-il quelques défauts ? il est encore bien plus précieux qu’une pierre commune qui n’en a aucun. » (Citation chinoise). Cela peut s’appliquer aux résidents qui, pour certains, ne sont que de passage. Cela s’applique aussi à ceux qui sont en lien, à l’extérieur, qui ne font que passer, mais font rayonner Carles autrement : l’extérieur peut-être une source lumineuse pour l’intérieur.  Le Mas de Carles pourrait-il exister sans ces passerelles vers l’extérieur sans cesse renouvelées, qui nous offre ainsi le pain, le fuel, les coups de mains, les contacts ? Et serionsnous capables de tenir encore au plus près des personnes accueillies, si la réalité du dehors ne se donnait pas à voir, nous invitant à revisiter nos intuitions d’accueil, tant le rapport de notre société aux pauvres qu’elle fabrique et les situations de pauvreté elles-mêmes évoluent, se complexifient ? L’extérieur est un point d’ancrage pour notre accueil. (Voir aussi « Inégalités », « Espérance »)   67  F     Faire. On ne sait pas tout faire, ni faire tout le temps. Notre engagement est le plus souvent partiel (sans qu’il y ait faute, ni jugement de quiconque). Compétences limitées, enfants, petitsenfants, maladies nous prennent également du temps, de manière parfois inopinée. C’est la vie. Mais toujours accepter de nous interroger, malgré la blessure de la question : « Si nous en
faisons tant, et parfois trop, n’est-ce pas, une fois encore, parce que nous n’avons rien de vraiment commun avec ceux qui n’ont nulle part où aller ? Ne s’agit-il pas de se faire pardonner une séparation de corps et d’esprit irréversible, qui touche à l’essentiel ? Un essentiel qui aurait l’allure d’un avenir partagé, qui nous garderait réellement ensemble, au-delà de telle rencontre, de tel secours, de telle aventure menée de concert ? […] Notre conscience collective s’échine à inventer, diversifier, multiplier, améliorer les places qu’elle propose aux pauvres, tout en demeurant aveugles sur sa façon propre de ne jamais faire de place qu’à elle-même… comme si nous-mêmes n’avions jamais besoin des services des pauvres que de façon accessoire, supplétive. »[103] 68
Faire ensemble : passer de la mitoyenneté au partage de vivre… Invitation à prendre au sérieux la remarque de Paul Ricœur : « Dès lors que quelqu’un exerce un pouvoir sur quelqu’un d’autre en agissant, la possibilité de traiter autrui comme un moyen et non comme une fin est inscrite dans la structure même de l’agir humain. » 129 Mais aussi, on peut se cacher dans le « faire », comme ce ne peut n’être parfois que l’alibi de nos prises de pouvoirs : « On court, on s’agite, rien que pour faire croire que l’on connaît la sortie » (Jean-Louis Giovannoni). On vient parfois pour faire une activité en particulier. Avec le risque de vouloir maîtriser la totalité de cette activité sans plus laisser de place à d’autres, en faire sa « chose » (et croire que, nous désengageant, cette activité n’est plus à / de Carles mais peut quitter le Mas avec moi) ! (Voir « Activité », « Bénévole »)   Famille. On peut parler de la grande famille de Carles qui, comme toute famille, est marquée par des relations de proximité et par des querelles ordinaires ou plus durables : le nombre et les horizons différents suscitent inévitablement les unes et les autres. On peut aussi parler, à l’occasion de ce mot, des liens que les résidents tentent de recréer avec certains des leurs, après une errance, un rejet, un refus… famille de chacun, privilégiée, présente, absente, perdue, cherchée, retrouvée : objet d’espérance et peur de nouveaux refus. Travail incessant pour réparer les ruptures ou les justifier ; pour tenter de refaire le lien des fraternités, paternités perdues ou fuies. C’est aussi, quelquefois la famille de chacun qui s’agrandit par l’accueil dans le cœur des membres de la famille de Carles à l’instar de Jean qui les portait tous en lui. (Voir aussi « Enfants », « Maison »)   Fatigue. Inscrit dans le référentiel d’évaluation de nos pratiques de compagnonnage : Activités, effets sur les gens : « Fatigué, mais ça va ! » La fatigue, comme le lieu d’une saine reconnaissance de soi : « La fatigue va en vous d’un pas léger, comme la jeune fille qui rentre après minuit dans la maison de ses parents : lorsque vous vous apercevez de sa présence, il est trop tard, elle a déjà fait son lit dans votre cœur… » [104] La fatigue est pour l’homme l’autre nom d’une vie remplie… à moins qu’elle ne devienne celui de la maladie qui a tout envahi ! (Voir aussi « Activités », « Malade »)   Ferme.
C’est un des mots qui qualifie le Mas. Autrement que comme un lieu d’accueil de paumés plus ou moins perdus dans leurs addictions : un lieu qui produit du bon, du bio, de la qualité : les ventes dans quelques bons restaurants, sur le marché de Villeneuve, les manifestations du type « ferme en ferme » (qui a déplacé plus de six cents personnes chaque année depuis 2015) en témoignent. C’est aussi un mot qui qualifie autrement la maison et les hommes qui l’habitent. Comme des producteurs, comme des acteurs de leur vie. Dans cette dimension, le Mas a reçu plus de 40.000 € en 2015 au titre du subventionnement européen de la Politique Agricole Commune (PAC) : autre chose que d’attendre indéfiniment un hypothétique salut de la part d’un tiers. Qui a permis un rapprochement avec les professionnels du monde agricole et permis de participer à des actions comme les AMAP ou le « Printemps des jardins » qui accueillent sur place plus de 600 personnes sur un week-end ! Dans une société si prompte à vouloir rentabiliser l’argent qu’elle distribue, l’activité de la ferme est aussi une manière de donner du sens et de valoriser une allocation type Revenu de Solidarité Active. 69
(Voir « Activités », « Bio »)   Fêtes. Anniversaires, Noël et Nouvel An, Pâques, fin du ramadan, Aïd, Saint Joseph… : autant que possible donner un espace à ces temps, repères de la construction de chacun et notre vie en commun. Ces temps de fête et de célébration donnent du corps à la communauté. (Voir aussi « Communauté »)   Finances. Dans l’esprit de beaucoup il est devenu naturel que bonne partie des finances de l’association proviennent des dons de beaucoup et du partage des gains des activités des résidents pour l’amélioration de la vie de la communauté. Cela veut dire que la solidarité est bien l’affaire de tous : donateurs, résidents, Etat et collectivités. Avec une question : l’accroissement de la part privée dans nos financements ne nous fait-il pas courir le risque de réduire l’existence de Carles (et des structures similaires à la nôtre) à sa seule capacité à générer de l’argent ? Une bonne structure est une structure qui rapporte. N’y a-t-il pas danger de sortir de notre rôle de quasi « service public » pour faire de l’accueil des plus en difficulté de notre société une affaire privée et optionnelle ? La possibilité de choisir cette logique libérale appliquée à la gestion du social pose une sacrée question de fond (AG 27 mars 2007). En toile de fond l’interrogation rapportée (entre autres) par Régis Debray : « L’idée qu’à toute expression doit correspondre une valeur chiffrée, que ce soit en taux, en score, en performance ou en part de marché, c’est quelque chose de sidérant… » (Voir aussi « Argent »)   Folie.
Folie de l’errance et de la rupture qui refuse à celui qui y cède toute reconnaissance et toute place à ses yeux. Folie de l’alcool qui pollue la vie et fait déraper toute logique et toute relation. Folie des produits interdits qui recouvrent la vie du voile d’une fausse paix ou d’une fausse assurance. Folie des mélange médicamenteux qui éloignant de la vraie vie et rongent les corps. Folie de la surenchère : une maison et un travail, tout de suite, quand tout le monde sait que cela ne peut pas être tenu ! Folie des idéologies de la bonne conscience de l’économie libérale ou des refus de l’ordre établi : il n’y a que les fainéants qui ne trouvent pas de travail. Et s’ouvre le gouffre sous les pas de qui veut le croire et s’enfermer dans cette logique mortifère ! Et à 70
chaque fois, chaque personne « ne dispose là que du morose état-civil de ses prisons, de son expérience muette de persécutée, et nous n’avons, nous, que son signalement d’évadé » [105], avec la difficulté à nous poser face à tout cela de manière… cohérente (sans doute le comble pour accueillir la folie, quel que soit son habillage) ! Folie, tout simplement ! Celle qui parfois habite tel ou tel et nous laisse ensemble à l’extérieur du monde. Où rien n’est plus compréhensible à l’aune de nos repères et de nos fraternités voulues. Une sorte d’abri aléatoire que certains se construisent ou épousent malgré eux pour s’éviter d’avoir à vivre des contraintes déshabitées. Ou pour se cacher. Et bien d’autres choses encore. Peut-on passer tout à fait sous silence la réflexion de Michel Foucault : « De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l‘homme fou » ? [106] Car en même temps, « pas de génie sans un grain de folie », disait Aristote. Peut-être cette autre forme de folie qui nous fait croire ensemble que toute chose reste possible par-delà tout ce que la vie nous a réservé : « Monde né d’une déchirure, apparu pour être fumée ! Néanmoins la lampe allumée sur l’interminable lecture ! » 133  Par-delà les embûches auxquelles nous n‘avons pas su échapper, folie d’aimer encore la vie, malgré nos échecs : sans cette folie nous ne serions plus rien du tout. Cette folie-là est peut-être la forme la plus haute du génie humain : « La mort sourit au bord du temps / qui lui donne quelque noblesse. / C’est sur les hauteurs de l’été / Que le poète se révolte / Et du brasier de la récolte / Tire sa torche et sa folie. » 134 Ne nous reste que l’expérience d’un face à face douloureux, bordé d’incompréhensions et de mises en difficultés réciproques. (Voir aussi « Fragilités », « Projet »)   Fondations.
Toute maison exige une bonne fondation pour résister au temps. Il en est de même pour Carles. On nous le demande souvent : qu’est-ce qui fonde vos actions ? Réponse : Joseph et sa pratique de l’accueil (même si hier n’est plus aujourd’hui) d’hommes et de femmes en difficulté pour leur offrir une nouvelle chance de repartir dans la vie. Ce mode d’action était marqué par :  une certaine lenteur pour donner du temps à celles et ceux qui, affolés à l’idée de n’être plus insérés, se détruisent à vouloir aller trop vite ;  la volonté d’offrir une possibilité de se reconstruire en participant aux activités productives du lieu, à l’amélioration et à la mise aux normes de leur habitat, dans un compagnonnage actif quel que soit le statut des personnes (résident, bénévole, salarié) ; la valorisation du collectif, source de ré-équilibre pour beaucoup, plutôt que de rester confronté chacun à l’impuissance de sa solitude et à la culpabilité de ses échecs ; le maintien d’un regard marqué au coin de la lucidité sur une société qui a du mal à faire une place aux plus démunis de ses concitoyens : il y a du sens à réintroduire et à maintenir envers et contre tout auprès de nos responsables ; la conviction que le choix de vivre au Mas de Carles a valeur d’insertion au même titre que les logiques de réinsertion proposées par les institutions. Autant d’exigences et de choix qui requièrent une attention constante pour être maintenues et sans cesse enrichies au contact de la réalité toujours mouvante. 71
(Voir aussi « Aimer », « Commencements », « Persat », « Statuts »)   Fonds de dotation.                                                          même liberté que les autres citoyens…Des aliments sains, un air pur, tout l’appareil de la liberté, tel est le régime qu’on leur prescrit, et auquel le plus grand nombre doit, au bout de l’année, sa guérison ». 133 Philippe Jaccottet, Airs : monde, La Pléiade, 2014, p. 440. Et ailleurs : « Je me suis promenée au bord de la Folie. Aux questions de mon cœur, S’il ne les posait point, Ma compagne cédait, Tant est inventive l’absence. Et ses yeux en décrue comme le Nil violet Semblaient compter sans fin leurs gages s’allongeant Dessous les pierres fraîches. La Folie se coiffait de longs roseaux coupants. Quelque part ce ruisseau vivait sa double vie. L’or cruel de son nom oudain envahisseur Venait livrer bataille à la fortune adverse. » (Philippe Jaccottet, Septentrion) 134. René Char, Les matinaux : Divergence.
Suite à un premier don important, et afin de pouvoir recueillir les éventuels legs et autres donations, le conseil d’administration du Mas de Carles a décidé de créer un FONDS DE DOTATION, dénommé Fonds Joseph Persat – Mas de Carles. Un fonds de dotation est une personne morale de droit privé ayant pour objet d’assurer ou de faciliter la réalisation d’une œuvre ou d’une mission d’intérêt général. Il a pour vocation principale la capitalisation de droits et de fonds afin de redistribuer les bénéfices issus de cette capitalisation. En l’espèce, le but du « Fonds Joseph Persat – Mas de Carles » est de redistribuer les fonds qu’il recevra afin de soutenir l’activité de l’Association du Mas de Carles, cela en toute transparence et en rendant compte aux donateurs de l’usage de leurs dons.  Les avantages fiscaux du fonds de dotation sont ceux réservés au mécénat pour les entreprises et les particuliers par les articles 200 et 238 bis du code général des impôts : entreprises, réduction d’impôt à hauteur de 60% du montant des versements, dans la limite de 5‰ du chiffre d’affaire ; particuliers réduction d’impôt sur le revenu (IRPP) égale à 66% du montant des sommes versées, dans la limite de 20% du revenu imposable. Et exonération de droits de mutation (article 795, 14° du code général des impôts). Ce fonds est administré par un conseil d’administration qui définit la politique d’investissement du fonds de dotation. Le fonds de dotation établit chaque année des comptes qui comprennent un bilan, un compte de résultat et, le cas échéant, une annexe. Ces comptes annuels sont publiés sur le site internet de la direction de l’information légale et administrative dans les 6 mois suivant la clôture de l’exercice. (Voir aussi « Argent », « Association », « Donateurs », « Finances ») 72
  Formaliser. Formalisme ? Uniformisation ? Ou bien plutôt donner à lire une forme à ce qui pourrait ne pas être clair ? Donner une visibilité, rendre lisible et donc manifester les singularités, les différences de cette maison ? Rendre compte de tout ce qui existe et ne peut pas rentrer dans les cases généralement prédéfinies ? (Voir aussi « Salariés »)   Formation. Les formes de la pauvreté évoluent avec le temps. Les « pauvres » d’aujourd’hui ne sont plus tout à fait les « pauvres » d’hier. Ce constat ne doit pas d’abord engendrer un jugement de valeur, mais le souci d’apporter une réponse au plus près de leur réalité. Accepter de nous « former », chemin faisant, doit être une de nos préoccupations ordinaires. Pour cela existent les rencontres Joseph Persat ; la proposition tous les deux ans de l’assemblée salariés, résidents, bénévoles ; les dialogues de Carles ; quatre fois l’an les demijournées proposées aux salariés ; les formations pratiques proposées aux uns ou aux autres (résidents, bénévoles et salariés)… Il ne s’agit pas là d’élaborer un langage unique (de « babéliser » notre présence : un seul langage, un seul mode de présence) mais d’éprouver nos volontés, nos discours et nos assurances au crible de ceux des autres comme à la réalité de vie des moins chanceux de notre société (du moins ceux que nous accueillons). Comment se motiver à plus de participation sans moraliser refus et absences ? Formation encore, celle des résidents invités autant qu’ils en ont le désir (et parfois au-delà d’un refus premier) à participer à toutes sortes de formations pratiques avec les professionnels du réseau (maraîchage, troupeau, arboriculture…), à perfectionner leurs savoir-faire (tous ont eu une vie avant Carles) : portes ouvertes pour aller plus loin et (peutêtre) pouvoir quitter la maison avec un bagage augmenté. (Voir « Réunion », « V.A.E. »)   Fragilités.
Fragilité financière des associations comme les nôtres, menacées d’être payées au prorata du nombre de mises à l’emploi des personnes en grande difficulté. Même si chacun sait qu’il s’agit là d’un déni de réalité, en quelque sorte ! Comment ne pas se demander en quoi ce langage unique sert les plus pauvres et les plus démunis de notre société ? Comment ne pas constater que cette insistance idéologique est largement pénalisante et pousse à l’enfermement des personnes dans une logique d’échecs successifs ? Il me semble que notre devoir aujourd’hui tient à une seule question : quelles alternatives voulons-nous mettre en œuvre aujourd’hui pour répondre à ce défi ? Fragilités d’hommes ordinaires, individuelles et collectives, dont Carles est un révélateur. Paradoxalement, c’est l’accueil fait à ces fragilités qui nous rend capables de réaliser de grandes choses. A la manière poétique de Mahmoud Darwich : J’imagine / et il n’y a pas de 73
mal à cela / ni d’illusion / que, d’un fil de soie / je coupe le fer / que d’un fil de laine / je construits les tentes du lointain / et que je leur échappe / et échappe à moi-même / car je suis…comme je suis ! » [107] A la manière philosophique dont Albert Camus définissait ces « grandes choses » à travers sa fonction d’artiste : « Ce qui justifie l’artiste, c’est d’avoir allégé la somme des servitudes qui pesaient sur ses semblables ». C’est la chance de cette maison et de celle et ceux qui l’habitent : accueillir et vivre nos fragilités au quotidien pour chercher à alléger les servitudes. Ce qui veut dire, au jour le jour, « casser le cercle infernal de toutes les duretés », nous inviter à la résistance et à la frugalité en refusant l’impératif d’une société uniquement marchande, nous accepter réciproquement pour compagnon, renoncer à nos désirs de nous croire gourous ou magiciens pour les autres, accepter d’habiter la musique de l’autre chercheur de route, comme moi. Dans ce cheminement, les hommes et les femmes de Carles (qu’ils y habitent ou qu’ils y passent en simples visiteurs) tiennent là une place centrale de révélateurs et de passeurs d’humanité (AG du 17 avril 2007). « Dureté et rigidité sont compagnons de la mort. Fragilité et souplesse sont compagnons de la vie », répétait Lao-Tseu (570-490 avant Jésus-Christ). (Voir aussi « Bidouiller », « Eau », « Humain »)   Fraternel. Tentation pas toujours évitée de confondre (y compris dans les discours officiels) la fraternité avec une certaine tranquillité d’esprit, un effet pervers déjà désigné par Alexis de Tocqueville parlant de la démocratie aux Etats-Unis : « L’amour de la tranquillité publique est souvent la seule passion politique que conservent ces peuples et devient chez eux plus active et plus puissante à mesure que toutes les autres s’affaissent et meurent. » [108]. Et pourtant, rien d’autre que cela : participer à la vie d’un lieu qui se donne la fraternité comme horizon, au sein duquel chacun est invité, à sa mesure, à développer une forme de lutte contre l’injustice de l’exclusion. Pas simplement : « Ne fais pas à l’autre ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse », mais « Fais à l’autre tout le bien que tu voudrais qu’il te fasse »[109]. Pouvoir nous rappeler que le dégoût de l’autre ne fait ni une foi, ni une politique. En être les porteurs au dehors. Participer à la vie du Mas ne serait qu’illusion autrement. Retour aux origines de nos croyances. Isaïe [110]: « A ceux qui vous disent : Vous n’êtes pas nos frères, répondez : Et vous, vous êtes nos frères. » Fraternité est encore le nom que les premiers chrétiens se donnaient pour désigner leur communauté, pour signifier l’égalité des membres entre eux et le souci du partage : « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4). Même refrain à l’écoute du prophète Mohamed (rapporté par An-Nawawi) : « N’est pas croyant celui qui mange à sa faim alors que ses prochains ont faim ; n’est pas croyant celui dont ses voisins ne sont pas indemnes de sa conduite blessante. » (Voir aussi « Compagnonnage », « Vivre ensemble »)                                                                                                                                                                  74 Frère. « Où es-tu ? » « Où est ton frère ? » « Qu’as-tu fait ? » « Qu’as-tu dit que… ? »  : autant de phrases brèves, ordinaires, lancées dès les premières pages de la Genèse. Des petites phrases sur lesquelles on a tendance à glisser, des questions posées à de lointains personnages et qui ne nous concernent pas.  Et pourtant si, elles nous concernent, ces questions, elles nous visent même au cœur de notre être : où sommes-nous ? Quelles relations entretenons-nous avec autrui, proche et éloigné ? Que faisons-nous par pensée et par action ? Qui écoutons-nous ? A y bien réfléchir elles sont même terribles ces questions, elles nous saisissent au vif de la conscience et de nos entrailles… Que dit exactement ma propre voix, en écho de quelle(s) autre(s) voix est-ce que je parle, où me conduisent mes pas ? » [111] (Voir aussi « Communauté », « Compagnonnage »)   Froid. Ah, ces repas pris dehors dans la cour dès qu’un rayon de soleil venait éclairer le ciel. Froid ou pas, sous le rucher domestique installé dans le mur du vieux mas. Avec ces abeilles qui venaient vérifier qu’aucun intrus ne s’était glissé autour de la table. Sinon une ronde bourdonnante commençait jusqu’à ce que ces « chiens de garde » d’un genre nouveau aient accepté cette nouvelle présence. Et rien n’arrêtait Joseph dans cette mise à l’air. Sauf la pluie. Certains s’en sont longtemps souvenus. Tel l’évêque d’Avignon reçu début janvier par un soleil rutilant dans un froid glacial. A l’étonnement de Joseph qui pensait lui avoir fait le meilleur accueil ! Peu à peu viendra l’exigence d’un meilleur confort : Joseph Persat mettra deux ou trois parmi les hommes d’alors (tous anciens plombiers) pour installer un chauffage central dans le vieux mas, puis dans la maison Joseph… au grand soulagement d’André Allemand qui ne supportait pas moins de 25 degré dans sa chambre. Quoiqu’il en soit de l’anecdote, ce fut de « la belle ouvrage » puisqu’elle résiste encore aujourd’hui (même si, entretemps, on est passé du gaz à la pompe à chaleur). (Voir aussi « Activité », « Construire »)   Fuite.
C’est le lot de la maison. Il y en a souvent et pas toujours au bon moment. Cela concerne les canalisations de toute sortes. Bien sûr. Et cela prend du temps. Mais cela concerne aussi, parfois, les hommes.  « Se retirer n’est pas fuir », faisait dire Cervantes à Sancho Pança. Car pour certains partir est une question de survie. Ceux dont les fragilités psychiques, la folie, ne leur permettent pas de résister aux exigences du groupe et d’un quotidien vécu comme enfermant. Celles et ceux habités par « un impossible rêve » d’un accomplissement jamais satisfait, voulant cueillir « des lunes du bout des doigts », mais vivant de chimères, oublieux du conseil brélien : « Rappelle-toi qu’entre les doigts Lune fond en poussière » [112] De ceux qui vivent à l’ombre d’une histoire et de souvenirs qu’ils se sont fabriquée de toute pièces ou d’une identité qui n’est pas celle de leur origine, qui s’en vont avant que le pot aux roses ne soit découvert et ne les prive de la protection qu’ils s’imaginent s’être ainsi donnée. Pour ceux-là et pour bien d’autres, fuir, couper les ponts, partir sans plus prévenir, est l’autre nom de leur survie. Ils passent alors de lieux en lieux, tissant des liens pour un temps avant d’en éprouver la fragilité et les contraintes. Et nous sommes (parfois) les compagnons de ces envols salutaires. Les complices de leur paix. Ne jamais oublier que derrière toute fuite, tout refus de réalité, il y a une souffrance que rien 75
jusqu’ici n’a pu soigner, une « blessure qui se referme à l’orée de l’ennui / Comme une cicatrice de la nuit / Et qui n’en finit pas de se rouvrir » 141 Laisser aller peut-être quelquefois une manière de compassion ultime. Malgré tout ce que nous avons appris dans nos livres et nos synthèses éducatives. Autrefois une manière de protéger le groupe contre les excès de l’imprévisible débordement. (Voir aussi « Errance », « Sédentaire »)   G     Garrigue.
C’est une des composantes essentielles de la maison. Son charme. Cette étrange attirance qu’elle dégage sur des hommes qui, pour la plupart, ont longtemps vécu dans le bruit et le mouvement de la ville. Mais aussi repoussoir pour quelques-uns. Souvenir de Joseph racontant les premières sorties vers le Mas avec les enfants de la paroisse Saint Joseph. Sorties et retour aux HLM (aujourd’hui disparus) : « Le soir, chacun ramène avec lui l’odeur du thym, imprégné dans les semelles de ses souliers, jusque dans les caliers du HLM : ‘ Les enfants sont rentrés, cela sent le thym ‘, deviendra vite le refrain rituel des parents accueillant le retour de leurs enfants. » [113] Lieu pour accueillir colère, solitude, désir de retrait pour les hommes du mas. Lieu d’accueil de groupes multiples, passants émerveillés par l‘ombre chaude des pins et le chant des cigales à leur moment, promeneurs sans but autre que de goûter l’odeur multipliée soulevée par leurs pas. Où l’esprit peut vagabonder et recueillir le silencieux enseignement des pierres et la calme respiration des diverses végétations. Lieu encore pour nourrir les chèvres et donner à nos fromages ce goût caractéristique et apprécié de beaucoup. Garrigue nourricière. 76
(Voir aussi « Commencements », « Enfants », « Ferme »)   Gilberte (1930-1990). Gilberte (De Coninck) débarque à la paroisse Saint Joseph un jour de pluie de l’année 1973. Elle vient de Belgique. Commence alors, pour la paroisse, la grande époque de l’accueil permanent. Gilberte est partout, souriante, conciliante, traînant son accent belge dans tous les coins de la maison. Elle a décidé d’emboîter le pas à Joseph et d’accueillir. Peu à peu elle finira par s’établir au Mas de Carles, avant que Joseph n’en fasse autant. Levés tôt tous les deux, le rituel est immuable. Elle préparait le café vers 5 h 30. Lui venait frapper deux coups à sa porte et ils buvaient ensemble leur premier café, Gilberte monologuant pour habiller le silence attentif de Joseph, ponctué de brefs acquiescements. Après quoi, il partait faire ses fromages. Elle s’apprêtait alors à faire réchauffer le café pour les hommes et à vivre sa journée partagée entre cuisine et lingerie, avec son sourire, ses plaintes, ses petits secrets indéfiniment répétés à tous et la manière qu’elle avait d’en faire avec les riens de nos existences. Et chaque fois que le ton montait entre tous, elle s’exclamait : « Allons, mes braves… ! » Gilberte meurt le 10 novembre 1990, des suites d’un cancer du poumon pour lequel elle avait refusé chirurgie et acharnement thérapeutique qui n’auraient fait que prolonger le temps de sa peur. (Voir aussi « Commencements », « Persat »   Gitans. Ils ne sont jamais très éloignés de l’histoire du Mas et de celle de Joseph. Ils sont de son « peuple » sur la paroisse Saint Agricol, au quartier de la Balance, un quartier interdit à toute personne « normale ». Là, ils avaient les bords du Rhône pour salle de bain et pour avenir les touristes qui visitaient le Palais des Papes. Le jésuite René Bernard, Joseph, Christiane et quelques autres les accompagneront longtemps. Quand Joseph arrive à Carles, au début des années soixante, le feu a ravagé la propriété. C’est aux gitans de la cité Louis Gros qu’il distribuera le bois mort soigneusement coupé. Plus tard, c’est au Mas que se dérouleront les rencontres des aumôniers des Gens du Voyage. Et c’est dans le mouvement de la prise en charge par ce petit groupe que l’évêque d’alors (Mgr. Bouchex) offrira à l’aumônerie la participation des séminaristes. Quand Christiane évoque ces temps, elle raconte avec bonheur le jour où, invité chez Manuela, l’évêque remuait son café avec sa fourchette, faute d’autre instrument pour le faire. (Voir « Caravane », « Persat »)   Gratuité. Définition du dictionnaire : la gratuité qualifie ce qui est non payant, ou sans motif, voire inoffensif, décline le Robert. Qui cite Sartre signalant que la gratuité « pour l’écrivain, c’est
l’essence même de la spiritualité et la manifestation héroïque de sa rupture avec le temporel. » C’est dire d’entrée que la gratuité n’est pas le simple fait de ne pas payer ! 77
Ainsi, pour Emmanuel Lévinas, tout commence par la gratuité absolue, sans retour ni contrepartie dans le mode de relation aux autres. Elle naît là où ma « vitalité est maîtrisée par des interdits ». Elle surgit à l’occasion de la « rencontre de la fragilité d’autrui ». Au risque d’une asymétrie qui pourrait mettre l’autre en dette vis-à-vis de moi. Lévinas saura tempérer cette gratuité première par cette réflexion, sur le refus de faire violence  à l’autre : « Est violente toute action où l’on agit comme si on était seul à agir : comme si le reste de l’univers n’était là que pour recevoir l’action. » Il est intéressant de constater que lorsque Paul Ricoeur aborde cette question de la gratuité (cette « part féconde qui donne sens à toute vie. »), il l’enserre dans un « complexe ». Il renvoie et nomme en même temps gratuité, gratitude, pardon et réciprocité. Peut-être pour nous rappeler que je ne saurai faire acte de gratuité sans l’expression d’une gratitude pour la/ma vie et une forme de pardon, cette attitude qui me rend capable de renouveler en moi l’expérience du don me donnant de vivre hors ressentiment ou esprit de vengeance : « le pardon… ce don donnant d’être par-delà toute angoisse et violence à venir à l’être… connaître en lui-même que la faute d’exister n’existe pas et que sa faute d’y avoir cru se dissout, se défait à ce principe : l’amour est au principe… Cela se donne dans le lieu de notre relation à autrui quand s’y donne ce que ni lui ni moi ne possédons… »[114] S’ajoute à ces trois mots, celui de réciprocité pour signaler l’exigence de reconnaissance mutuelle et le refus de mettre l’autre en dette de mon existence. Soulignons que cette gratuité de vie n’empiète pas sur le réel de l’existence où chacun sait bien que rien n’est gratuit et que tout se paie : depuis le loyer de mon lieu de vie, jusqu’au repas partagé, en passant par les choix de mon mode de présence aux autres. (Voir aussi « Assistanat », « Sens »   Guérir.
Il y a ceux qui boivent tellement qu’ils ne s’en aperçoivent même plus : c’est devenu pour eux une manière de vivre ! Il y a ceux qui refusent de reconnaître qu’ils ont bu et protestent violemment si on leur fait remarquer. Il y a ceux qui font la leçon aux autres, mais qui continuent eux-mêmes à boire comme si de rien n’était, croyant sans doute que personne ne les voit. Il y a ceux qui ne disent rien, qui s’effacent derrière l’alcool qu’ils ingurgitent, qui n’osent pas s’avouer qu’ils sont malades alcooliques : leur silence les enferme doublement. Il y a ceux qui ont la tentation de croire que tout est foutu : alors il ne sert à rien de faire un effort. Il y a encore les abonnés du shit et ceux qui cumulent, un seul refrain en bouche : je m’arrête quand je veux. » Sauf que jamais ils ne s’arrêtent. Parce que cela veut dire, en fait : « Je ne veux pas ou ne peux pas m’arrêter. » Il y a ceux qui essayent d’arrêter et qui y parviennent un temps. Puis ils craquent parce que la vie leur paraît trop difficile ou parce qu’ils ont manqué de vigilance. Et il y a ceux qui se soignent, tentent de prendre en main leur avenir même si c’est difficile. Et c’est difficile. Et qui réussissent. Ils nous font ainsi savoir que jamais aucune vie n’est définitivement enfermée dans l’échec et la mort. A tous nous voulons dire : ne croyez pas que nous ne voyons rien. Ne croyez pas que nous ne voyons dans vos mouvements, vos allées et venues, sur votre visage et dans vos gestes. Croyez plutôt que l’alcool et le shit (et tout le reste) sont des poisons. Qu’ils vous tuent. Que vous n’êtes pas venus à Carles pour cela, mais pour guérir. Pour vivre. Pour rendre à vos vies son élan vital. Que guérir passe par cet acquiescement à cette volonté de vivre. Et que personne ne pourra faire ce chemin à votre place. Courage ! 78
(Voir aussi « Addictions », « Alcool », « Boire », « Malade », « Vivre »)       H     Habiter. Se loger est depuis peu pour les institutions, le préalable à tout parcours d’insertion. D’où la mise en place d’un « accueil immédiat » pour offrir une lieu et un temps pour se mettre en sécurité et poser quelques bases pour un meilleur avenir. Mais contrairement à l’incitation des services publics qui invitent à abriter les personnes, pour nous « abriter n’est pas habiter ». Habiter suppose aussi vivre le plus harmonieusement possible ensemble et entre des murs qui ont rendu calleuses les mains des prétendants : « Peut-être en mêlant peu à peu la peine avec la lumière avancerai-je d’un pas ? » [115]. La suggestion du poète était la certitude inexprimée du père Persat. Elle reste la nôtre. Rendre une maison habitable, c’est vouloir offrir à quelqu’un un espace qui puisse devenir un espace de construction de soi-même et de rencontre avec les autres. Individualiser l’habitation ne doit pas se faire au détriment de cette dimension fondamentale de la vie de l’homme. Léonard de Vinci disait déjà en son temps (1453-1519) : « Qui veut voir comment
l’âme habite son corps, regarde comment ce corps utilise son habitation quotidienne. » Vu dans un dictionnaire des synonymes : un des contraires d’habiter est « fuir ». Et c’est bien 79
un des aspects forts de notre projet global : permettre à chacun de ceux qui trouvent ici leur place de mettre un terme à une succession de fuites. Nos murs ne sont pas une place forte, mais un révélateur, la vitrine de ce que peut-être la vie quand elle trouve un espace pour s’y révéler dans la volonté de la rencontre de l’autre. Et il ne s’agit pas ici seulement de « résidents » mais de toute personne qui (pour quelques heures ou plus) offre sa présence à la maison, avec ses habitants ordinaires. Un vrai débat, en fait : comment habiter et se laisser habiter ? (Voir « Fuite », « Logement », « Maison », « Urgence »)   Harmonie. « Le respect mutuel est le fondement de la véritable harmonie », disait le Dalaï Lama. Et cela est toujours à (re)conquérir, tant la fragilité des vies des uns et des autres et la peur de n’être pas pris au sérieux préfèrent l’illusion protectrice des murs et des mépris, plutôt que de prendre le temps de bâtir des ponts et autres passages vers l’autre. Et cela commence par la quête de l’harmonie de soi-même : cette capacité à donner ici et chez moi, là et ailleurs, la même chose, de la même manière. Tenter de ne pas être différent : on ne peut donner ici et là non. Ainsi la recette de l’harmonie n’est rien d’autre qu’une forme de d’équilibre entre la pensée et l’action : « Le bonheur vous appartient quand, ce que vous pensez, ce que vous dites et ce que vous faites sont en harmonie », disait Gandhi. Devenir harmonieux dans tous les lieux de sa vie est une des invitations de notre participation aux actions du Mas. Mais cela n’est jamais donné, toujours à conquérir. (Voir aussi « Illusion », « Vivre ensemble »)   Herbe. Ce qui pousse en excès au printemps et fait se reposer régulièrement la question du fauchage : débroussailleuse, mouton, âne… ? Avec la date : avant la floraison ou après pour préserver la nourriture des abeilles et la récolte à venir du miel. A Carles, le mot évoque aussi autre chose. Cette herbe qui se fume. Interdite, mais courue. Objet de tentations, de dépendances non reconnues, de tractations entre (certains) résidents, de tensions, de dettes non soldées, d’embrouilles sans fin. Cette herbe-là est un lieu de combat pour quelques-uns, quand se fait la découverte qu’herbe ou shit bloquent toute possibilité de projet, d’invention d’un avenir. Mais quand l’un ou l’autre arrive à s’en passer durablement, c’est la vie qui peut recommencer. A commencer par compter les jours d’abstinence, puis les mois : réinvestir le temps pour y tracer un nouvel horizon. (Voir aussi « Addictions », « Ruches »)   Histoire.
Carles est un lieu d’histoire. C’est une des forces de ce lieu. Les creux qui marquent la propriété sont la marque des pierres que l’on en a retirées pour bâtir le monument du palais des Papes et une partie de l’Avignon médiéval. Huit à neuf cents personnes ont travaillé à la carrière, quelques-unes sont mortes sur leur lieu de travail pour faire grandir la ville. Toutes ont laissé, en creux, la trace d’un passage constructif. Carles n’est pas seulement un lieu où sont accueillis les “déconstruits” de notre société. La nature du lieu, sa vocation, ses pierres invitent chacun à être à l’origine de sa (re)construction et de son habitat, à bâtir ou à rebâtir sa propre histoire dans la mémoire d’une vie qui les a précédés. L’histoire c’est encore ce qui différencie une foule d’un peuple comme le signale Jean Viard (après Victor Hugo) [116]. Mais qu’il est difficile de se constituer en « peuple » s’inscrivant dans une histoire, quand il semble si facile de donner libre cours à ses impulsions d’immédiateté et de recherche première de confort personnel, bien avant de s’occuper de celui des autres ! Peut-être aussi se souvenir, avec prudence mais clarté, que nul ne se déprend jamais totalement de son histoire, quel qu’en soit son désir. Et cela n’est pas toujours facile à assumer. Et l’histoire se poursuit aujourd’hui. Même si nous ne savons pas toujours où elle nous emmène, ni ce qu’on en peut en dire, ni toujours si les pages que nous écrivons peuvent à nouveau féconder un avenir : le nôtre et celui de la maison. Murmure d’un poème d’Aragon 80
en guise de refrain : « Sachez-le toujours le chœur profond repend la phrase ininterrompue / Du moment que jusqu’au bout de lui-même / Le chanteur a fait ce qu’il a pu / Qu’importe si chemin faisant vous allez m’abandonner comme une hypothèse. » [117]  Simplement nous inviter à lire autant qu’à écrire cette histoire ne serait-ce que sous la forme d’un point d’attention à cultiver, hors de nos peurs (ou malgré elles), hors de nos désirs que rien ne bouge (ou le moins possible) et malgré eux. Toutes choses qui, à l’évidence, n’ont que peu de rapport avec la réalité de nos volontés de maîtrise, mais beaucoup avec un possible à accueillir : responsables du présent, nous dessinons les premières lettres de notre avenir sans en posséder toutes les clefs ! (Voir aussi « Avant », « Avenir », « Carles 2025 », « Embrumes », « Persat », « Testament »)   Homme. L’homme, celui qui habite cette maison, n’est pas d’abord considéré comme un coût mais comme la fin et la nécessité de la maison. L’homme, l’habitant de cette maison comme de toute maison, en est la pierre ultime : celle qui accomplit notre présence au Mas, celle qui donne sens et intelligence à nos constructions, le cœur des choses et de nos gestes. Retour à Maurice Bellet, vieux théologien attentif aux réalités, pour redire ensemble le cœur de nos désirs de réhabilitation et le lieu de sa construction : « Ce qui demeure la loi et le principe en tout (cela) c’est ce très humble commencement où l’homme reconnaît en l’homme son prochain … » [118]
Ici, nous savons et nous apprenons à nouveau chaque jour qu’un homme est un homme. Et nous ne cherchons pas à commenter ce savoir en y accolant une caricature idéologique : religieuse, politique ou ethnique. Nous ne cherchons pas à distinguer. Notre relation vraie à l’autre en dépend. Et nos identités, aussi. Force nous est de constater que c’est un combat quotidien, tant sont fortes en nous les forces mauvaises qui nous font croire que « dénommer » l’autre (le nommer autrement que comme un homme) nous rend plus facilement supérieur à lui. Et d’ici, nous voyons bien que cette tendance lourde à vouloir enfermer et réduire l’autre à une appartenance (musulman ou juif ou riche ou pauvre ou autre…) travaille notre monde jusqu’à l’acculer à des gestes de mort pour affirmer une supériorité : chômage, mépris, discriminations multiples… Pouvoir nous redire simplement : 81
« Vois-tu, il faut mettre un peu d’homme dans l’espace. Sinon la vie serait terre, vent, sans père ni mère, rochers et pierres sans mesure… » [119]. Nul ne peut prendre la place de Dieu pour juger qui doit vivre ou mourir. Au fil de l’histoire et de nos histoires, nous savons que cela n’a jamais mené qu’à la destruction. Alors nous, les croyants comme les autres, laissant Dieu être Dieu, nous tentons d’assumer notre part à nous : accueillir, aimer et partager avec les vivants : « Qu’est-ce qui reste quand il ne reste rien ? Ceci : que nous soyons humains avec les humains, qu’entre nous demeure l’entre nous qui nous fait homme… » (M. Bellet) [120] On ne peut pas ne pas penser au dernier roman d’Albert Camus, à ce « Premier homme » qu’est son père inconnu et que chacun de nous est appelé à devenir, à la suite de ce premier, toujours à devoir se forger une éthique, à inventer au jour le jour son rapport aux autres. (Voir « Accueillir », « Illusion », « Migrant »)   Hôpital. Le mot a même origine que le mot « hôte ». C’est ainsi que, sous le nom de « maisons de charité et autres « maisons-Dieu » les hôpitaux accueillent généralement indistinctement les malades, les pauvres, les enfants abandonnés, les pèlerins, qui sont tous réunis sous l’appellation « pauvres du Christ » (pauperes Christi). » Ce mélange des genres ne facilite pas la gestion de ces maisons. Cela amènera une succession de réformes. Ainsi le temps n’est plus où les hôpitaux mettaient, il y a encore peu, quelques lits à disposition des routards. Les associations ont pris ce relais, multipliant le nombre de leurs accueillis, transformant leur manière de travailler, réformant leur capacité d’accompagnement : toutes choses dont le coût n’a pas été retiré des budgets des hôpitaux. C’est donc un refrain de prudence, qui est souvent entonné chez nous : « Carles n’est pas un hôpital ! » Il faut dire qu’il n’y a là rien de bien nouveau, si on se souvient qu’à « l’âge d’or de la civilisation islamique médiévale, les médecins musulmans ont été les premiers à établir une distinction entre un hôpital et les différents types d’accueil. » [121]
Carles est d’abord un lieu d’accueil, un lieu à vivre, à faire vivre. Un lieu, un espace, où l’on peut vivre longtemps. C’est aussi un lieu, un espace, qui s’articule avec son environnement local, qui fait partie du « décor ». Pour permettre ce surgissement de la vie, le choix s’est vite imposé d’éviter de tomber dans la perspective d’un lieu qui proposerait, en plus de l’hébergement et de l’activité, une réponse médicale, sous le faux prétexte d’une compétence plus affirmée. Alors nous redisons : Carles n’est pas un aquarium ! Une partie des solutions que nous voulons apporter aux difficultés que rencontrent celles et ceux qui habitent le Mas se trouve à l’extérieur de la maison. A partir d’un certain degré, nous ne souhaitons pas que la maladie et le soin dépendent de l’association (qui n’est pas équipée pour cela). Ceci posé, l’hôpital est un partenaire assidument fréquenté pour les hommes. Qui dans l’équipe n’a pas passé quelques heures aux urgences à attendre diagnostiques, conclusions d’analyses ou fin de traitements pour les hommes ? 82
(Voir aussi « Médicaments », « Questions », « Soins »)   Horaires.  Se donner un horaire, c’est notre manière d’inviter chacun à entrer et à respecter un rythme de vie (souvent oublié au hasard des pérégrinations et autres errances). Ce sont des appuis pour celles et ceux qui, parfois depuis longtemps, ont imaginé que n’avoir pas d’espace-temps bien défini était le symbole et le signe de leur liberté. Ici, au mas, ces horaires sont le signe que tous sont attendus pour une rencontre (café, repas, réunion de maison, etc.), reconnus. Bien sûr, ce mot n’est pas réservé aux résidents : tous, y compris salariés et bénévoles, y sont soumis, comme un gage de bon fonctionnement de la maison. En s’assurant d’être à l’heure, chacun anticipe sur les soucis des organisateurs de la vie du mas. En même temps, c’est une réalité qui se donne souvent comme dépassée. On ne peut pas dire aux chèvres : à partir de 17h c’est fini. Pas plus qu’aux hommes. C’est la richesse cachée des horaires : pouvoir être rognés, dépassés en fonction des nécessités. (Voir aussi « Collectif », « Communauté »)   Horizon. Philippe Demeestère, l’ami prêtre et jésuite que beaucoup connaissent, réagit à l’envoi des premiers « mots croisés » (le mas de Carles en 50 mots) : « Sans doute faut-il se méfier des mille et une transcendance qui ont pris figure d’idoles. S’il s’agit bien de se fonder dans le petit, l’ordinaire, le quotidien, de se réconcilier avec lui, faut-il pour autant faire l’impasse sur l’horizon d’urgence, de « sortie », d’ouverture à un chemin impossible dans lequel le repas pascal l’inscrit historiquement (tant pour l’Israël de l’Exode que pour les douze autour de Jésus [122]) ? Urgence, sortie qui donnent sens et cadre à la nécessité de prendre le temps, tout le temps, quarante ans. » Bonne pioche ! « Conceptuellement, l’horizon est la limite de ce que l’on peut observer, du fait de sa propre position ou situation », expose Wikipedia. Doit-on
comprendre que l’horizon n’existe pas… en dehors de vouloir afficher ce que nous ne connaissons pas, ce à partir de quoi nous n’avons plus de maîtrise ? A moins qu’il ne s’agisse du contraire. L’horizon est peut-être « ce à partir de quoi » l’actualité prend sens. Invitation à sortir des besoins primaires pour fonder une pratique de vie fraternelle, renvoyer à l’horizon commun de ce qui fonde nos pratiques : le goût de vivre, la fraternité, la citoyenneté, la spiritualité, etc. Une manière d’apprendre à voir l’endroit de nos envers quotidiens (être dedans tout en étant dehors) à la mesure de chacun : pouvoir faire notre demeure dans ce lieu que d’autres considèrent comme un temps et un lieu passagers ; accepter de se faire accompagner pour sortir du Mas et se donner les moyens de résister aux illusions de liberté qui nous y ont amenés : horizons individualisés. Un même horizon pour tous ? Mais cela ne ressemblerait-il pas à la tour de Babel (Gn 11,3-4) +? Ou des horizons multiples, qui correspondraient mieux à la réponse biblique de cette volonté « babélisante » : dispersion et chacun son langage (Gn 11,8-9) ? C’est peut-être bien là qu’intervient la fonction symbolique du repas évoqué plus haut par Philippe Demeestère pour signifier l’impossible au-delà de cette diversité. Tels « ces domestiques… qui en nettoyant l’argenterie ou les verres de leurs maîtres, y voient soudain se refléter l’éclat pur d’un jardin. » 152 83
Nous souvenir en tous cas de la remarque de Georges Perec : « Ce que nous appelons quotidienneté n’est pas évidence, mais opacité : une forme de cécité, une manière d’anesthésie. » 153 A éveiller pour en révéler l’horizon ! (Voir aussi « Evangile », « Fraternité », « Spiritualité »,)   Hospitalité. Il y a un droit à l’hospitalité pour que l’autre (en Grèce c’était le barbare, le sauvage) ne soit pas simplement rejeté, mais reconnu comme un homme. Garder dans un coin de la mémoire le beau proverbe Hindi : « Ce ne sont pas les pierres qui bâtisent la maison, mais les hôtes. » 154
On distingue deux notions de l’hospitalité qui sont contradictoires l’une avec l’autre : l’hospitalité de droit ou la loi de l’hospitalité qui exprime une hospitalité conditionnelle à travers un code de droits et de devoirs auxquels sont soumis les étrangers. l’hospitalité absolue ou inconditionnelle qui propose l’accueil de l’étranger sans réciprocité, « ni même demander son nom ». Ainsi l’hospitalité absolue demande de rompre avec l’hospitalité de droit puisqu’elle commande d’offrir à l’arrivant un accueil sans condition. Elle commande aussi de transgresser les normes, les conditions, les droits et les devoirs prescrits par la loi de l’hospitalité et qui s’imposent aussi aux hôtes et hôtesses. Jacques Derrida précise que ces deux formes d’hospitalité ne s’opposent pas entre elles. Au contraire elles sont proches et indissociables ; comme le droit et la justice précise-t-il. Il est clair que le travail sur nos pratiques d’accueil doit se fonder sur la mise en tension de ces deux formes d’hospitalité pour créer un mouvement incessant de progrès par la remise en question de ce qui paraît être établi et par ce qui nous est imposé par nos partenaires. Retour à la pratique de l’hospitalité de Joseph Persat, quand un homme arrivait : « Tiens, pose ta valise, assied-toi et mange. » Et cela pouvait durer un certain temps avant qu’il n’invite l’arrivant à prendre sa part de la tâche collective. 84
(Voir aussi « Accueillir », « Compagnonnage », « Personnes ressources »)   Hôte. Le mot est ambigu, puisqu’il désigne à la fois l’accueillant et l’accueilli. Invitation à regarder avec les yeux des autres : ceux qui se trouvent en situation d’hôte devraient s’en souvenir pour ne pas réduire l’hospitalité à une forme ordinaire d’accueil où celui qui reçoit reste le maître de cet accueil : « souveraineté sur mon territoire ou subversion de l’espace privé et de la frontière » ? C’est aussi le nom proposé pour celle ou celui qui gère l’accueil dans le cadre d’une pension de famille (ou d’une maison relais). Ici, la fonction est un accompagnement de proximité qui ne relève pas du « social » classique. « Les hôtes ont besoin de cultiver en eux la vie et le processus vital, pour faire pendant à tout ce qui s’inscrit en pulsion de mort, violences,                                                         
  • Georges Perec, Espèces d’espaces. Cité par Joseph Pacini, Il était une fois l’avenir.
  • Extrait du Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes, Maurice Maloux, Larousse, 1990, p. 265.
maladies, malaise, accidents, vieillissement et dégradation, morts réelles… Aimer ce qui fait le quotidien, ce qui tourne autour des tâches domestiques, de l’intérieur, du banal répétitif ; savoir en faire des occasions de relation avec soi-même et avec les autres… » (Colette Chamard, définissant la fonction de l’hôte dans le cadre d’une « pension de famille » Abbé Pierre). (Voir aussi « Accueillir » « Hospitalité »)   Humain. Humanité. Humains, au pluriel, c’est l’ensemble des femmes, des enfants, des hommes de notre planète. Avec un impératif catégorique : ne jamais oublier ce que cela veut dire de fragilité, d’exposition « à la blessure et à la mort » (Guillaume Le Blanc) Au singulier, humain est ce qui en l’homme lui permet de se différencier de la bête (même si elle n’est jamais aussi loin qu’on peut le croire) : « Croire en (l’autre humain, mon proche) c’est percevoir en autrui qu’il y a en lui ce qui me permet de quitter en moi la violence. » [123] C’est ce que recouvre, pour une part, le mot humanité : ce sentiment qui habite un homme face à un autre homme pour l’approcher autrement que pour le tuer. Et Maurice Bellet de conclure : « C’est au principe d’une convivialité nécessaire pour que la vie humaine puisse être goûtée
comme bonne. » Alors prendre le temps du partage : un mot, une discussion, un salut prolongé, un café, un repas peut faire naître entre nous une parole sincère. C’est peu de temps, parfois, mais nécessaire. Peut-être faut-il pouvoir nous redire que Carles (mais sans doute pas que Carles) est un de ces lieux propices où chacun (résidents, salariés, bénévoles) peut se donner le temps et l’espace d’interroger sa propre humanité face à des humanités qui peuvent surprendre ou nous rendre au confortable mépris de classe. Confortable, parce non réfléchi. 85
(Voir aussi « Invitation »)   Humour. Le mot « humour » est attesté pour la première fois en français au XVIIIème siècle. Il entre en France grâce aux liens qu’entretenaient les penseurs des Lumières avec les philosophes britanniques. Petit pas de côté quand cela devient nécessaire à la relation. Une manière fluide de se rencontrer (pour aborder l’autre). Donne du temps au recul et peut créer une connivence. Il est empiriquement reconnu que l’humour et son effet direct, le rire, ont des effets positifs sur la santé : décontraction des muscles, réduction des hormones du stress, amélioration du système immunitaire, réduction de la douleur. L’humour serait-il un remède aux « humeurs », à Carles comme ailleurs ? Parfois il peut se faire grinçant, comme lorsqu’on échange ensemble sur le financement pluriannuel de nos actions… Une pratique sans cesse reportée à l’année suivante ! « Les dieux sont morts. Ils sont morts de rire en entendant l’un d’eux dire qu’il était le seul. » (signé Nietzsche). Pour nous rappeler que l’humour nous tient en solidarité, nous refuse solitaire !   86 I     Ici. Ici peut devenir notre lieu. Si nous y consentons. Et seulement si nous y consentons. Témoignage d’un de ceux-là : « Ce lieu me permet de prendre soin de ma santé, de prendre le temps de vivre, de partager bonnes et mauvaises choses, de m’apercevoir que s’il y a parfois de l’hypocrisie, l’essentiel est de pouvoir penser au futur, de pouvoir prendre le temps de la réflexion, de pouvoir repartir sur de nouvelles bases avec des objectifs précis, en gardant le souvenir de ceux que j’ai pu côtoyer. » [124] Alors peut-être entendrons-nous la petite musique de René Char : « Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains. La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie… Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému… Bonjour à peine est inconnu dans mon pays. On n’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté. Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n’avoir pas de fruits. On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur. Dans mon pays,
on remercie » [125][126]. Belle manière de se reconnaître d’ici, non ? Le sommet de Rio a érigé en doctrine le « penser global, agir local ». Ne faut-il pas aujourd’hui inverser cette logique et penser local pour agir global, comme le suggérait le médiateur de la République il y a quelques années ? 87
(Voir « Habiter », « Logement », « Compagnonnage »)   Identité. Tout se passe comme si la nouvelle carte d’identité, aujourd’hui, c’étaient les billets de banque et leur nombre ! Ce qui fait que beaucoup restent aux frontières extérieures d’une présence « légalisée » par l’argent dans notre société. Toujours aux frontières : les sans-papiers sont expulsés des hôtels parce que leur présence dans ces lieux coûte trop cher ; les « ballotés » de papiers précaires en précarité de vie (on peut rester mais on ne peut pas travailler), etc. Il arrive que pour certains leur identité soit un problème : naissance peu ou pas reconnue, genre peu défini… au risque de grave perturbation psychologique ou de jeu de fuite… Alors, « le premier vivant venu peut-être un allié pour peu qu’il consente à une parole, à un lien, à sortir de sa fonction et de l’engourdissement bavard. » 158 Et chez nous, la possibilité de (re)trouver une identité en vivant au milieu d’autres dans une communauté de vie qui restaure, redonne sens à une vie d’homme qui se nourrit du contact et de la relation à l’autre. Un projet communautaire où chacun peut se dire qui il est, ce qu’il se découvre être. Que l’on ait choisi sa communauté de vie ou non, pour un temps ou pour plus longtemps. Où vivre ensemble sans se ressembler, sans perdre pour autant son identité. Où l’on peut découvrir que l’identité n’est qu’un « bricolage » permanent et qu’en « fixer aujourd’hui les éléments constitutifs est un exercice illusoire » 159qui ne conduit guère qu’au repli sur soi. Et malgré tout, quelque part au fond de chaque tête, cette petite peur de « la perte d’identité collective, qui est le dernier bien des pauvres », comme le souligne Jean Viard
  1. 160.
(Voir aussi « )   Illusion.
« Notre conscience collective s’échine à inventer, diversifier, multiplier, améliorer les places qu’elle propose aux pauvres, tout en demeurant aveugle sur sa façon propre de ne jamais faire de place qu’à elle-même… Il y a bien des occasions où « servir les pauvres » est présenté comme une évidente nécessité, comme si la nature de ce service allait de soi et comme si nous-mêmes n’avions jamais besoin des services des pauvres que de façon accessoire, supplétive. La formule conventionnelle, déclinée de mille et une façons là où nous exerçons notre générosité : « C’est fou ce qu’ils m’ont apporté », met à nu un malentendu. Le premier service que nous pouvons attendre des pauvres, c’est qu’ils nous libèrent radicalement de toute idée de gain personnel. A travers eux, c’est une perte qui se propose, une perte sans prix… Prophètes, les pauvres le sont donc. Qu’est-ce à dire ?… Du pauvre, nous disons qu’il nous vient tout autant du dehors que de l’avenir : il est celui qui nous donne de l’air en donnant corps à un « en dehors » ; il est celui qui redonne le champ de l’avenir à un présent souvent prisonnier des « ou bien, ou bien » […] Le pauvre en tant que prophète n’est jamais seulement un pauvre. Il est ce vivant avec qui se pratique l’ordinaire des vivants : manger, échanger, rêver, se déplacer […] Viendront certainement des temps où l’homme sera maître des commencements et de la pérennité de ce qu’il choisira d’appeler vie. De quels noms seront alors affublés les pauvres, afin qu’ils n’apparaissent plus pour ce qu’ils sont : ceux par qui passe notre avenir, ceux sur qui notre présent doit s’arrêter pour ne pas devenir un fauxfuyant ? […] » 161 88
Bien avant, cette citation de Gabriel Marcel : « Toute sagesse à laquelle nous prétendons c’est de comprendre que tout est illusion. »  162 Peut-être alors faire comme ces moines zen évoqués par Karima Berger qui « chaque matin gravissent une montagne pour brûler leurs illusions, là où s’ouvre l’œil du cœur et vacille l’intelligence. » 163 (Voir « Migrant », « Homme », « Accueillir »)   Impatience.                                                         
  • Alain Minc, Un français de tant de souches, Grasset, 2015.
  • Jean Viard, Le moment est venu de penser l’avenir, Editions de l’Aube, 2016, p. 52.
  • Philippe Demeestère, op. cit. p. 36-39.
  • Gabriel Marcel, Le seuil invisible, (1914).
  • Karima Berger, Eclats d’Islam, Albin Michel, 2009, p. 159.165.
L’impatience est le nom de nos humeurs mal maîtrisées ou de nos volontés déçues quand nos attentes et nos projets se heurtent à l’épaisseur de l’autre (résident, bénévole ou salarié). C’est aussi le nom d’une plante dont les fleurs, aux couleurs multicolores, s’épanouissent entre mai et les premiers frimas de l’automne. Cultiver nos impatiences pourrait alors être la promesse d’un embellissement de notre terre. Leur seule justification pour que nos inévitables insatisfactions ne nous empêchent pas de nourrir la joie de participer ensemble à la vie de la maison : « Le pin s’élève vers le ciel, On le regarde, Petits mais vivants. » [127] (Voir aussi « Bénévoles », « Illusion », « Faire »)   Impuissance. Devant le modèle technocratique et hyper normatif du fonctionnement de notre société, devant les multiples consignes et exigences administratives concernant accueil et hébergement des plus pauvres, la tentation est forte d’abdiquer et d’oublier, dans nos calculs, celles et ceux qui sont vraiment concernés : les hommes en misère, les personnes oubliées des comptes administratifs (sauf pour leur signifier qu’ils ne sont pas à leur place), celles et ceux qui n’en peuvent plus, ne peuvent plus revendiquer une place pour eux. Nous souvenir
à nouveau de ce que disait l’abbé Pierre : « Demain, ceux qui feront la philosophie de ce temps de l’histoire montreront ce que nous ne voyons pas. Ils montreront comment dans ce temps est apparu une espèce d’impuissance de la puissance et une espèce de puissance négative, souvent un peu folle, mais une véritable puissance de la faiblesse… Ceux que jusqu’ici on regardait comme rien, les grands cherchent à obtenir leur coopération, car ils savent que sans la coopération des faibles, leur puissance est devenue ridicule… » [128] 89
(Voir aussi « Normes », « Spleen », « Vivre ensemble »)   Inconditionnel. On parle ici d’accueil. Accueil sans condition, donc… autre que celle d’avoir la condition d’errant, d’exclu, de pauvre, sans lieu ni pierre où reposer la tête. Simplement être un homme portant sur lui une vie abîmée, difficile à vivre en société, voire insoutenable pour elle : quand chercher un refuge, à tout prix, devient une urgence absolue et être accueilli sans a priori une nécessité. Pourtant inconditionnel ne dit pas pour autant qu’il n’y a pas de contingences liées à cet accueil : celle de la vie commune et de l’invitation à participer aux activités de la maison, par exemple ; celles d’un minimum de propreté (même s’il faut l’apprendre ensemble) pour être supporté par tous les habitants du lieu. Inconditionnel peut rapidement devenir un mythe, « le » mythe par excellence de l’accueil si ne viennent pas en « atténuation » les capacités d’un lieu et d’une équipe qui ne peuvent pas tout. Tenir compte de l’état psycho-psychiatrique des personnes, protéger le groupe, tenir compte des peurs et des stress : tout n’est pas toujours possible et certains lieux ont dû renoncer à accueillir, voire fermer leurs portes devant les désordres engendrés par leurs prétentions à l’inconditionnel ! « Maîtriser à temps l’euphorie » écrivait René Char. (Voir aussi « Accueillir », « Activités », « Aimer »)   Indifférence. C’est ce qui peut apparaître à certains moments de la vie de Carles. Quand une situation prend toute la place, envahit notre espace ordinaire, en face c’est souvent la requête de ne pas voir passés par pertes et profits d’autres moments supposés importants : respect d’un horaire, marques d’attention réitérées, etc. : « Ils ont entendu, oui, mais ils n’ont pas ouvert… C’était sans doute un jour où on a besoin d’être seul. Etre seul est très pur, mais il faisait froid sur la terre, beaucoup d’oiseaux sont morts. »166 Cette forme d’indifférence à l’événement peut être la marque d’une forme d’égoïsme, comme elle peut être la trace de la peur d’être oublié (comme cela a pu être autrefois le cas dans certaines vies),  l’exigence du respect de nos vies ou « la marque d’une impuissance à être heureux », comme le suggère un Vincent Cespedes. Tant de raisons pour s’enfermer dans cette forme de refus de l’autre, qui font de l’autre le jouet de ma préséance sur lui ! « La violence peut être l’expression de l’amour, l’indifférence jamais. L’une estune imperfection de la charité, l’autre la perfection de l’égoïsme », disait
Graham Greene 167. C’est aussi, quelquefois, une manière de se protéger : répondre à toutes les sollicitations pourrait vite se révéler épuisant. Il y aurait là une forme de sagesse. Et pourtant, cela ne doit pas nous exonérer d’un minimum de réflexion : « Descartes l’avait 90
déjà vu avec une admirable clarté, la liberté d’indifférence est le plus bas degré de la liberté. » 168 En contre-exemple, cet alinéa de la « Déclaration des poètes » : « Les poètes déclarent que le racisme, la xénophobie, l’homophobie, l’indifférence à l’Autre qui vient, qui passe, qui souffre et qui appelle sont des indécences qui, dans l’histoire des hommes, n’ont ouvert la voie qu’aux exterminations, et donc que ne pas accueillir, même pour de bonnes raisons, celui qui vient, qui passe, qui souffre et qui appelle, est un acte criminel » 169 (Voir aussi « Militance », « Homme », « Individu »)   Individu(alisme)s. « La vie était vécue par la plupart des gens comme un destin collectif, elle est aujourd’hui une histoire personnelle. Chacun, désormais, indubitablement confronté à l’incertain, doit s’appuyer sur lui-même pour inventer sa vie, lui donner un sens et s’engager dans l’action… Ce mode d’existence est aujourd’hui celui de tout le monde, mais différemment et inégalement dans les quartiers chics et dans la galère… » 170 Ainsi, même à Carles, certains s’imaginent que vivre pour soi seul suffit à s’assurer une existence heureuse et féconde. Comme se redire que ne penser qu’à soi n’a jamais mené nulle part ailleurs qu’à soi, à la pauvreté de soi. Jamais au                                                         
  • Colette Nys-Mazure, Secrète présence, DDB, 2009, p. 196, citant Robert Vivier, Broussailles de l’espace.
  • Graham Greene, Les comédiens.
  • Gabriel Marcel, Le mystère de l’Etre.
  • Extrait de Frères migrants, Patrick Chamoiseau, décembre 2016.
  • Alain Ehrenberg, L’individu incertain, Calmann-Lévy, 1995, p. 18-19.
tissage d’une vie meilleure. C’est pour cela que le Mas se propose d’être un de ces lieux de rupture : nous sommes sûrs que la gestion de l’individualisme n’est pas l’idéal pour approcher et comprendre la vie d’un certain nombre de personnes en situation de grande difficulté et de précarité. D’où l’invitation à la vie commune du « lieu à vivre », à développer les capacités relationnelles entre nous et avec l’extérieur, sous la protection active du groupe : y a-t-il meilleur chemin d’accès à la reconquête de soi et de son avenir ? Les tenants d’un libéralisme pur et dur nous invitent sans doute à la découverte d’un autre chemin. Ici, nous continuer à croire (et à apprendre) que le « nous » est plus fécond que le « moi je », malgré tout ce que la vie a pu accumuler d’obstacles, de dénis d’existence, d’humiliations personnelles, de mémoires destructrices de soi. (Voir aussi « Charte des lieux à vivre », « Lien »)   Inégalités.
En 2010, 388 personnes les plus riches cumulaient autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. En 2015, il suffisait de 62 personnes. Et les 1% les plus riches détiennent autant de richesses que les 99% restants. Scandale ? Même pas, même si quelques rares voix se font entendre pour dénoncer une économie défaillante (comme Joseph Stiglitz). A peine un constat. Les inégalités explosent, malgré des affichages politiques contraires (l’Union Européenne, par exemple, affirme vouloir réduire de 20 millions d’ici 2020 le nombre de personnes exposées à la pauvreté et à l’exclusion : soit 16%). Et après ? Derrière ces chiffres, des hommes, des femmes, des enfants dépossédés et réduits à rien face à des politiques qui considèrent que l’Etat Providence est une charge insupportable pour une économie moderne… et qu’il y a bien assez d’associations pour pallier ces choix douteux soutenus par une partie de l’opinion publique qui s’imagine ainsi pouvoir accroître rapidement sa part du « gâteau » national [129]. Nous redire clairement que le refus de ces inégalités et le combat contre elles sont notre priorité, par-delà la nécessaire aide à la survie des exclus de nos systèmes économiques [130]. Parce qu’il s’agit d’éthique et de reconnaissance de la même humanité en tous, sans exception pour personne. Mais bien souvent compassion et gestion des modules d’aide aux personnes obscurcissent ces injonctions vitales pour le corps social lui-même. Entendre à nouveau deux propositions : celle d’un J.J. Rousseau (1712-1778) qui estime, contre les élites privilégiées des Lumières, qu’il n’y a pas de liberté sans égalité (voir le « Contrat social ») ; celle d’un John Stuart Mill (mort à Avignon en 1873) qui estimait que l’Etat doit favoriser la répartition des richesses plus que leur concentration (peut-être quelque chose à voir aujourd’hui avec la proposition d’un revenu universel ?) et que le bonheur de tous doit être le but de nos actes (à travers des propositions comme la création de coopératives de production, par exemple). 91
Voilà de quoi alimenter nos débats, nos positionnements et nos possibles initiatives dans le petit monde de Carles ! [131] (Voir aussi « Assistanat », « Dignité », « Ethique », « Pauvres »)   Infini. Dans l’étroitesse d’existences soumises à tant d’intérêts divergents, « infini » est comme le premier mot de l’alphabet de nos vies. Parce qu’il n’y a pas de vie sans horizon. Parce que ma vie n’est pas le tout de la Vie. Et parce qu’en chaque vie peut se lire quelque chose qui la dépasse et la dynamise. Accueillir l’infini dans nos vies peut être une manière de ne pas se laisser enfermer dans une actualité pas toujours sereine ni voulue. Pour dire que ce qui nous échappe est aussi ce qui nous construit. Comme un espace de liberté et de gratuité, parce qu’on « ne peut bien voir qu’à condition de ne pas cherch²er son intérêt dans ce qu’on voit. » [132]L’infini, comme ce qui met de la lumière. Certains veulent lui donner un nom : Dieu, ciel, Evangiles, avenir, progrès, soin… Au risque de le dévitaliser en l’enfermant dans un mot. C’est pourquoi j’aime bien la définition dynamique qu’en propose François Cheng : « L’infini n’est autre que nos énigmatiques échanges sans cesse renouvelés avec l’immémoriale promesse. » [133]Entrée dans une dynamique ! (Voir aussi « Spiritualité »)    
Information. Désir de savoir. Et de savoir le plus qu’il est possible. Sous prétexte que si une question m’était posée je saurais quoi répondre, voire répondre juste ! En retour, souvent, nous sommes invités à la discrétion au regard de la vie des gens, des poursuites qu’ils tentent d’éviter, des indiscrétions qui rompraient leur tranquillité hors les murs de la maison. Se redire que tous n’interviennent pas au même niveau de décisions à prendre. Faire relais auprès de l’équipe des salariés et professionnels (et de certains bénévoles) qui ont en charge tel ou tel aspect de la vie de la maison est déjà un immense service. Difficile. Et difficile d’imaginer que les salariés sont tenus et se tiennent à la même discrétion : n’est pris en compte que ce qui finit par être confié à l’un ou à l’autre par les résidents eux-mêmes. 92
(Voir aussi « Autorité », « Utile »)  

Initiatives.

C’est le reproche récurrent fait au Mas : on ne peut jamais prendre d’initiatives. « Prendre une initiative » ou « faire ce que l’on veut » ? Pourtant, chaque fois que cela a été parlé avec l’encadrement, des « choses » se sont produites. Certain(e)s peuvent en témoigner. Il est évident que l’équipe des salariés, responsable de la mise en œuvre du projet associatif devant le C.A., ne peut pas n’être que soumis à l’initiative personnelle des uns ou des autres. A ce titre, les salariés eux-mêmes se soumettent entre eux à cette régulation interne. Trop de fragilités sont en jeu qui obligent tout le monde. Sans compter les possibles prises en otages de certains résidents pour tenter de régler des comptes plus personnels et les inévitables marquisats que le temps ne manque pas de ciseler, malgré nous. Nos initiatives ne peuvent aller que dans le sens d’une meilleure prise en charge de la vie de la maison par les hommes : nous redire que ce qu’ils ne savent pas faire aujourd’hui, ils sauront le faire demain : c’est notre objectif. Et c’est bien ce qui s’est déjà produit pour les fromages, le maraîchage, l’arboriculture… (Voir aussi « Liberté », « Projet associatif »)   Initiative de solidarité.
C’est l’autre nom de nos « lieux à vivre ». Pourquoi ? Parce que ces lieux sont tous nés de l’initiative d’un « lanceur », interpelé par les questions de la pauvreté, de sa gestion dans notre société et du sort des personnes concernées par les effets de marginalisation, voire de relégation, qu’elle produit. C’est dire qu’à chaque fois : il s’agit de rendre aux personnes la part qui leur revient d’initiative dans leur espace de vie ; que les réalisations relevant des lieux à vivre ne sont pas d’abord un projet institutionnel mais relève d’une initiative personnelle apportant une réponse originale à une situation vécue… même si l’institution finit (ou non) par prendre sa part plus tard dans le temps, avec reconnaissance officielle (ou non) totale ou partielle. C’est dire que ces lieux tiennent par la part active, l’initiative de chacun dans l’acception d’une responsabilité sur le lieu. Ce qui vient, évidemment, contredire le naturel « moi-je-les-autresaprès » de nos vies ordinaires. Ainsi entrer dans la dynamique d’un lieu à vivre, d’une initiative de solidarité, suppose une réelle attention à l’autre avec la volonté de prendre sa part dans la gestion commune des lieux d’accueil. 93
(Voir aussi « Charte des lieux à vivre », « Echange de services », « Lieu à vivre »)  

Injonction (paradoxale).

C’est le règne de la double contrainte. Dans notre manière de faire face à la réalité (en nousmêmes), comme dans notre réponse aux exigences des uns et des autres. L’injonction paradoxale c’est un seul ordre qui contient en lui-même sa propre contradiction. Exemple : « Soyez spontané ! » car la spontanéité ne se décide pas, « Sois grand, mon petit ». Ou comme le propose Paul Watzlawick : « Ignorez ce panneau ». C’est aussi, souvent, le quotidien des responsables de cette maison. Mais aussi des résidents, invités à passer par-delà les conformismes (fussent-ils quelque peu anarchisants) pour (tenter d’) accéder à une autre compréhension d’eux-mêmes, du monde qui les entoure, d’une forme d’illégitimité existentielle qui ne cesse de polluer leurs interrelations. Pour chacun, peut-être, le rappel de Saint Just (1767-1794), relevé par Sophie Wahnich [134] : « N’opprimez pas, voilà tout. Chacun saura bien trouver sa félicité. Un peuple chez qui serait établi le préjugé qu’il doit son bonheur à ceux qui gouvernent ne le conserverait pas longtemps. » A explorer ! (Voir aussi « Bidouiller », « Hiérarchie »)  

Injustice.

Celle qui, silencieusement, s’accommode de la mise à l’écart d’une partie des citoyens au regard de leurs faiblesses supposées (économiques, de santé, de formation…) : « Nous disons : une seule injustice, un seul crime, une seule illégalité, surtout si elle est officiellement enregistrée, confirmée, une seule injure à l’humanité, une seule injure à la justice et au droit, surtout si elle est universellement, légalement, nationalement, commodément acceptée, un seul crime rompt et suffit à rompre tout le pacte social, une seule forfaiture, un seul déshonneur… » (Charles Péguy). L’injustice est alors de croire que seuls quelques-uns ont le droit d’investir la totalité de l’espace et du sens, au détriment de celles et de ceux qui construisent une compréhension différenciée. Ne pas négliger l’interpellation de Montesquieu : « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous. » Et nous souvenir qu’à l’occasion d’une rencontre Joseph Persat avec le CCFD, nous portions un tee-shirt où nous
avions fait imprimer au dos une phrase de l’AICF : « Nés dans une société injuste, nous sommes déterminés à ne pas la laisser telle que l’avons trouvée. » Vaste programme… peut-être encore plus aujourd’hui ? 94
(Voir aussi « Illusion », « Compagnonnage »)   

Innocence.

Définie comme « ce qui est exempt de malignité », généralement rattachée à l’enfance, l’innocence se rattache aussi à la naïveté qui permet d’accueillir l’autre sans préjugé, sans a priori. Accepter de ne pas recevoir les gens en fonction des projets qu’on a pour eux. Ce regard est nécessaire à une relation d’aide. C’est bien ce qui essaie de se vivre à Carles où, à l’image de ce que nous a légué Joseph Persat, l’autre qui arrive est d’abord un être humain, celui dont on deviendra compagnon. Sans chercher à le réduire à son histoire et à ses actes passés. Cette forme d’innocence dans le regard et dans l’accueil ouvre la voie d’un « nouveau départ » débarrassé de ces étiquettes qui empêchent d’avancer vers l’accomplissement de soi. Peutêtre s’agit-il bien alors de ce qui fonde « le droit de tout homme au respect de la/sa vie » (Christian de Chergé). Plus loin : pouvoir encore se dire que les gens sont innocents de leur vie, « que la faute d’exister n’existe pas et que la faute d’y avoir cru se dissout, se défait à ce soleil : l’amour est au principe. Mais comment cela se connaît-il ?… Cela se donne dans le lieu de notre relation à autrui… » 177. (Voir aussi « Accueillir », « Droit », « Regard »)  

Insertion.

Encore un gros mot. Il est généralement employé par les instituions pour désigner l’opération par laquelle une personne est invitée à faire comme s’il était naturel de (re)trouver emploi, logement et autonomie. Une évidence administrative qui ne résiste guère à la réalité (des situations et des personnes). Et le vouloir à tout prix risque d’être porteur de plus de maltraitance que soin réel de l’autre. Comment faire pour que l’insertion réussie ne se résume pas à la volonté d’aligner tout le monde sur la même ligne : rentabilité et profit (comme cela nous fut proposé par les membres de la Commission Nationale de Lutte contre les Exclusions, lors de notre passage pour l’obtention de l’agrément OACAS) ? Pour nous, toute personne est insérée si elle a choisi de se poser au Mas. Le « lieu à vivre » vaut contrat d’insertion. Pour que la réalité de l’insertion ne soit pas le prix à payer par les plus pauvres ou les moins chanceux de nos sociétés en échange de la tranquillité des autres. Mais il faut bien convenir que l’heure n’est plus guère à cette volonté, en dehors des grandes proclamations politiques. En fait, il s’agit ici d’un vrai travail pour tous, tant les plus pauvres restent le plus souvent finalement indéchiffrables (pour nous comme pour eux-mêmes). Rappel de ce qu’écrivait Philippe Demeestère à propos des acteurs de l’insertion : « Indéchiffrables, parce que nous
crève les yeux que leurs histoires et les nôtres demeurent étrangères les unes aux autres, que nos repos se trouvent et se prennent loin tant de leurs vies que de leurs morts. Sortir de soi, se laisser sortir de ses gonds, pour rencontrer tel zonard ? Oui, sans doute, pour rentrer ensuite, à nouveau, dans un chez soi inhabitable par l’autre. »[135] 95
Dans le cadre des « lieux à vivre » notre conception de l’insertion revendique un caractère politique, portant sur le droit à la différence. Elle vise à faire émerger une conscience collective soutenue par des échanges réguliers et des visites programmées entre les différents « lieux à vivre » (Voir aussi « Assistance », « Compassion », « OACAS »)  

Institutions.

A la fois Carles se définit comme une institution et comme autre qu’une institution au sens propre : « Le contrat qui lie les associations et les habitants des lieux à vivre et les habitants entre eux peut être qualifié de « contrat de compagnonnage ». Pour beaucoup, la reconquête de soi, la réapparition du désir d’une vie faite de liens sociaux et du goût d’une activité impliquent plus qu’une mise en conformité avec les normes sociales… Un tel projet n’est pas de nature institutionnelle, mais « un contrat de solidarité fraternelle » dans la durée », avonsnous écrit (et nous y avons souscrit) dans la charte des lieux à vivre. Mettre l’homme au centre de notre action et de nos dispositifs d’accueil, c’est aussi passer par-dessus certaines « pratiques administratives, certaines conceptions éducatives, et les craintes des élus et de l’opinion » pour que ne « prévalent pas les choix du transitoire au nom de l’insertion. » Nous devons toujours chercher à ne pas éteindre la voix ni les exigences des personnes en difficulté pour ne privilégier que celles des décideurs. Notre projet est un projet politique de transformation sociale, qui nous obligera toujours à nous positionner : soit on est dans une institution et la personne accueillie devient un « usager » encadré, etc. ; soit on est dans un « lieu à vivre » et le « compagnonnage » est notre force. Il demeure important pour la maison de rester en dialogue avec les « institutions » (nationales et territoriales), de trouver la bonne distance avec ces partenaires dont la bienveillance permet à nos projets de tenir dans la durée ! En ce sens la « charte d’engagements réciproques » entre l’Etat, le mouvement associatif et les collectivités territoriales (la « circulaire Valls » du 14 février 2014) peut offrir quelques points d’appui à travers l’affirmation « que les associations apportent en toute indépendance leur contribution à l’intérêt général dont les pouvoirs publics sont les garants, qu’elles disposent d’une légitimité propre, fondée sur la participation libre, active et bénévole des citoyens à un projet commun. » 179 (Voir « Charte de lieux à vivre », « Homme », « Projet », « Sens »)  

Intelligence.

D’abord celle de ceux qui vivent une situation d’exclusion qui demande une intelligence en éveil 24h sur 24 pour ne pas mourir, pour continuer à vivre, tout simplement ! Cette intelligence qui crée est, selon certains, le véritable génie !
Mais l’intelligence n’est pas dans le repli solitaire : « La neurobiologie nous apprend que l’intelligence humaine est le produit… de la qualité et de la quantité des échanges entre les 96
neurones. » (Roland Janvier).  C’est dans l’échange que se crée une intelligence associative, collective : la qualité est une affaire collective, par-delà ruptures, résistances et conflits. Ce qui fera dire à Ch. Bobin : « L’intelligence est la force, solitaire, d’extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi – vers l’autre là-bas, comme nous égaré dans le noir. » 180 Et puis encore cet aphorisme du philosophe Léon Brunswicg : « Si la bonne volonté pouvait suppléer au manque d’intelligence, le monde aurait été sauvé plusieurs fois. » Peut-être pour nous inviter à une plus juste mesure dans nos actions. (Voir aussi « Risque »)  

Intimité.

Comment préserver l’intime dans une vie de collectivité ? Comment conjuguer vie collective et espace de retrait ? Il ne suffit pas de n’être pas questionné sur son passé, ses origines. Il y faut encore un lieu, un « espace » où chacun est chez soi, pour mieux profiter des temps de vie commune… et ne pas se sentir enfermé dans un collectif trop impératif ! Comment faire que le cadre collectif ne soit pas trop pesant, voire mal-faisant, mal-traitant alors que nous faisons du collectif le cadre dans lequel chacun est invité à s’inscrire ? Rude question posée à l’encadrement : comment éviter de n’être que dans la volonté de faire entrer tout le monde                                                          179 Commentaire de Yannick Blanc dans la revue Jurisassociations (533), 15 février 2016, p. 16ss. 180 Christian Bobin, L’inespérée, coll. folio 2819, p. 25. dans le même cadre prédéfini ? Reste pour nous une inflexion majeure : faire en sorte que ce cadre collectif permette à chacun d’avancer, de réfléchir, de se responsabiliser. (Voir Compagnonnage », « Différence », « Dignité », « Habiter », « Vivre ensemble »)  

Invisible(s).

Ici ou là on a parlé des gens comme ceux qui vivent à Carles comme des « invisibles ». Invisibles pour celles et ceux qui ne veulent pas les voir. Pas voir des femmes et des hommes qui, sans volonté de leur part, vivent de manière marginale parce qu’ils ne sont plus insérés dans le cercle économique ordinaire. Encore qu’ainsi, ils contestent la manière de vivre des inclus.  Invisibles, parce que leur mode de vie, leurs choix relationnels, leur mode de consommation instantanée ne relèvent guère des codes habituels. Ils sont ce que nous refusons de voir, quand ils rendent trop visible que nos choix de société ne sont pas innocents, qu’ils créent des refus, des inégalités, des pauvres rendus à la faute de leur condition plutôt qu’à celle de nos décisions politiques. Quand ils rendent visible une autre manière de vivre, largement contestatrice de celle normée, vantée par tous les mercenaires de la consommation. « La seule grâce à demander aux dieux lointains/aux dieux muets, aveugles, détournés/à ces fuyards/ne serait-elle pas que toute larme répandue/sur le visage proche/dans l’invisible terre
fît germer/un blé inépuisable », écrivait Philippe Jaccottet. Ces invisibles sont aussi des « dépossédés » [136], le plus souvent ignorés dans leur réalité, sauf exception productive comme à Carles : ce qui rassure et justifie en partie l’invisibilité des autres. Mais la plupart du temps, il en va de notre rapport aux personnes pauvres comme de 97
notre perception de Dieu : « Il soupçonnait parfois qu’il les aimait comme Dieu les aimait : à une distance judicieuse. » 182 Reste à savoir que cette mise à l’écart pose sur beaucoup la trace indélébile d’une marque au fer rouge. (Voir aussi ‘Ferme », « Pauvres », « Productions »)  

Invitation.

C’est souvent cela que nous proposons lors d’une première rencontre avec les personnes extérieures : une invitation à un repas. Et à ceux qui souhaitent venir habiter avec nous, une journée pour faire connaissance et… manger ensemble.     J    

Jardin du souvenir.

Carles a pour ambition d’être un jardin ou l’on cultive le beau et le vrai au service d’une humanité en devenir. Au cœur de cet espace, le « jardin du souvenir » rappelle la présence de quelques résidents et bénévoles aujourd’hui disparus : à l’ombre d’un magnifique chêne, arbre symbole de la fidélité, au pied du « jardin de Bulot », René, Maggy, Lucien, Annie, Serge, Martine… ont toute leur place dans l’histoire de Carles. D’autres pourront les rejoindre…au moment venu et s’ils en ont le désir. Les rayons du soleil à son levant traversant les verres teintés d’un beau vitrail inséré dans une stèle éclairent de leurs couleurs chatoyantes le souvenir toujours si vivant de leurs engagements aux côtés de tant d’autres. (Voir aussi « Mourir »)  

Jardinier.

Il faudra longtemps pour que le premier carré cultivé (sous la cour) se montre à la hauteur de la fierté de Joseph, pour rendre cette terre rebelle à sa vocation nourricière. Mais finalement, les « jardiniers » des commencements de Carles se sont transformés en « maraîchers ». Par obligation. Pour gagner quelques sous de plus. Ils gardent pourtant dans l’âme cette volonté de tout jardinier : conserver la terre, la nourrir, lui permettre de produire, à sa mesure de terre. Image de ce que nous voulons pour celles et ceux qui passent ici… quel que soit le temps qu’ils y passent. Pour les tenants de l’Evangile, retour à Jésus et à sa résurrection. A sa rencontre avec MarieMadeleine qui le prend pour le jardinier. Drôle de jardinier qui se contente d’appeler cette femme par son nom : Marie (Jn 20,16) ! La femme et l’homme, l’humanité est la nouvelle terre qu’il se donne à féconder. Et si cela pouvait devenir l’image de notre volonté de reconnaître chacun par son nom, lui offrir le cadeau de sa réalité et de ses possibles, sans jugement ni condamnation, pour qu’il advienne à plus d’humanité ? 98
(Voir « Bio », « Chèvres », « Jardin », « Maraîchage »)  

Jeûner.

Ce n’est évidemment pas le but de l’accueil au mas de Carles. Mais cela arrive certains jours, à certains : pour ne pas grossir plus qu’il ne faut ; pour honorer le temps du ramadan pour quelques-uns ; sur commande médicale, parce que manger devient obsessionnel et maladif… Peut-être que jeûner arrive tous les jours, comme une manière de réapprendre à manger autrement : ne plus se jeter sur la nourriture, ne plus manger à s’en gaver… Se souvenir que manger avec excès tue : « On creuse sa tombe avec ses dents » dit un vieux dicton d’origine turque. Jeûner au Mas, c’est peut-être tout simplement accepter de remettre les compteurs de nos vies à zéro, retrouver le sens de la marche et redonner du sens à notre vie. Comme partout ailleurs. Comme cela est porté par le Ramadan des musulmans « fiers de vaincre par un effort qui redonne sens et qui rattrape toutes les incapacités… l’objet le plus accessible que les jeunes (et les moins jeunes) peuvent épingler sur le corps affamé de leur identité… » [137] (Voir « Nourriture »)  

Joie.

Les dictionnaires disent : la joie est une notion qui désigne le sentiment d’une personne en présence d’une autre personne, d’une situation ou d’un bien qui lui conviennent. Pour les Anciens, cela renvoie à la présence du divin dans ce qu’elle a de transformateur et de dynamisant sur le sujet ! Peut-on mieux dire de l’ambition d’habiter au Mas ? Le philosophe Baruch Spinoza (1632-1677) définit la joie comme « le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection », c’est-à-dire comme une augmentation de la réalisation de soi d’un être humain. La joie est ainsi un accroissement de notre puissance, lié à notre effort pour persévérer dans l’existence malgré son caractère tragique (dirait Nietzsche), manifestation d’une forme de puissance supérieure de la vie : « La joie est un affect par lequel l’esprit passe à une perfection plus grande » 184. Plus simplement, retour à ce que disait Ettore Scola pour justifier qu’il ne tournerait plus, dans
une interview au journal italien Il Tempo : « Je ne réussis plus à vivre le monde du cinéma comme autrefois, avec joie et légèreté. » Décidemment tout un programme pour chacun de 99
nous, avant de pouvoir dire à notre tour : « Laissez-moi découper cette minute dans l’étoffe du temps, comme d’autres laissent une fleur entre les pages », comme l’écrivait Albert Camus. (Voir aussi « Bonheur »)   L    

Légal / légitime.

Légal : « Résulte de la loi, est conforme à la loi ». Légitime : « Se dit de ce qui est conforme à la justice et à l’équité », ou encore « justifié par le bon droit, la raison, le bon sens », signale le Petit Robert [138]. Etre solidaires n’est pas s’établir dans un courtois irénisme, mais pénétrer le lieu d’un choix exigeant, où nous aurons sans cesse à discerner le légal du légitime. Et nous savons tous (ou nous avons tous à nous redire régulièrement) que la légitimité de vivre dépasse parfois radicalement la légalité qui en établit les conditions ou peut devenir un empêchement à l’accroissement de vivre. Penser « légitime » plutôt que « légal » peut, certains jours, nous entraîner sur la voie d’une certaine désobéissance civique… « tentation » fortement encadrée par un formidable système de normes qui en limite l’exercice. (Voir « Liberté », « Normes », « Projet associatif », « Solidarités »)   

      Légumes.                                                                                                                                             100

Non, non ! Ici on ne parlera pas de la vie du président, ni des membres du conseil d’administration… Plutôt de ce qui pousse dans le jardin et du soin apporté à notre terre pauvre et sèche pour lui faire accomplir chaque année le miracle d’une production bio. Tous les ans la rigueur de cette terre nous invite à la protéger et à soutenir la croissance de nos plantes. Outre la production largement distribuée dans un certain nombre de magasins bio, ces légumes nous donnent l’occasion de travailler autrement. Ainsi, par exemple, suite à une formation sur les huiles essentielles, nous avons modifié totalement notre façon de traiter nos productions maraichères pour les prémunir contre diverses maladies et atteintes classiques. Les résultats paraissent concluants surtout sur les cucurbitacées… De façon préventive nous avons utilisé des purins et décoctions, sans aucun traitement chimique, pour un très bon résultat sur poireaux et courgettes. Cette recherche nous a permis d’intégrer un groupe d’appui et de recherche vauclusien : DEPHY. Nous nous sommes engagés sur 5 ans avec un accent de recherche et de développement des engrais verts. (Voir aussi « Bio », « Chèvres », « Ferme », « Olivier », « Produire »)  

Lenteur.

Retour au projet associatif. L’association du Mas de Carles veut inscrire son accueil dans un mode d’action marqué par une certaine lenteur, pour donner du temps aux hommes dont on sait que la plupart, affolés par l’idée de n’être plus « insérés », se détruisent plus qu’ils ne se reconstruisent à vouloir aller trop vite : « Bonne lenteur : la croissance du brin d’herbe sous la neige… Mauvaise lenteur : la taupe d’une douleur dans les jardins du sang… » [139]. Cette lenteur offre à chacun un lieu de reconstruction de soi en permettant aux hommes de participer aux activités productives du lieu (source de formation qualifiante), à l’amélioration et à la mise aux normes de leur habitat, à l’acquisition de diplômes d’Etat reconnus (CAP, BEP, etc.), de vivre un compagnonnage actif quel que soit le statut des personnes (résidents, bénévoles, salariés). Cette lenteur (qui n’est guère le fait des salariés) abonde chez les animateurs de la maison la conviction que le choix de vivre au Mas de Carles, sous le signe du compagnonnage, a valeur d’insertion au même titre que les logiques de réinsertion proposées par les institutions mais pas toujours adaptées à toutes les détresses. (Voir aussi « Catalyseur », « Temps »)  

Lettre de Carles.

Cette parution trimestrielle raconte la vie de Carles et propose textes et réflexions qui transmettent l’esprit dans lequel on vit au Mas. Chacun est invité à s’y exprimer tant pour « raconter » que pour partager des propos qui alimentent nos pensées. Sans oublier la « recette » qui est parfois la seule partie lue… Elle se veut un outil de communication pour générer des liens et les consolider.                            101 (Voir aussi « Lien »)  

Libération.

Existe-t-il une société sans contrainte ? Qu’il s’agisse de Carles ou de toute autre forme de vie en commun, cela paraît douteux. La vie commune elle-même semble exiger quelques obligations. Un vieux proverbe chinois le rappelle crûment : « Recherchez la liberté et vous deviendrez esclave de vos désirs. Recherchez la discipline et vous trouverez la liberté. » « Il ne suffit pas que chaque note sonne à nouveau juste. Il faut encore libérer la musique » [140]Est-il si sûr que tous acceptent un projet qui vise à libérer chacun de la servitude de ses liens ? Qu’il s’agisse des liens de subordination pour les salariés (qui en demandent souvent le renforcement… pour savoir quoi faire sans plus de risque qu’il n’en faut pour l’avenir, voire le plan de carrière) ; ou qu’il s’agisse du lien entretenu entre salariés et résidents, les premiers invitant à des avancées dont les seconds ne veulent pas forcément, tant « par nature l’homme désire être restreint, mais désire aussi ce que le pli de l’habitude lui fait désirer. »188   Alors ? Pour commencer, accepter de nous regarder et de regarder l’autre sans jugement. Se reconnaître et nous reconnaître le droit d’être qui on est ! Et garder dans un coin de sa mémoire la petite phrase prononcée par une bénévole : « Quand le ciel a voulu poser un orteil sur la terre, il a choisi Carles. » Juste pour tenter d’être le ciel de l’autre, le lieu de son meilleur. (Voir « Accompagner », « Métamorphose », « Normes », « Regard »)  

Liberté.

Ce qui souvent se propose à nous comme une absence à conquérir, selon le mot célèbre de René Char : « A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide, mais le couvert reste mis. » [141] Elle est ce lieu où s’inscrit en vérité le souffle de chacun, à la condition de ne pas la brader : « La liberté (ne) meurt que du reniement de sa véritable finalité qui est d’aimer (…) L’Occident (devient) fou dans l’exacte mesure où, resté attaché à une conception idolâtre de la liberté, il ne sait plus quoi faire de sa liberté. Etre libre pour être libre, et non point pour aimer, telle est la définition même de la rupture, de l’impasse et du vide. » [142] Rappel que « liberté », au Mas comme ailleurs, ne se décrète pas ni ne se plie à nos fantaisies. Elle est plutôt le travail patient de notre capacité à défaire liens et peurs dans le respect de l’autre : « La liberté n’existe que là où l’intelligence et le courage parviennent à mordre sur la fatalité », écrivait Roger Caillois. La norme ne peut être que le rappel de ce respect dû. Et un autre : « la liberté : c’est-à-dire la connaissance des illusions de la liberté et la conscience de cette part de l’acceptation sans laquelle la liberté n’est rien. » (François Sureau). Ne pourrait-il pas s’agir, ici, de cette peur en nous qui voudrait astreindre l’autre à ne vivre que nos contraintes : « Vous vous êtes enfermés sur vous-mêmes, dans vos temples, vos demeures. Vous n’attendez personne. Vos chemins sont tordus et sont devenues des impasses. Votre mémoire est close, votre futur est vain. »191 A méditer quand il s’agit pour nous d’ouvrir des chemins d’espérance.                                                                                                                   102 (Voir aussi « Aimer », « Libération », « Normes », « Risques »)  

Lien.

Qu’est-ce qui fait lien entre nous, au Mas ? Ce n’est pas telle ou telle pratique, mais le fait d’être là, dans une forme de volonté (pas forcément immédiate) d’être là ensemble (ce qui se dessine à travers la participation aux activités, les repas partagés et les réunions communes). Avec des compagnons que nous n’avons pas choisis. Pour que nos vies deviennent moins invivables. Accepter d’avoir besoin les uns des autres pour mieux tenir debout, re-tricoter la confiance en soi par l’accueil des autres. Comme ce lien primaire qui relie l’enfant à sa mère : les liens tissés à Carles permettent d’en (re)partir pour « explorer le monde » en sachant qu’on peut toujours y revenir. Mais il y faut du temps. Ce lien recouvre plusieurs « figures » : liens à accueillir par-delà des identités différenciées qui ne sauraient nous constituer en supérieurs ou inférieurs, mais en égaux acceptés, en semblables ; liens dans l’entre nous de la vie commune au Mas entre résidents ; liens construits ou à (re-)construire avec la société qui accueille le mas et ses habitants ; lien à maintenir ou à éveiller avec la culture de notre temps… Invitation encore à nous poser la question de savoir ce qui aujourd’hui peut faire lien entre nous, humains. Qu’est-ce qui peut aider « à régler les rapports entre les hommes de telle sorte que les articulations entre souci pour soi et pour autrui soient facilitées » ? C’est le cœur de notre présence à l’autre ici. Dans un temps où les identités semblent devenir incertaines au regard de la marchandisation généralisée, du désenchantement du monde (à la lumière de la compréhension d’un Marcel Gauchet), d’une certaine compréhension de la mondialisation propre à éradiquer toute originalité (le monde de l’accueil n’y échappe pas qui catégorise les personnes en fonction des « cases » administratives dont il dispose)… bref, que reste-t-il entre nous qui soit encore capable de nous (re)lier ensemble ? Entre « le contrôle social généralisé et l’abandon des individus à eux-mêmes » y a-t-il encore une voie médiane autre ? Invitation à « éviter que la représentation du lien ne devienne le monopole des entrepreneurs de spectacle », comme y invitait Alain Ehrenberg [143]. (Voir aussi « Confiance », « Lenteur », « Temps », « Vivre ensemble »)   

Lieu à vivre.

Cette maison vit sous le signe du « lieu à vivre » et de sa charte. Dit ailleurs, cela signifie le plein respect de la vie (parfois lourde) des personnes, résidents, bénévoles, salariés ; l’acceptation d’une certaine lenteur pour donner du temps à ceux qui croient n’en plus avoir ; la conviction que vivre au Mas a, pour certains, valeur d’insertion ; la certitude que chacun est appelé à une autre forme de relation entre tous, hors surplomb et violences. Cela veut dire aussi que nous acceptons de ne pas confondre le mas de Carles avec un simple sont des « résidents ». Chacun peut choisir d’y habiter selon son parcours et sa décision 103 lieu de passage comme il en existe beaucoup ailleurs. Les femmes et les hommes accueillis propre. A condition de respecter les logiques internes de la maison : l’hébergement se fait au cœur d’une initiative de solidarité, dans le cadre d’une vie commune à vivre ensemble pour faire vivre la maison, participer aux activités qui nourrissent les finances de la maison, et le maintien d’un regard et d’un lien sur l’extérieur (démarches administratives, santé, culture, sport, etc.) Offrir aux personnes « un mode d’accueil qui privilégie la communauté de vie, un accueil en première intention adapté au rythme de la personne et à son image, dans un hébergement non traditionnel, pour une durée d’accueil non fixée a priori, sans exigence a priori de projet d’insertion, pour une promotion de la citoyenneté par des pratiques d’entraide et de solidarité, l’ouverture aux droits sociaux et l’inscription dans le droit commun [144] » Pas pour écarter d’un revers de main la classique insertion (tant mieux si c’est possible pour quelques-uns), mais pour préserver un avenir aux autres (AG du 25 mars 2006). (Voir « Alliance », Charte des lieux à vivre », « Initiatives de solidarité », « Personne ressource », « Respect »)  

Logement.

Lentement l’hébergement de nos lieux d’accueil s’est transformé en « logement », selon les directives des autorités. Le changement sémantique désigne aussi un changement de perspective relative aux plus pauvres. On réduit ainsi la réalité des personnes sans logement. Et quand en plus on invite les associations à développer le « logement éclaté » (en appartement) on fait semblant de croire que tous sont capables d’autonomie (sans risque pour eux) et on cherche à diminuer les charges relatives à l’accompagnement des personnes (rien en week-end, ni après 17h, sauf « contraintes ») et les réapprentissages de la vie en commun dont nous savons qu’ils sont les garants d’une réinscription sociale positive… qu’en tout cas ils ne sont pas étrangers à cette réappropriation. (Voir « Accompagnement », « Habiter »)  

Lucidité.

« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » écrivait René Char [145]. Lumière et douleur tout à la fois. Car accepter de venir à la lumière, c’et aussi accepter de ne plus pouvoir revenir en arrière, de ne pas retourner à l’ignorance de l’ombre première qui a si souvent dérouté nos vies. Pour ceux qui se veulent accueillants, la question de la lucidité est celle de l’identité renouvelée, à acquérir. Comment nous permettre de vivre avec ce que nous sommes et non avec l’idée que nous nous faisons de ce que nous pourrions être ? Question pour tous ! Et bien souvent sans réponse. Nous reste alors le parti pris de Kamel Daoud : « Je suis pour la lucidité bienveillante. » (Voir aussi « Errance »)  

      Lumière.                                                                                                                                             104

« Mon Dieu, mets une lumière en mon cœur, une lumière dans ma bouche, une lumière dans mes oreilles, une lumière dans mon regard, une lumière dans ma chevelure, une lumière dans ma peau, une lumière dans ma chair, une lumière dans mon sang, une lumière dans les mains, une lumière derrière moi, une lumière à ma droite, une lumière à ma gauche. Mon Dieu, faismoi croître en lumière, fais que je sois lumière. » (Al Ghazâlî) [146] En contre point, François Cheng traçait l’étrangeté de la fécondité en nous de cette lumière : « La lumière que tu dispenses, / Tu l’ignores. / Mais plus que les étoiles / Contemplées par toi / Tu es le gîte de la lueur / Vers où convergent / Les papillons de nuit / Vers où / Un cœur battant / Depuis le trop lointain / Trace la voie, / Lance le vol / Donne le chant. » [147] Ou encore Philippe Jaccottet : « Je me redresse avec effort et je regarde : il y a trois lumières, dirait-on. Celle du ciel, celle qui de là-haut / s’écoule en moi, s’efface / et celle dont ma main trace l’ombre sur la page. » [148] Pour ne pas se tromper de lumière et nous inviter, chacun, à faire naître cette lumière dans le regard et la vie de celles et ceux qui nous entourent ; tenter de dissiper le brouillard ou la fausse clarté dont les yeux des addicts se remplissent souvent ! (Voir aussi « Prière », « Spiritualité »)   105 M    

Maison.

C’est un mot que des accueillis prononcent volontiers pour dire leur manière d’habiter à Carles : « C’est ma maison » ! Comme être chez soi. « Quand donc est-on chez soi ? Quand on est accueilli soi-même, ses proches, sa, ses langues », conclut Barbara Cassin [149]. Avant d’être une satisfaction, une invitation à la vigilance : permettre à chacun d’être accueilli non comme un chiffre mais comme une personne particulière, avec son langage, son passé, ses relations à enrichir ou à fuir. (Voir « Habiter », « Urgence »)  

Malade.

Carles est-il un lieu adapté pour y accueillir des malades ? La tentation est forte de répondre négativement. Et pourtant : parce qu’on est au Mas, le temps est peut-être venu pour chacun de prendre soin de lui, de faire un bilan de santé pour découvrir ce qui doit l’être, savoir que l’on peut être malade sans cessé d’être pris en charge, entreprendre un soin et pouvoir aller mieux en toute sécurité.                                                                                                                     106 Alors, « Je suis malade » est une affirmation souvent formulée ici, comme l’indice d’une protection supplémentaire à mettre en œuvre. L’atteinte du corps « utilisé » comme un refuge, l’évitement pour désigner autre chose que l’on ne peut ni ne veut nommer. Une manière (plus ou moins consciente) pour les hommes de dire que quelque chose ne va plus. Aussi une forme de luxe : une fois posé au Mas, on peut laisser libre cours à la parole corporelle. En même temps dire « je suis malade » reste pour beaucoup quelque chose de difficile à avouer : le mythe de l’homme fort, du mâle dominant, a du mal à avouer sa défaite (qui se cache plus souvent derrière l’alcool ou d’autres produits). C’est en tout cas un temps particulier qui permet un autre rapport aux résidents à travers le geste du soin. Souvent l’occasion d’un échange plus apaisé, une autre saison de la relation. (Voir aussi « Soins », « Soutenir »)  

Marchés.

C’est avec l’accompagnement par Joseph des dames de Carles au marché que l’aventure de la maison a commencé : « En ce temps-là j’avais du temps. Je pouvais m’organiser. Je décidai donc de venir en aide à cette petite vieille. Nous lui devions bien cela. Je m’informais de l’heure où elle quittait Villeneuve et, deux fois par semaine, vers 12 h 30, je la rejoignais à la sortie de la ville. J’accrochais la charrette à la 2 CV et nous remontions ensemble. C’était nos deux rendez-vous de la semaine. J’en pris l’habitude et cela dura deux ans au moins, régulièrement. » [150]Les vieilles dames y vendaient leurs fromages et en revenaient chargées de légumes et de fourrage pour les bêtes. Ce marché, Joseph s’y alimentera souvent par la suite… avant que nous ne prenions le relais pour vendre à notre tour notre production. D’abord Villeneuve, le jeudi, puis l’expérience d’une vente à la maison (le samedi, aux Embrumes) avant de nous retrouver au rond-point des Maréchaux grâce au couple du bureau de tabacs. Enfin le lundi, aux beaux jours du printemps jusqu’à la fin de l’été, notre participation au marché des producteurs à Avignon, sur les allées de l’Oulle. En chacun de ces rendez-vous, il ne s’agit pas de « jouer à la marchande », mais de saisir ces occasions pour permettre à tous de faire valoir leurs savoir-faire et leurs compétences acquises, à certains de faire briller leurs qualités de vendeur ; à la maison, d’arrondir les fins de mois et le budget ; à tous d’apprendre un minimum de rigueur dans la gestion, les comptes et les inventaires. Et plus encore : faire valoir la qualité de nos produits et de ceux qui les produisent. Peut-être, pour les bénévoles qui accompagnent les hommes sur le marché, l’occasion de « vendre » l’association et ses actions. En regardant plus loin, le marché et sa régulation (ni trop ni trop peu) dépasse  largement la question de notre maison et des limites à y poser pour ne pas se tromper d’action et d’accompagnement. C’est aussi la question de toute notre société qui oppose le « marché » à la vie des hommes : ne pas tout réduire au marché, quand bien même « l’absence de l’idée de 107 rentabilité et de profit » apparaîtrait « comme une impuissance et une infirmité ». « Consentir à l’insolence et dire que la société n’existe que pour l’expérience humaine individuelle », écrivait Jean Sulivan [151]. (Voir aussi « Emploi », « Produire », « Sens », « Travail »)  

Mardi.

Le « jour de Mars » (le dieu de la guerre) rythme depuis longtemps la vie du Mas. C’est le jour de la réunion de l’équipe des salariés. Pas pour la guerre, mais le moment où se partagent expériences et regards sur la maison et ses habitants. C’est le jour où les résidents entonnent gaiement leur refrain : « Le mardi c’est permis », faisant allusion à la possibilité de rester en chambre ou de sortir subrepticement, personne n’étant là pour regarder les allées et venues.  C’est « permis » d’étancher sa soif, de s’en croire libres ce jour-là : à chacun sa Bastille (c’est un mardi que fut prise la Bastille, certain jour de juillet 1789). (Voir aussi « Réunions », « Vendredi », « Soif »)  

Mas.

Non, ce n’est pas l’abréviation de Maison d’Accueil Spécialisé. Simplement les retrouvailles avec notre histoire. Le vieux mas qui nous abrite et nous ressource. Entre garrigue et pinède, (entre Pujaut et Villeneuve Lès Avignon), cette ancienne ferme provençale de 26 hectares est construite au creux d’importantes carrières. Vers 1670-1680, on atteste de la présence d’une métairie sur le lieu, appartenant à un dénommé Carles (certains en font un abbé), qui aurait donné son nom à la propriété [152]. Plus près de nous, Théodore Aubanel fut un autre propriétaire des lieux qu’il acquit en 1884. Né en Avignon en 1829, ce membre fondateur du Félibrige, acquiert ce qui s’appelle, alors, la Carliste. Edouard, un de ses petits-fils, raconte : “Théodore Aubanel avait acheté, après sa première attaque… On l’appelait le Mas de Carle ou la Carliste. Le poète s’y rendait chaque jour à pied pour sa santé. Plus tard, mon père et mes oncles allèrent y chasser le perdreau et le lapin. » […] Mon père(Jean, fils de Théodore) vendit la Carliste en 1920. L’acheteur récupéra la somme donnée, et au-delà, avec le produit d’une seule coupe de bois. » (Souvenir d’Edouard Aubanel). Jusqu’à la mort du poète, en octobre 1886, à 57 ans, un fermier élève sur place moutons, poules et lapins. Soixante ans plus tard, l’exploitation agricole. Une attestation datée de 1948 et signée de Paul Maureau, ingénieur agronome expert près les tribunaux et administrations, estime que « les revenus nets ne peuvent, en année agricole, lui permettre de vivre. » L’exploitation « se compose, en effet, de trois mille pieds de vigne sans rendement. Une dizaine de cerisiers, autant d’abricotiers, huit brebis, douze agneaux. Le tout étant dans un état d’abandon tel qu’aucun revenu réel ne peut être envisagé et M. et Mme Bardin en sont réduits à vivre en hermite (sic) [153]. » Ce qui permet aussi de mesurer l’immense travail de restauration des terres 108 opérées par les résidents successifs de cette maison [154]. (Voir aussi « Embrumes », « Histoire », « Pierres »)  

Médicaments.

Existe un silence officiel devant la redistribution des médicaments à l’intérieur du Mas. Mais au nom du principe de précaution, mieux vaut sans doute gérer ensemble leur distribution que les laisser à disposition de gens qui ne mesurent pas toujours les effets de telle ou telle prise et pourraient en faire n’importe quoi. Deux certitudes accompagnent notre pratique : celui qui a un traitement est invité à le suivre ou à le faire modifier par un médecin en cas de désaccord ; nous n’acceptons pas les produits de substitution. Par contre, face aux réticences de beaucoup devant les réponses de la médecine officielle, nous pouvons proposer d’autres chemins d’accès aux soins, à travers une recherche autour de médecines parallèles : homéopathie, médecine chinoise, huiles essentielles… (Voir aussi « Soins »)  

Méditerranée.

L’espace de nos vies et de nos pratiques pour rendre, si possible, la vie meilleure à nos voisins et à nos concitoyens. (Voir aussi « Citoyenneté », « Voisins »)  

Mémoire.

« Il est bon de dire aux autres ce qu’il ne faut pas oublier, aux autres qui sont arrivés plus tard. Toujours en parler. L’histoire et les choses reviennent toujours… » Mémoire de ces visages qui ont peuplé la terre de Carles et le cœur de nos souvenirs, et les heures partagées entre rugueuse tendresse et franche engueulade : Rose et Gilberte, René, Alexandre, Luis, Edmond, Papa, Pascalon, Dieter, le grand Jacques et toutes ces « figures » des commencements ; ou ces résidents des temps plus récents (Jésus, Roger, Pascal, Saïd, Zouzou et tous les autres), vivants et morts honorés dans une même mémoire de vie. Mémoire de nos origines. Celle de chacun dont nul ne sait ce qu’elle peut réveiller en nous d’audace et de peurs. Mémoire des origines de la maison, et de son fondateur, de son projet, de sa pratique. Mémoire encore de ces événements qui nous ont amenés au Mas, à venir y vivre chacun pour la part qu’il en pouvait (n’est-ce pas Paul Déjardin, Jean Hilaire, Joseph Daviu… ?) : « chemin de Carles » (comme pour d’autres « de Damas »), chemin de chacun des autres pour vivre. Cette vie unique, ce chemin que je croyais solitaire est le lieu même de notre rencontre entre tous, habitants de Carles. Mémoire obstinée et fragile pour ouvrir chaque jour un peu plus un avenir pour tous. Mémoire comme possibilité de vivre ensemble, dans le respect des initiateurs, la proximité avec les présents d’aujourd’hui, l’inattendu de ceux qui viendront après nous. Laisser 109 l’inquiétude à demain, confier la barre au(x) vivant(s). (Voir « Commencements », « Dignité », « Persat », « Résident »)  

Ménage.

Chacun est chargé de faire le ménage dans son local d’habitation. A tour de rôle, chacun est aussi invité à entretenir les communs : ce qui est à tous, fréquenté par tous, est à la charge de tous… quitte à ce que l’équipe pousse un peu à la roue pour que les chambres et la maison ne ressemble pas à une déchèterie. C’est l’occasion de mini-conflits semainier quand vient le vendredi, par exemple, jour où s’établit la liste de la vaisselle et de l’entretien des lieux communs. Plus tard aussi, quand il s’agira de tenir son tour dont l’un ou l’autre ne verra pas l’utilité, quand on oublie que le ménage est aussi un lieu de mise à disposition de l’autre. On peut aussi élargir : se souvenir que chacun peut saisir l’occasion de sa présence au Mas pour faire le ménage dans sa vie. Dans tous les cas, ce ménage personne d’autre ne le fera à notre place. Tenir son intérieur propre appartient à chacun. Même si l’on sait bien qu’il restera toujours quelques toiles d’araignée (dans les coins ou au plafond) : pour nous rappeler qu’il convient d’aiguiser sans cesse notre regard (sur notre lieu et en nous-mêmes) et d’y revenir régulièrement. (Voir aussi « Quotidien », « Vulnérabilité »)  

Mépris.

Pas d’erreur. En y ajoutant un « e » on en a la définition : le « mépris » est méprise, une erreur foncière. Le mépris n’est jamais qu’une « méprise » sur l’autre, le refus d’entendre et d’accueillir ses capacités. Certains ont parlé de la « société de mépris ». Celle qui engendre sans cesse plus de pauvres et de précarité pour satisfaire ses objectifs de profit maximum, usant de l’insupportable «  brutalité avec laquelle le pouvoir administratif se recompose et se restructure sur la base de règles entrepreneuriales et managériales imparables, s’imposant avec la rigueur d’un couperet » [155]face aux plus démunis ;  dernière trouvaille : ne pouvoir s’inscrire à Pôle Emploi que par le truchement d’internet, auquel tout précaire et tout SDF a accès, comme on sait. Celle qui, à force de normes et d’injonctions paradoxales, « méprise la bonne volonté des acteurs les plus mobilisés sur les fronts de la misère » (Jean Lavoué). Doit-on évoquer, pour ne pas oublier, ces multiples mépris qui hantent parfois nos inconscients mémoriels, à transmuer pour pouvoir vivre une proximité apaisée et féconde, lutter contre ce sentiment mortifère pour tous ? Permettre à nos vies de devenir comme ce souffle du vent qui ensemence et pollinise invisiblement : « Cet air qu’on ne voit pas / porte un oiseau lointain / et les graines sans poids / dont germera demain / la lisière des bois… » [156] Chacun sait et saura bien trouver la force (personnelle et collective) pour donner corps à ce souffle ! Considérer chacune et chacun, se sentir considéré comme digne d’attention, est la sagesse tranquille qui nous rend heureux à Carles : ce qui donne ses couleurs, sa luminosité à la vie commune.                                                                                                                                  110 (Voir aussi « Argent », « Injonction paradoxale », « Normes », « Projet associatif », « Questions »)  

Merci.

Un mot qu’on apprend aux enfants en échange du geste d’un autre. Un « mot usé, mais qui brille comme une vieille pièce de monnaie », disait Pablo Neruda. Une manière de donner du goût à la vie entre nous. Mais un mot difficile à prononcer pour beaucoup, tellement s’est établie la peur d’être roulé pour trop de gentillesse. Sans doute ne nous faut-il pas oublier qu’un homme sans merci se dit d’une personne sans pitié ni respect pour personne. Homme ou société : « Une société n’offrant comme perspective qu’une compétition sans merci où les soi-disant meilleurs gagnent en écrasant les plus faibles et les moins combatifs ne me semble pas porter l’espoir d’un avenir particulièrement radieux. » (Pierre Joliot,  La Recherche passionnément) A l’inverse, se mettre à la merci de l’autre c’est entrer dans une forme de compagnonnage qui offre à chacun la force de la solidarité donnée et offerte. Dans tous les cas, « merci » est une manière de se poser en face de la vie, la reconnaissance d’un don qui précède toute donation, toute respiration et toute prétention possible à vivre. (Voir aussi « Compagnonnage », « Don », « Partage »)  

Mésange.

Absente de la Bible. Mais elle venait se nicher au cœur de l’amandier, devant la fenêtre de la « chapelle » et faire son festin de la vermine de l’arbre en fleur. Comme le rappel de notre projet ? Ou encore comme cette autre, traversant soudain l’olivier juste après qu’il a été taillé pour aérer son port et favoriser la récolte à venir. Indication ? Souvenir anecdotique, aussi, lié à Joseph. Janvier 1992 : nous sommes quelques-uns avec l’abbé dans la “chapelle”, autour d’un verre, avant le repas (vieille habitude !). Une mésange se perche sur un pot de fleur, devant la fenêtre. Jaune, bleue, noire et vive, à la recherche de la nourriture que Joseph pose souvent là : « Alors Joseph, tu donnes toujours à manger aux mésanges ? » « Oui, je leur mets régulièrement des miettes de pain. » « Ah bon, c’est pour cela que l’on voit souvent les chats près d’ici. » Surprise de Joseph : « Mais les chats ne mangent pas les miettes de pain ! » Peut-être n’avait-il pas pensé que les chats pouvaient aimer les oiseaux, autrement que dans l’accueil de leurs vols ? [157] Pas plus qu’il ne pouvait imaginer que l’homme soit définitivement du côté du mal. (Voir aussi « Impatience »)  

Métamorphose.

Celle que nous avons à imaginer concernant nos pratiques et la société tout entière. Répétons-le : les pauvres d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Et cela invite les acteurs (résidents, bénévoles, salariés) à un changement de regard et d’approche des personnes précaires (proximité, durée d’accompagnement, préservation de nos espaces réciproques –le 111 malheur / bonheur des uns, n’est pas forcément celui des autres-). Et le pacte républicain qui prenait le parti des pauvres, comme ce que la société leur devait au regard des fonctionnements socio-économiques, s’est essoufflé et « prend l’eau » de toute part. Désormais les « pauvres » coûtent cher et deviennent une source (facile) d’économie pour la nation. Comment « inventer de nouvelles méthodes intégrant les contradictions dynamiques de la société », transformer nos certitudes éducatives et sociétales en renoncement dynamique à la maîtrise et à la toute-puissance ? Comment « accueillir l’incertitude structurelle et structurante de notre quotidien » non comme une faiblesse, mais comme une promesse (usante mais féconde). Et cela ne concerne pas simplement les salariés de Carles, mais aussi les bénévoles et les résidents (par-delà leur besoin vital de sécurité et de stabilité). « L’heure est propice aux métamorphoses. Mettez-là à profit ou allez-vous-en » [158], disait René Char. Alors, plutôt que de subir, Carles veut être un de ces lieux de métamorphose, avec ses lourdeurs et sa dynamique propres, pour ouvrir « un chemin inédit pour la pensée et pour l’action » : penser le fragile et l’incertain en vue d’un vivre ensemble plus harmonieux. Impossible ?[159] (Voir aussi « Questions »)  

Migrant.

Peut-on dire que les résidents de la maison sont comme les migrants intérieurs de notre société… même s’ils se déplacent de moins en moins, se « posant » (pour un temps plus ou moins long) plus volontiers ou parce qu’ils en ont l’occasion maintenant que les règles de leur accueil ont beaucoup changé ? A cet égard, les réflexions d’un Tobie Nathan (France Inter, le 11.09.2015) ne manquent pas d’intérêt quand il déclare : 1 – « Les migrants sont les victimes  d’une simplification de leur communauté d’origine » : ce qui paraît vrai de beaucoup de ceux que nous accueillons, exclus de nouveaux modes de production auxquels ils n’ont pu/su s’adapter (trop, trop vite, trop seuls) ; 2 – « Ils viennent avec des mondes, des idées, des dieux différents dans leur tête… et c’est là que c’est intéressant ! » : qu’est-ce que tu m’apportes que je n’ai pas, est sans doute la vraie question à ne pas oublier de nous poser dans notre relation ; 3 – « Ils sont les représentants d’un monde disparu ou en voie de disparition » : en ce sens ils nous invitent à porter un regard « différent » sur le mode de normalisation/mondialisation de notre société ; comme le signalait encore Tobie Nathan, « tous ceux qui choisissent la simplification sont des gens en retard : de ceux qui ne savent pas dire : « Ta vie est préférable à ta mort » (y compris sociale) ; 4 – « Les gens quittent l’Afrique, mais l’Afrique ne les quitte pas » : de même que nos hommes ne quittent pas les « lieux » d’où ils viennent (famille, travail, compétences, etc.).  112 Retour à la migration première de notre père Abraham à travers laquelle Dieu sut révéler sa proximité, nous confier son souci de l’homme. Et renvoi à ce que cette quête recouvre de courage 209, car souvent : « Il ne reste d’eux que des chaussures et des exemplaires insubmersibles de corans et de bibles flottant sur l’eau ; dans leur mince bagage… ils ont préféré ces pages au pain et à l’eau. » (Erri de Luca, Journal Libération). (Voir « Accueillir », « Homme », « Illusion »,)  

Militance.

Ce qui fait exister les associations. Mais dans le même temps, une question posée par beaucoup d’administrateurs : « Devant la dégradation de l’accueil des plus pauvres dans nos sociétés, ne serait-il pas temps pour nous de redevenir un peu plus militants, en plus de notre fonction gestionnaire ? » Question posée à notre société toute entière, invitée à passer (laborieusement dans les faits) d’une culture de la notabilité locale à une culture de projet collaborative (comme le dirait Jean Viard). Question repoussée par certains : surtout ne pas demander à un bénévole plus qu’il n’est capable de donner. Il pourrait bien se retirer faute de s’en croire capable. Question posée aux salariés de la maison : comment poursuivre sa tâche au Mas, comment ne pas désespérer de situations parfois sans issue (à vue d’homme) sans un minimum de « cuir » militant ?                                                          209 3000 morts dans les eaux de la Méditerranée pour les sept premiers mois de l’année 2016, pour ces migrants. Question soulevée dans notre rencontre du 19 octobre 2013 où l’on évoquait la logique du projet du mas de Carles comme indicateur d’une rupture : celle du passage d’une logique de « notable » à une dynamique de « militance » ; appel à « transformer une logique d’acteurs par des dynamiques de projets capables de donner corps aux principes de solidarité et de participation ». Bouleversement. Et question de survie pour beaucoup de celles et ceux qui sont accueillis au Mas : sans la militance de certains, les choses ne tiendraient sans doute pas longtemps pour eux en matière d’accueil, d’accompagnement, parfois même plus simplement de survie. Chance vécue en direct au Mas, où chacun des salariés tente, à sa façon, d’investir cette dimension de notre vie commune en proposant polyvalence et « à côtés » : garde, abeilles, heures données au bon fonctionnement des responsabilités assumées par les résidents… Une « chose » que l’on trouve très peu ailleurs ! (Voir aussi « Avenir », « Bénévoles », « Pauvres », « Salariés », « Administrateurs »)  

Misère.

Comme l’envers de la vie. Derrière nos volontés et nos déclarations, l’épaisseur et l’obscurité des vies fracassées par l’alcool et les produits, les enfances saccagées jusqu’au viol parfois et à l’abandon, jusqu’au renoncement des adultes ou à l’abus d’autorité qui défont le sens commun des moins armés. Et cette fragilité jamais réellement maîtrisée, noyée dans les produits ou une forme d’acquiescement silencieux à ce qui est vécu comme une fatalité ; ou encore la volonté de paraître plus haut que sa propre vie ! Et cet esprit d’accaparement où 113 certains, pour s’assurer d’une existence à leurs propres yeux, n’hésitent pas à s’attribuer tel bien sur le dos des autres, telle clef ou telle activité pour se donner un pouvoir qui ne peut exister qu’en eux-mêmes… ce qu’ils n’ont momentanément pas la force d’affirmer, ni peutêtre même de vivre ! (Voir aussi « Compagnon »)  

Morale.

« Ici la morale signifierait que chaque sujet troublant, que chaque décision difficile, voire indécidable, que chaque incertitude entre nous, chaque hésitation est un instant précieux, un point de passage délicat comme une toile d’araignée déchirée que nous aurions à réparer de nos doigts (Wittgenstein). La morale ne signifiant pas le jugement mais cette forme particulière du dilemme qui appelle le courage des sentiments… L’éthique est un sursaut jamais un jugement. C’est une force, celle de ne pas rester fixe et immobile mais mouvant, mais émouvant, mais ébranlé, déplacé… La morale ne tranche pas. Elle répare. Elle dessine dans le sable et la poussière des existences quelques passages possibles sans effroi (ou le moins possible), je veux dire sans la contrainte de la peur, sans violence nécessaire. La morale est ici un tissu léger, pas une armure. Je veux dire alors très exactement ceci : nous ne savons jamais si nous renouerons le fil, si nous retisserons le lien… C’est-à-dire que les choix auxquels nous pouvons être confrontés, les choix d’existence les uns avec les autres, les uns envers les autres, ne sont jamais des choix définitifs, ni des choix exclusifs, mais des avancées instables sur le chemin très mince, très étroit, d’une aventure inachevée qui ne saurait être la nôtre, exclusivement… » [160] (Voir aussi, « Ethique », « Sens »)  

Mots.

Comme une évidence qui me vient à la lecture du (petit) livre de Jean Viard : « La société a changé mais nous n’avons pas construit le récit de ce changement, ni les mots pour dire le monde d’après… Nous en sommes réduits à parler de « crise » matin midi et soir… » (p. 26) Cela revient comme un leitmotiv dans ce livre. Et nous, au Mas, quels mots avons-nous (allonsnous) inventé pour dire ensemble le récit d’un monde de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion dont la nouveauté nous renvoie davantage à notre autorité dévalorisée ou à nos souvenirs d’un passé magnifié qu’à la recherche d’un autre équilibre ? L’édition de quelquesuns des mots croisés encore en chantier relève de cette intuition, sans pour autant parvenir à l’élaboration souhaitable. (Voir aussi « Illusion », « Travail »)  

Mourir.

Bien sûr il y a l’antique fascination des hommes pour la mort de l’autre, comme remède à la peur et à la perte des pouvoirs ordinaires face à la vie. La mort imposée, chaque saison Et il y l’autre : la mort comme cette compagne ordinaire de la vie (au Mas comme ailleurs), 114recommencée, comme la marque de nos volontés de puissance. Aveu de faiblesse extrême. quand bien même nous voulons être là pour nous y opposer. Bien sûr nous savons, par savoir intuitif, que « le jour où l’on ne meurt plus, où l’on peur réparer le corps à l’infini, il n’y a plus d’obstacle à la violence, c’est la porte ouverte à la barbarie totale. » [161] Aussi le silence qui se fait autour de celui qui « passe » n’est pas d’indifférence, mais une autre « parole » qui épouse les ruines de l’autre, signe notre humanité et accompagne son passage : Rose, Serge, Gilberte, Joseph, Louardi, Edmond, Pascal, David, Martine et bien d’autres. Et nous faisons tout pour que la pluie du temps n’efface aucun des noms de ces « passants » [162], compagnons de nos chemins, de nos errances, de nos courages aussi : « Aimer quelqu’un c’est lui dire : toi, tu ne mourras pas », disait Gabriel Marcel [163]. Sachant pourtant que la mort, nous rendant à notre nature, signe la fin de nos illusions de puissance et de maîtrise. Invitation à accueillir plus que chacun pour soi : accueillir un souffle pour tous dans le renoncement au mien propre. Carles est ce lieu inédit où l’on peut vivre jusqu’au bout. Mort comprise. Tels ces lieux familiaux qui prennent en charge la vie et la mort des siens. Accompagnement médical, amical, spirituel… Un tombeau au cimetière et un « columbarium » sur la propriété accueillent celles et ceux qui n’ont pas de place ailleurs (ou choisissent d’y prendre place). (Voir aussi « Aimer », « Jardin du souvenir »)  

Murs.

Prophétique. C’était en 1996 : « C’est vrai, vous refaites la maison et elle sera belle ! Mais ce n’est pas nous qui comptons, c’est ceux de l’extérieur », disait un résident. Invitation à revisiter nos « œuvres », la manière que nous avons de bâtir, pour qu’elles soient adaptées à la réalité des habitants de la maison et non simplement pour répondre à nos désirs de « normalité » ou à ceux des institutions. Nous souvenir, en outre, qu’emmurer peut être l’occasion, parfois, de fissurer le sens de l’accueil, de la convivialité, du partage, du monde qui nous entoure… Alors des ponts, plutôt que des murs ? C’est sans doute mal connaître ces murs que nous construisons en pierres sèches pour soutenir notre espace et améliorer la beauté du lieu. Ceux-là, nous ne pouvons pas les réduire à n’être que « sé-paration ». Ils sont aussi « ré-paration » : de l’œil et de chacun de ceux qui, participant à leur édification, se relèvent peu à peu jusqu’à pouvoir se tenir droits quand vient le temps de poser la dernière pierre ! Tout un programme. (Voir aussi « Beau », « Compétences », « Créer ») 115 N    

Nature.

Le mas de Carles est, avant tout, une plage de nature, un espace agricole, repos pour les yeux et pour l’âme. Les vingt-six hectares de terre et de garrigue, autour de la propriété, nous ont amené à faire le choix d’une vie centrée sur ce patrimoine naturel qui nous était confié. Outre la remise en état des bâtiments comme proposition de préapprentissage de gestes de travail, cela a déterminé la mise en place et l’accentuation progressive de structures de travail autour du jardin (maraîchage qui approvisionne largement nos repas), de l’entretien d’une serre (pour les plants et une production plus soutenue) et de l’élevage de chèvres (fromages et viande), de poulets et de lapins… Parce que notre terre est pauvre, elle réclame de notre part attention et soins : la nourrir est une évidence ; la protéger une part de notre devoir envers elle. Cette protection passe par le choix d’une culture « bio », nous permettant de retrouver une approche plus naturelle dans notre relation à cette « terre mère » dont nous dépendons. Une manière de développer une « écologie » dans notre rapport à la nature qui éveille à une écologie humaine dans notre rapport à l’autre.                                                                                                                                 116 Sur ces activités liées à l’agricole, à la nature et à une écologie pratique, nous proposons aux résidents, à celles et ceux qui viennent ici, passager ou non, de recentrer leur vie. Parce que la réalité de vie de certains est souvent lourde et instable, la (re)découverte de gestes précis du soin de la terre et des bêtes nous paraît un temps indispensable pour mesurer la capacité de chacun à entrer, en même temps que dans une démarche qualifiante, dans la possibilité d’un nouveau départ dans la vie (selon les désirs et les capacités de chacun). Cette option offre à chacun une mesure de lui-même : difficile à surmonter pour qui ne veut rien, mais révélatrice des forces (et des faiblesses à travailler) de ceux et celles qui veulent aller plus loin. La production est aussi le lieu d’une rencontre avec l’extérieur par la vente de nos produits. J’allais oublier : communier à la nature, c’est aussi habiter son territoire intérieur, comme y invitait Jean Sulivan. Essentiel, sous peine de retomber dans le désir de production et des profits associés. Ce qui serait le comble pour les habitants de ce lieu que ce système a rejeté faute de connivence suffisante ! (Voir aussi « Accompagner », « Bio », « Ecologie », « Produire »)  

Normes.

« Qu’est-ce qu’une norme ? C’est « la somme des exigences imposées à des existences », disait le philosophe Georges Canguilhem (1904-1995). Alors diriger n’est plus décider, mais réglementer les existences au nom d’une rationalité formelle. Nos vies sont quadrillées par un nombre croissant de normes sans que cela améliore la vie en commun, bien au contraire (Roland Gori, psychanalyste). Et qui s’exercent parfois comme une violence faite à la singularité, aux personnes, aux institutions, à la loi elle-même, tant l’emprise des normes devient première. Ainsi la norme de la société est telle que la réussite des hommes est le plus souvent liée à ce que gagnent les personnes, à leur travail, à leur réseau relationnel, à leur vitesse d’exécution à améliorer sans cesse. On sait que ces repères ne valent pas pour la plupart des résidents de Carles. Pas plus que pour beaucoup d’autres. Des normes : peut-être est-il urgent de nous redire que la vraie mesure des normes est celle qui fait place aux plus démunis et aux plus faibles de notre société : « Le vrai cauchemar est le plein, un monde totalement rempli au point qu’il n’y reste ni terrain vague ni temps mort, plus d’ennui… Un monde affolé qui suivrait jusqu’au bout sa pente panique en récusant toute forme de manque, ce monde-là serait immobile et morbide, vraiment effrayant. » [164]  Une norme qui empêcherait l’expression de la vie serait-elle une norme acceptable ? « Quant aux décideurs, c’est très simple : ils sont encouragés à accepter un principe de précaution sans nuance, mettant à l’abri de tout soupçon… de prise de risques. Ce qui est aussi un encouragement à ne pas prendre de responsabilité. » (Michel Wievorka, sociologue). D’un grand sportif ou d’un grand personnage ne dit-on pas qu’ils sont « hors normes » ? Pour dire la force et le génie de ceux-là… et que la norme peut toujours être l’occasion de passer à côté d’une fécondité imprévue ! (Voir aussi « Légal »)                                                                                                                                                             117

Nourriture.

« Ce qui entretient la vie d’un organisme, l’enrichit. » 215 Le repas est un des moments le plus intime de notre vie. Le rapport à la nourriture relève d’une identité culturelle, religieuse et affective (manger ou ne pas manger tel ou tel aliment, manger beaucoup ou peu, avoir peur de manquer…). Manger à Carles n’est pas anodin : pour les personnes extérieures, c’est une manière de prendre contact avec la maison ; pour les résidents, c’est un temps d’humanisation, de paroles échangées. On peut manger de manière régulière, se remplumer, sortir de l’obsession du manque (quoique l’expérience de la rue laisse quelques sérieuses séquelles de ce côté), parler avec ses commensaux (attention aux tables trop silencieuses) : dans tous les cas, manger comporte une dimension relationnelle à soi et aux autres. La découverte possible d’un plaisir quand cesse enfin l’urgence et le manque. Peut-être aussi manger est-il l’occasion de nous resituer : la terre et toute l’humanité sont présentes dans nos aliments. Le pain contient tout le cosmos : le blé ; le soleil, la pluie et la terre qui le font pousser ; le paysan, le meunier, le boulanger qui le transforment. C’est aussi l’occasion d’équilibrer des menus, apprendre à manger autre chose : par exemple, chaque lundi un repas végétarien est servi ; une manière de refuser à la seule viande la place préférentielle et l’idée que l’on ne peut bien se nourrir qu’à base de produits carnés. Manger à Carles est plus que se nourrir et cuisiner au Mas est plus qu’accomplir une tâche domestique : c’est façonner l’humain, créer du lien, enrichir notre propre humanité, diversifier la source de nos équilibres internes. Nous souvenir et mettre en œuvre en œuvre l’adage évangélique selon lequel l’homme ne se « nourrit pas seulement de pain » (Mt 4,4). (Voir aussi « Jeûner »)  

Nouveauté.

C’est l’impératif catégorique des institutionnels pour poursuivre le financement de certaines activités associatives. Cela mérite peut-être un détour. Qu’est-ce que la nouveauté au regard de nos structures ? D’abord, sans doute une manière de rappeler à tous que le passé ne suffit pas (et ne suffira jamais) à justifier l’actualité d’une structure… ce qui ne signifie pas pour autant que chaque structure n’a pas à se référer à une histoire qui l’a portée à être ce qu’elle est aujourd’hui, pour y lire les progressions possibles au regard de ses racines. Et cela est bon ! Mais cet appel à la nouveauté pourrait aussi très bien être une manière de faire croire qu’il suffirait d’une réalité augmentée (d’une part de nouveauté) pour mieux cerner la réalité réelle des personnes accueillies dans nos structures. L’augmentation en question, au prétexte de permettre à tous de grandir encore, risquerait de n’être que le pouvoir (exorbitant pour les plus démunis) de déréaliser la réalité de celles et de ceux que nous accueillons et, d’une certaine manière, de l’éliminer ! C’est que, bien souvent, la nouveauté pour celles et ceux que nous accueillons c’est précisément de retrouver une forme de statut dans l’acquisition 118 toujours la même, d’une communauté d’accueil, de repas réguliers, de pouvoir dormir sans craindre de se faire dépouiller, de retrouver un rythme de vie et de participer à une activité commune à travers laquelle pouvoir retrouver une forme d’utilité de sa personne. Invitation à nous redire que la vraie réalité est celle des gens, pas celle de nos désirs sur eux. (Voir aussi « Accueillir »)   O    

O.A.C.A.S.

La vie communautaire, l’activité et la solidarité sont les valeurs cardinales inscrites au cœur de notre projet. Cette approche, en rupture avec les logiques d’assistanat, permet aux personnes accueillies de reprendre la maîtrise de leur existence et de redonner un sens à leur vie. Aujourd’hui le statut des OACAS (Organismes d’Accueil Communautaire et d’ActivitésSolidaires) reconnaît officiellement l’alternative qu’offre la proposition d’accueil du Mas de Carles et des « lieux à vivre » réunis au sein de l’Union Interrégionale des Lieux à Vivre (UILV).   L’article 17 de la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion créé, au sein du Code de l’action sociale et des familles (article L.265-1 du CASF), une nouvelle catégorie d’entité juridique : les OACAS. Les OACAS visent à favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes qu’ils accueillent. Ils permettent à des personnes éloignées de l’emploi de participer à des activités relevant de l’économie sociale et solidaire sans lien de subordination, à la seule condition de respecter les règles de vie communautaire. En retour, les personnes accueillies ont la garantie d’un hébergement décent, d’un soutien personnel et d’un accompagnement social adapté à 119 leurs besoins et d’un soutien financier assurant des conditions de vie digne. Les OACAS suivent des règles propres et n’entrent donc pas dans le champ du droit commun des établissements sociaux et médico-sociaux ni du code du travail (absence de lien de subordination et de prestation contre rémunération). Les OACAS bénéficient, à leur demande, de l’application de l’article L.241-12 du Code de la sécurité sociale : les cotisations d’assurance sociale et d’allocations familiales sont alors calculées sur la base d’une assiette forfaitaire lorsque les rémunérations perçues sont i0nférieures ou égales au montant de cette assiette. A ce jour, il est de 40 % du SMIC par heure d’activité. En vertu de l’article L.265-1 du CASF, ces organismes sont soumis à un agrément dont les conditions ont été fixées par le décret n°2009-863 du 14 juillet 2009. Selon les cas, cet agrément peut être départemental (département du siège social de l’organisme) ou national (donné au groupement auquel adhèrent des organismes situés dans plusieurs départements). Le mas de Carles a été agréé Organisme d’Accueil Communautaire et d’Activités Solidaires en 2017, dans le cadre de sa participation à l’Union des Lieux à Vivre (UILV). (Voir aussi « Charte des Lieux à Vivre », « Lieu à Vivre »   

Obéir.

« La cloche obéit, le sonneur commande », écrit je ne sais plus qui. Et c’est bien toujours un peu cela. Chacun est bien le sonneur de sa propre horloge intérieure, le décideur de sa propre vie, à son rythme et à son pas : « L’humanité n’a pas d’autre lieu que la conscience, qui est en chacun le dépôt du sens de la dignité et de la justice universelle. L’humanité n’existe pas ailleurs »(Frédéric Gros). Sans s’illusionner plus qu’il ne faut : on obéit souvent à d’autres qu’à soi, tant les modes, les habitudes et les pressions de toutes sortes tissent une toile serrée alentour de nos vies et de nos libertés. « On n’est pas heureux si, pour être quelque chose, il faut obéir ou commander » rapportait Goethe [165]. Une bonne occasion de nous interroger sur nos pratiques d’accueil et d’accompagnement, pour ne pas croire que nous aurons tout résolu en donnant quelques ordres et en cherchant à veiller à leur exécution. Rien n’est pire que cette cécité qui donnerait à croire que la vie ne repose pas en les mains, la volonté ou l’ambition des personnes. Nous ne sommes, au mieux que des garde-fous ou des invitant. Toujours nous rappeler que « Nous sommes tous enfants du même père, qui est Dieu, et le Père commun n’a point asservi les frères aux frères ; il n’a point dit à l’un : Commande, et à l’autre : Obéis. » [166] Difficile exercice pour l’exercice de nos responsabilités, d’autant qu’on « obéit souvent pour ne pas avoir à affronter la peur de cette liberté [167]. Il en va de même dans nos interprétations, nos refus ou nos acceptations de consignes et autres applications de décrets et réglementations : jusqu’à quel point y souscrire sans dépasser les bornes de la liberté d’autrui et de sa sécurité ? (Voir aussi « Normes », « Politique », « Transgression »)  

      Objection de conscience.                                                                                                                   120

D’abord une histoire un peu ancienne. Il y a quelques années en arrière, une grande réunion des divers responsables de structures comme celle du Mas de Carles, était convoquée à la préfecture du Gard. Il s’agissait de nous expliquer la légitimité de l’application d’une ordonnance du ministère de l’Intérieur (alors dirigé par M. Sarkozy) qui consistait à imposer la force publique à l’intérieur de nos « maisons. » Soi-disant pour les sécuriser. En réalité pour faire la chasse aux sans-papier censés encombrer nos hébergements. En commençant par un premier courageux (je crois qu’il s’agissait du responsable du centre d’accueil de Pont Saint Esprit), chacun à son tour s’était levé pour revendiquer son « objection de conscience » et quand tous furent debout, les responsables de la préfecture avaient consentis, eux, à lever la séance. Nous refusions de laisser « désanctuariser » nos lieux . Histoire ancienne ? Seulement ? Le 12 décembre 2017, un nouveau ministre de l’Intérieur fait passer en force (contre l’avis de toutes les associations) le même genre d’ordonnance, sans consultation d’aucune de nos associations. Il dit qu’il veut faire libérer des places pour les « SDF en situation régulière » (un nouveau concept social, sans doute). Alors des équipes OFII sans mandat d’aucune sorte) seront chargées de promouvoir une nouvelle chasse aux sanspapiers. L’hypocrisie ne gâchant rien à ses yeux, le ministère ajoutera qu’il ne s’agit rien de moins que de la protection de personne « qui doivent bénéficier d’un bilan administratif et social », dont chacun sait bien qu’aucune association d’accueil et d’hébergement n’a jamais été réellement capable (quoique, pour partie, soutenue financièrement pour ce faire par l’Etat). Faudra-t-il à nouveau nous lever encore pour faire respecter et défendre les moins chanceux ou les moins bien lotis de notre temps, actuellement soutenus par nos associations ? (Voir aussi « Légal / Légitime », « Normes », « Obéir »  

Oliviers.

Cinq cents oliviers plantés en une dizaine d’années. Cela a commencé par le nettoyage d’espaces jusque-là envahis par une forêt de pins (l’arbre qui pousse quand plus personne ne s’occupe de la terre). Cela s’est poursuivi par l’effroi inquiet de Joseph : on lui enlevait une part du mystère de « sa » maison. Et puis, lentement un compagnonnage s’est établi avec ces arbres. Comme chacun sait « l’olivier en Provence est tellement familier qu’on l’appelle par son prénom » ! Un compagnonnage et un enseignement, sans parole, avec des mots de feuilles, de bois, de fleurs, de fruits et de saisons :
« Il est des rêves étranges qui vivent à jamais dans le cœur torturé des oliviers et que le vent caresse d’arbre en arbre de branches en branches de mains en troncs un murmure infini pour sortir de l’hiver… » 121
Ou cet autre, encore : « De déchirure en déchirure, la gourgue se soumet au secret. J’irai jusqu’au dernier souffle, dit l’olivier, je vaincrai ! » [168] (Voir aussi « Chèvres », « Ferme », « Légumes », « Produire »)  

Opiniâtre.

Etre opiniâtre, c’est être dans la durée de ce que l’on propose ou de ce que l’on se propose, sans abdiquer, en cheminant pas à pas, en rappelant le « pourquoi » de l’action entreprise : et le « comment » se fait jour peu à peu. Cela est vrai de toutes les personnes qui choisissent de participer à la vie de la maison : salariés, résidents, bénévoles. Cela est vrai de l’association elle-même, du Mas dans sa volonté de se référer aux paroles et aux pratiques fondatrices du lieu, celles de Joseph et des premier(e)s qui ont accompagné les commencements de la maison. L’opiniâtreté devient alors une qualité par les temps qui courent. (Voir aussi « Projet »)  

Optimisme.

Qu’est-ce qui, dans ce monde et dans le petit monde particulier de Carles, pourrait nous rendre optimistes ? Sur l’homme. Sur l’avenir. Bien sûr, par optimisme nous ne voulons pas renvoyer à cette « vertu par excellence du contribuable », dont parlait Bernanos, « c’est-àdire du contribuable heureux de se mettre au nudisme après que le fisc lui a ôté jusqu’à sa chemise » [169]. Bien sûr. Mais apprenons à regarder, à nourrir notre optimisme devant celles et ceux qui, arrivant au Mas, acceptent de ne plus fuir sans cesse ; devant celles et ceux qui prennent les moyens de sortir de leurs addictions, après une longue attente et de multiples négociations ; devant la capacité d’un certain nombre à exercer des compétences qu’euxmêmes ne soupçonnaient pas ; devant cette autre manière de vivre, ce chantier laborieux de nous-mêmes, qui permet à l’accueilli de devenir résident, au résident de devenir un ouvrier agricole compétent (avec la sanction d’un diplôme pour certains), à l’ouvrier formé de prendre sa part de responsabilité dans la marche de la maison. Peu à peu transformer un « lieu d’accueil » d’abord mal toléré par le voisinage, en une « ferme » bio, productrice de produits dont l’excellence transforme la manière de considérer les hommes et la maison et fait la réputation de tous. Bien sûr, rien n’est jamais gagné, mais « rien n’est perdu… nous escaladons les désastres pour y planter la vie… Et moi je te hisse devant moi, comme la proue d’un vaisseau en pleine mer démontée » (Julos Beaucarne).                                                                                    122 (Voir aussi « Ferme », « Regard », « VAE »)  

Origine.

  Au départ, pour Joseph Persat, le mas de Carles est né de la rencontre de deux urgences : la situation des plus pauvres (leur accueil, leur défense, leur promotion) et l’évangile à vivre au présent 221. Cette spiritualité de l’Evangile est aussi le choix du successeur de Joseph. Ce chemin, cette voie d’accès est également la référence pour un certain nombre des intervenants de la maison. Pas de secret en cela pour personne. Mais rester fidèle à l’intuition de Joseph, vivre pleinement sa foi et ses convictions, n’est pas enfermer les autres dans nos choix. La découverte d’un Dieu Père et Libérateur (proposé par les Évangiles) nous feront toujours rechercher un compagnonnage avec toutes celles et ceux qui partagent cette intuition d’une paternité et d’une volonté libératrice qui permette, à chacun dans sa langue, de retrouver le « souffle » intérieur qui fait le socle de l’humanité en l’homme : permettre à chacun de développer cette part de lui-même me semble honorer la fécondité recherchée pour chacun. Il ne s’agit pas de se limiter aux acquis religieux des uns et des autres mais d’ouvrir aux questions partagées, plus qu’aux certitudes affirmées. Dans cette ligne tout apport est bienvenu. C’est pour cela que les statuts de l’association ont trouvé dès l’origine leur expression sous la forme de statuts d’éducation populaire : « accueillir des personnes en difficulté matérielle et morale, de soutenir toute œuvre d’éducation populaire au plan physique, moral, culturel, d’assistance ou de prévoyance de toute forme. » Ce qui invite à passer de la gestion d’un CHRS à la promotion d’une « initiative de solidarité » qui valorise le vivre ensemble par l’entraide. (Voir aussi « Persat », « Spiritualité », « Statuts »)     123 P    

Papiers (et sans papiers).

Souci quand il faut les faire ou les renouveler : retards, refus, dossiers incomplets, changements d’adresse ou de département… Mais souci aussi quand on n’en a pas ou plus… : étranger, fuite, insécurité permanente… Plus de place pour qui en est privé : squat, logements insalubres, la rue en guise de salon, le trottoir en guise de chambre, la pluie pour salle de bain. Et la peur partout, pour tous. Appel à la fraternité. Il arrive qu’ici nous en accueillions quelques-uns. Pour eux, un temps pour souffler. Pour nous l’occasion de nous remémorer les patientes migrations d’où nous sommes issus. L’occasion aussi de nous représenter autrement une vie hors des circuits protecteurs que nous avons pris l’habitude de considérer comme normaux. Prendre au sérieux une autre réalité que la nôtre. (Voir aussi « Errance », « Migrants »)  

Parler / Se parler.

Ni cri, ni pleurs. Mais ce que Démocrite d’Abdère (Vème siècle avant Jésus-Christ) qualifiait 124 jadis « d’ombre de l’action » : comme ce temps que nous nous offrons les uns aux autres pour tenter d’y voir clair en nous et entre nous. Sans pour autant que nous laissions à l’abondance des mots le soin de noyer un silence qui souvent donne à naître plus qu’un flot de paroles. Parler serait alors mentir et inviter au mensonge : « Se taire : l’avancée en solitude, loin de dessiner une clôture, ouvre la seule et durable et réelle voie d’accès aux autres, à cette altérité qui est en nous et qui est dans les autres comme l’ombre portée d’un astre, solaire, bienveillant. » [170] Alors ? « Deux hirondelles tantôt silencieuses, tantôt loquaces se partagent l’infini du ciel et le même auvent », écrivait René Char 223. Deux et plus, bien sûr. Aussi parce que, toujours selon le même, « les mots savent de nous ce que nous ignorons d’eux. » Les   partager ne peut qu’ouvrir et rassurer, permettre de renoncer à la colère comme au  désintérêt de soi. On aura compris que parler et se parler est notre lot quotidien pour ne pas rompre trop vite entre nous. Cela se dit aussi sous le vocable technique de la « communication », mot cher à notre temps. Comme si apprendre à se parler, partager une information, échanger sur sa vie quotidienne ne relevait que d’une technique. Permettre à chacun de comprendre et de se comprendre : voilà l’objectif de toute prise de parole. Ce qui ne la rend pas forcément facile. En attendant, il est sans doute urgent de pas humilier la parole qui parle d’autre chose que quantité, statistiques et logiques marchandes. (Voir aussi « Dialogue », « Fraternel »)  

Partage.

Garder la maison accueillante et ouverte pour tous, résidents, bénévoles, salariés est parfois une épreuve, au milieu des exigences techniques et administratives de toutes sortes ; dans l’inscription de rêves faits sur notre dos. Mais nous devons savoir ne pas oublier que, si notre maison et notre mode de vie en font rêver plus d’un, c’est sans doute qu’elle est dans son rôle : celui d’éveiller à une part de soi-même encore ignorée, dans le très lointain souvenir d’un vieux prédécesseur : « Tous ceux qui vivent sur terre, Dieu les comble d’étendues immenses de terre en friche, de sources, de fleuves et de forêts. Pour les oiseaux, il donne les airs et l’eau pour tous les animaux aquatiques. Pour la vie de tous, il donne en abondance les ressources premières qui ne peuvent être ni accaparées par les forts, ni mesurées par des lois, ni délimitées par des frontières ; mais il les donne pour tous de sorte que rien ne manque à personne. Ainsi, par le partage égal de ses dons, il honore l’égalité naturelle de tous… Toi, donc, imite cette miséricorde divine. » [171] Que soient remerciés celles et ceux qui, au quotidien, permettent ce silencieux accouchement, au premier rang desquels se place le compagnonnage des résidents entre eux et le travail de présence de l’équipe des salariés. Si nos lieux ne sont que des substituts à l’exercice de notre fraternité, s’ils ne sont que des solutions de remplacement ou de compensation de nos fraternités inabouties, s’ils ne sont que des solutions de remplacement en attendant la mise en conformité des « non- 125 conformes » de notre société pour nous éviter d’avoir à changer quoi que ce soit dans nos manières d’être et de vivre, nos accommodements et nos marchandages avec l’injustice… alors il faut qu’ils disparaissent ! Mais s’ils deviennent les lieux d’apprentissage d’un autre mode d’exister ensemble, d’une autre forme de fraternité partagée, alors nous pouvons nous souhaiter de durer encore un peu. C’est bien cette seconde perspective qui m’interpelle : « L’affaire est une affaire de vie et de mort et non de nuances à faire prévaloir au sein d’une civilisation dont le naufrage risque de ne pas laisser de trace sur l’océan de la destinée », écrivait René Char au sortir de la guerre, dans ses Feuillets d’Hypnos [172]. Et au niveau individuel, Bobin ajoutait : « Nous souffrons tous de cela : de ne pas être assez volés. Nous souffrons des forces qui sont en nous et que personne ne sait piller, pour nous les faire découvrir » [173]. (Voir « Don », « Solidarités »)  

Participation.

C’est le mot que l’on emploi pour qualifier la façon dont les uns et les autres déploient énergie et savoir-faire dans les activités au Mas. Que ce soient les résidents, les salariés ou les bénévoles, il s’agit bien de participer à l’œuvre commune, petits morceaux de la mosaïque qui se réalise au fil des jours, chaque petit morceau étant essentiel à l’harmonie de l’ensemble. On demande à tous de participer, chacun selon ses capacités, acceptant de nous laisser habiter par les paroles de l’abbé Pierre qui a dit : « le vrai pauvre, ce n’est pas celui qui n’a rien et doit tout recevoir des autres, c’est celui à qui on ne demande rien ». En participant, chacun peut devenir personne ressource pour d’autre(s), vivre en compagnon d’expérience de l’autre. Cette participation peut-être aussi le lieu de la plainte : être trop (souvent) sollicité sur sa participation ou trop encadré par une forte hiérarchisation peut entrainer le même mouvement de recul, la même plainte des uns comme des autres. Du côté des salariés et des bénévoles confrontés à ce qu’ils pourraient estimer être une moindre obéissance (voire la mise en cause de leur autorité). Du côté des résidents qui verraient leur capacité bridée ou leur sens de l’initiative refoulé par ceux qui se présenteraient comme « mieux connaissant » qu’eux qui reviennent souvent d’un parcours où la débrouille a été leur survie ; pour qui la « servitude volontaire » n’est pas un horizon compatible avec l’idée que la plupart se font d’eux-mêmes. Un art du doigté et de l’accueil réciproque optimisé par la reconnaissance mutuelle des qualités et des capacités de chacun. (Voir « Accompagnement », « Coopération », « Personne ressource »)  

Passages.

Autrefois, les gens passaient peu de temps au Mas. Quand ils ne restaient qu’une, deux ou trois nuits, on les appelait les « passagers ». Ce temps n’est plus. Carles n’est plus un lieu de « passage ». En tout cas en termes de longueur de séjour, puisqu’il est bien établi que l’on 126 peut séjourner au Mas le temps qu’il faut à chacun pour se « retrouver ». En revanche, Carles reste et se veut tout à fait un passage pour celles et ceux qui se confie à la maison, pour ses habitants : un passage vers plus d’humanité, la visée d’une relation aux autres plus nourrie et plus riche (où l’autre n’est plus un danger ou un ennemi à combattre), passage vers une citoyenneté plus accomplie par l’insertion dans le tissu social environnant. Autant d’atouts pour affronter un possible retour à la vie extérieure, pour qui le désire. (Voir aussi « Citoyenneté »)  

Passé.

Rien de pire que de n’être qu’un homme du passé : c’est le risque de n’être que dogmatique ou de n’envisager sa relation à l’autre que par le prisme de l’adhésion à ce passé. Mais rien de pire non plus que d’être sans passé : c’est courir le risque d’être livré à tout vent de doctrine (girouette) ou au pouvoir de tout autre (qu’on se rappelle de Georges Orwell, 1984) : « Quiconque ne tient pas compte de ce qu’il était hier, ne sera absolument rien », écrivait Amadou Hampaté Ba. On se rappellera encore de ce qu’écrivait plus abruptement encore Etienne de La Boétie (1530-1563) dans son « Discours sur la servitude volontaire ou le Contr’un » : « Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance ». Invitation à regarder plus près nos histoires et ce que nous en pouvons faire… ou non. (Voir aussi « Avenir », « Commencements »)  

Patience.

Et celle qu’il faut aux scripteurs de ces « mots croisés » pour aller au bout de leur projet, vaguement testamentaire, volontairement accrochés aux réalités de Carles : pour ne pas oublier nos racines ni ce qui anime notre croissance commune. Patience encore plus rudement affrontée par les résidents qui ne demandent qu’à repartir dès que possible du Mas. A eux, il faudra du temps pour accepter que le temps pris ici joue pour eux, et non pas contre. Qu’il n’est pas un temps perdu, mais une protection pour aujourd’hui et pour entrevoir un gain pour l’avenir. Patience est alors ce que quelque ancien décrivait comme « une souffrance qui espère ». Patience aussi des salariés et des bénévoles confrontés à leur propre désir sur les hommes, désireux de les voir réussir, mais parfois oublieux de ce que rien n’est possible sans quelques étapes nécessaires à leur reconstruction : apprendre à entretenir une relation juste entre eux et avec les autres, se débarrasser de l’alcool et autres produits de substitution, se redonner un corps et une tête capables de soutenir leur marche en avant… Pour ceux-là « la patience est un arbre aux racines amères et dont les fruits sont très doux », selon l’affirmation d’un proverbe persan, s’ils acceptent de ne pas oublier de s’y appliquer. Avec toujours la tentation de confondre cette patience refondatrice avec l’indolence ou le laisser aller quand elle s’avère, bien souvent « la clef du bien-être » (Mahomet) ! Ce qui autorise un proverbe chinois à proclamer qu’avec du temps et de la patience les feuilles du 127 murier se transforment en robe de soie. Peut-être y a-t-il là un peu d’exagération (tant la réussite n’est pas garantie)… mais peut-être pas, après tout. (Voir aussi « Lenteur », « Projet associatif »)  

Pauvres.

La pauvreté est toujours relative à une région, un pays, etc. En France, le seuil de pauvreté correspond à 50 % ou à 60 % du niveau de vie médian. Un individu est considéré comme pauvre quand ses revenus mensuels sont inférieurs à 828 ou 993 euros (données 2012). Ainsi la France comptait cinq millions de pauvres en 2012 selon l’Insee si l’on utilise le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian et 8,6 millions si l’on utilise le seuil à 60 %. Dans le premier cas, le taux de pauvreté est de 8,2 %, dans le second de 14,0 %. « Ils sont la majeure partie de notre planète… Aujourd’hui présents dans les débats politiques et économiques internationaux, mais il semble souvent que leurs problèmes se pose comme un appendice, comme une question… marginale, quand on ne les considère pas comme un pur dommage collatéral. De fait, au moment de l’action concrète, ils sont relégués fréquemment à la dernière place. Cela est dû, en partie, au fait que beaucoup de professionnels, de leaders d’opinion, de moyens de communication et de centres de pouvoir sont situés loin d’eux… sans contact direct avec les exclus… » (Pape François) Les pauvres sont les pauvres de notre société. Leur pauvreté est le reflet de ses lacunes et de ses exigences, de sa difficulté à offrir à chacun les conditions de pouvoir développer ses propres capacités (Amartya Sen). Contrairement à ce que certains pourraient croire, ils ne sont pas là pour éponger nos surplus de compassion, ni nos excédents alimentaires. Leur présence nous invite à réévaluer nos propres choix selon des critères de justice. Ils sont comme des pierres d’angle pour de nouvelles constructions, d’une autre manière de vivre. Et ils nous posent la question de notre « lieu » : « Faute de faire le choix de devenir pauvre en pouvoir, en richesses, de soi-même, on ne peut pas mener pour la justice de longues batailles » nous rappelle Luigino Bruni. Plus largement, peut-être, nous souvenir que « la pauvreté est une dimension essentielle de la condition humaine, c’est une parole première dans la vie de tout un chacun. C’est une grave erreur de notre civilisation que de considérer la pauvreté comme un problème spécifique à certains peuples ou certaines catégories sociales… Nous naissons dans une pauvreté absolue et nous quitterons ce monde dans une pauvreté non moins absolue. » [174] La pauvreté n’est pas un accident, mais le don fait à chacun d’entre nous pour nous permettre d’entrer en solidarité avec tous. C’est pour cela qu’à une période de notre civilisation des familles « bien nées » on donnait un mendiant pour parrain à leurs enfants, afin qu’ils se souviennent toute leur vie que les pauvres sont leurs frères [175] (Montaigne, Montesquieu) ou l’on convoquait les pauvres à son enterrement (Léonard de Vinci ou Blaise Pascal). (Voir aussi « Départ », « Dignité », « Don », « Inégalités », « Métamorphose », « Participation »)  

Pédagogie.

Réflexe quand ce mot est prononcé : nous tourner vers les autres (résidents et ceux du 128 chantier). Comme une évidence. Vraie pour partie. Si notre compagnonnage de fraternité à Carles n’intégrait pas cette dimension d’une « fraternité éducative », cela serait dommage pour eux et grave pour nous : nous ne serions qu’une présence vide de sens. Mais « pédagogie » est-il le bon mot pour rendre compte d’une position juste en face d’un autre adulte ? Au-delà, pédagogie pour les intervenants. Nous souvenir que chaque vie est riche d’expériences (mêmes malheureuses) et de savoir-faire. C’est notre tâche de les faire venir au jour, de les valoriser pour être reconnues par leurs porteurs : leurs expertises et leurs apports sont essentiels, sinon nous appauvririons la communauté et l’association. C’est donc bien aussi de tous qu’il s’agit : de notre capacité à accueillir ces inachèvements en attente. Ne pas confondre nos mondes. Ne pas nous vouloir immédiatement semblables. C’est peut-être ce que signifiait cette phrase partagée entre nous en octobre 2013 : « Traverser nos illusions, accueillir en nous cette fissure qui permet le passage de l’autre en nos vies. »[176]Dure expérience. Pédagogie, encore : éviter que les lieux de responsabilité des uns et des autres ne deviennent que des enjeux de pouvoir (syndrome de la clef qui clôt l’espace de ma responsabilité et en exclut les autres). Devenir « personne ressource » : développer une culture de service, plutôt que de l’emprise, le dialogue plutôt que la mise au pas de mes désirs. François Cheng, peutêtre encore : « Ne laisse en ce lieu, passant, / Ni les trésors de ton corps / Ni les dons de ton esprit / Mais quelques traces de pas. / Afin qu’un jour le vent fort / À ton rythme s’initie / À ton silence à ton cri / Et fixe enfin ton chemin. » [177] Par-delà la poésie, comment accompagner les hommes dans leur responsabilité quand l’équipe d’encadrement est moins nombreuse ? Comment ne pas réduire les gens aux tâches qui leur sont confiées ? Et comment permettre aux autres de ne pas tenir pour rien la responsabilité des uns ? Et avec cela, faire en sorte que le partage des responsabilités voulu dans la maison permette à chacun d’évoluer dans le collectif et non l’occasion de s’isoler. On le voit, nous ne sommes collectivement (RSB) pas encore au bout de la question. (Voir aussi « Accompagner », « Personnes ressources », « Pouvoir »)  

Pension de famille.

Accueillir des personnes dans le lieu à vivre, c’est leur permettre de vivre là, le temps qu’elles le souhaitent. Depuis toujours, s’est posée la question de l’accueil de ceux qui désirent finir leurs jours au Mas de Carles. Ainsi, la pension de famille est un espace au milieu du lieu à vivre qui offre aux plus anciens de nos résidents un logement permanent et individuel mais intégré dans la vie collective du lieu à vivre. Le résident n’est pas isolé, il participe en fonction de ses possibilités aux activités communautaires d’entraide et de production. La création de la pension de famille (13 logements) permet le financement d’un poste d’hôte qui a pour mission 129 de favoriser un cadre de vie chaleureux, sécurisant et reconstructeur et de gérer la partie administrative et locative de ces logements. Le projet social de la pension de famille se décline dans une charte de vie dont l’hôte accompagne la mise en œuvre auprès de chaque résident.  Extrait de la charte de vie : « Dans ce  lieu à vivre , l’échange, le partage et l’entraide font partie d’un mode de vie auquel vous allez prendre part. Résider à la pension de famille du Mas de Carles, c’est faire le choix de cette solidarité et d’un mode de vie qui se caractérise par l’implication de chacun dans une vie en partie communautaire, dans des activités d’entraide qui touchent à l’entretien de la propriété et des bâtiments, à la mise en œuvre des activités agricoles et à l’accomplissement des tâches d’utilité collective.  Ainsi vous venez ici participer à une vie sociale basée sur le compagnonnage. » (Voir aussi « Habiter »)  

Persat Joseph (1910-1995).

C’est l’inventeur du mas de Carles (inventeur : le mot qui désigne la découverte d’un trésor). La figure fondatrice et inspiratrice d’un accueil qui débute au Mas au début des années soixante. Un bail emphytéotique est passé avec la vieille propriétaire pour y sceller sa présence. Son mode d’accueil sera marqué par le fait qu’il était prêtre (catholique). Pendant une quinzaine d’années, avec quelques-un(e)s de ceux qu’il accueillait à la paroisse Saint Joseph, il aménage un espace, pierre après pierre (qu’il ramène chaque jour dans son célèbre « tube » en même temps que la soupe pour les hommes installés là. L’association ne sera créée qu’en 1981 pour stabiliser l’œuvre d’accueil. Mais si toute fondation est portée par un visage charismatique, elle est aussi une œuvre collective. Autour de Joseph quatre ou cinq familles pour relancer, animer, préparer des repas, poser les premières fenêtres, faire monter l’eau jusqu’au vieux mas, poser WC et éviers… mettre, à tour de rôle, la main à la poche pour abonder la caisse commune. Chacun une semaine. Simplement pour manger. Pour que Carles un soit pas qu’un projet, mais devienne un lieu où l’on fait de la place pour accueillir : « Le plus grand risque que j’ai pris fut de vouloir organiser Carles, avec tout ce que cela comportait : un viager à assurer, des bouches à nourrir et cela, finalement, sans jamais avoir d’argent. A tout moment je risquais la catastrophe. J’ai vraiment tout donné : il y a des jours où je n’avais plus un radis… J’ai même risqué ma réputation puisqu’à ce moment-là si j’avais raté… on aurait dit : Bon, ce n’est pas étonnant, tu as été imprudent. » [178] (Voir aussi « Accueil », « Rose », « Service », « Spiritualité »)  

Personne (ressource).

Ce « moi repéré dans un groupe par son nom et sa fonction » (Marcel Mauss) qui se constitue au long du temps et de l’histoire sous la forme d’une présence qui échappe à toute mainmise de qui que ce soit : telle semble être la personne, à rebours de l’individu « qui est du côté de ce qui isole » (M-E. Bély). « La personne est son histoire » et non une identité fermée ou une chose à remodeler selon les modes ou les impératifs sociaux du moment, remarquait Ricœur. 130 Reconnaître l’autre comme une personne c’est peut-être vouloir d’abord faire vraie (autant qu’il est possible) l’invitation au « compagnonnage » induite par les « lieux à vivre ». C’est une forme différente de relation (entre résidents, bénévoles, salariés) qui s’instaure. Une relation qui préserve le mystère de chacun, accepte que « le but… n’est pas de faire (ni de faire faire) mais d’éveiller… », parce que nul n’appartient à personne d’autre qu’à lui-même, comme l’a souligné Emmanuel Mounier (1905-1950) [179]. A ce titre, chacun devrait pouvoir parler à l’autre vers sa mystérieuse hauteur, dans le respect de notre commune égalité : ce que Paul Ricœur explicitait par sa définition de « l’homme capable » [180]. Du coup, il faut parfois nous redire qu’il n’y a pas des chefs et des subordonnés, mais des personnes, ressources les unes pour les autres. Vouloir être une de ces « personnes ressource » c’est tenter d’accueillir la lumière dont chacun est porteur, accueillir comme une bonne nouvelle d’être réciproquement ressource les uns pour les autres dans le respect de nos lieux respectifs. S’agissant de personne réputée « sans ressource » il s’agit de se remémorer que cela ne correspond pas à une définition acceptable de la personne. Mais un appel au renforcement de notre attention : « qui dit personne dit toujours relation et non individualisme, affirme l’inclusion et non l’exclusion, la dignité unique et inviolable et non l’exploitation, la liberté et non la contrainte. »! 234 (Voir aussi « Autre », « Coopération », « Participation », « Valeurs »)  

Peur(s).

C’est l’obstacle majeur pour chacun. Pour celles et ceux qui viennent au Mas, avec le ventre noué par la peur de perdre ce qu’ils considéraient comme leur liberté, les objets et les habitudes (jeux, alcool et autres) qui les faisaient se raccrocher à un quotidien dépourvu d’autres références. La peur de choisir une autre vie où rien ne dit ni qu’elle sera meilleure, ni qu’elle ouvrira sur une quelconque forme d’avenir. Peur d’un monde normé (si peu que ce soit, encore n’est-ce qu’à notre regard) qu’ils ont, pour la plupart, déjà fui parce qu’insupportable à leurs yeux : travail, famille, patrie, respect des horaires et autres obligations multiples liées à la performance et aux nécessités d’un profit toujours plus exigeant pour les personnes… Inutile de nous cacher derrière notre petit doigt : c’est aussi un sentiment qui habite tout un chacun dans les choix de vie et les choix politiques, quand nous tentons de refuser d’être les jouets de logiques d’où la volonté humaine semble exclue. C’est ce sentiment que les extrêmes cultivent pour arriver à leur fin : en jouant sur les peurs (réelles ou non) ils comptent bien rafler la mise dans les urnes de notre avenir. Nous souvenir de Mahmoud Darwich : « Apprenez la peur, apprenez l’amour avant la peur. Apprenez que la terre nous est commune, que l’avenir nous est commun. » [181]C’est ainsi que Carles nous invite à « baisser la garde » pardelà nos différences : l’humour est le commencement de l’amour ! « L’une des choses que 131 nous devons rejeter avant tout est la peur. La peur rétrécit l’entrée, déjà petite, de notre cœur et réduit notre faculté d’aimer. » [182]  (Voir aussi « Accueillir », « Risques »)  

Pierres.

C’est le nom même du quartier : les Perrières (Les pierres), en souvenir des carrières (on nommait alors ce lieu Saint Bruno) qui y furent exploitées au Moyen-âge pour participer à la construction du Palais des Papes et des remparts d’Avignon, dont le pape Benoît XII (13341342), l’ancien abbé de l’abbaye cistercienne de Fontfroide, fut l’initiateur. La gloire et la peur (au moins le souci de protection). Montrer sa puissance et se protéger ont conduit des centaines d’hommes (on parle de huit cents personnes travaillant sur le site) à creuser le sol de Carles (entre autres) et à lui donner une part de son visage actuel. Dans ce double mouvement, ces carrières ont donc fourni la molasse marine du Burdigalien supérieur. Cette pierre est la même que celle des Baux, de Barbentane, d’Oppède, de Bonnieux, Ménerbes, Fontvielle, Beaucaire et Saint Rémy [183]. Ce qui reste de ce travail et des pierres rejetées parce qu’impropre à la construction, est utilisé pour construire (ou reconstruire) des murs en pierres sèches chez nous, pour tenir la terre, accompagner notre regard… et permettre aux hommes qui y travaillent de se redresser au fur et à mesure qu’ils élèvent ces murs. Ces pierres restantes sont devenues le symbole de ce que nous visons au Mas : protéger et permettre à ceux qui le souhaitent de retrouver la confiance en eux en (re)modelant le visage de Carles. (Voir aussi « Construite », « Embrumes », « Murs »)  

Place.

Pas évident pour tous : trouver sa place dans la vie de la maison et ne pas vouloir, pour autant, en exclure les autres ou croire que j’en suis le seul dépositaire. Le propre de la vie associative est bien d’associer les autres à ce que je suis, ici et maintenant. Pourtant, à chaque détour de notre vie commune, chacun cherche à garder sa place : au repas, par exemple où parfois je cherche à repousser qui veut prendre ma place autour de la table ! Dans tous les cas, ne pas vouloir la place des autres : tentation ordinaire de prendre une décision à la place de « celui-là » qui est censé en avoir l’initiative (et c’est une attention de tous les instants) ou, parce que, résident, il devrait se plier à une décision le concernant mais dont sa participation est exclue puisque, de toute façon, c’est pour son bien ! Selon la place que l’on occupe, on a forcément des attentes différentes. (Voir aussi « Attente », « Coopération », « Pouvoir »)   

Plaisir.

Epicure, bien sûr : « Quand donc nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n’entendons pas, par là, les plaisirs des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance 132 matérielle… Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l’absence de souffrances corporelles (aponie) et de troubles de l’âme (ataraxie). » [184] Beau programme pour les résidents de Carles… et pour les autres. L’occasion de nous redire qu’on ne peut pas venir au Mas simplement parce qu’on serait en dette d’on ne sait trop quelle redevance : morale ou autre. De même qu’on peut simplement venir y chercher un salaire sans autre forme de procès : « Aucune activité, en effet, n’est complète quand elle est contrariée… », signifiait Aristote [185], un encore plus ancien qu’Épicure. Se retrouver à Carles, quel que soit le chemin pris pour y arriver, est avant tout la promesse d’une forme de sérénité recherchée avant d’être trouvée. Une manière de se libérer de toute forme d’enfermement : « Tout peut prendre sens de vie ou de mort, selon que l’oppression s’en empare et s’en sert ou que demeure ce don premier, au-delà même du droit, qui fait que tout homme peut se connaître comme libre en sa naissance d’humanité. » [186] Une autre manière de faire place au plaisir dans sa vie. « Le plaisir le plus délicat est de faire celui des autres », écrivait La Bruyère [187] Comme pour nous redire que le plaisir est une manière de se comprendre soi-même peu à peu dans un lien de fraternité avec d’autres, au cœur d’un lieu confortable, beau, sécurisé… (Voir aussi « Compagnonnage », « Joie »)  

Pôle Emploi

Un organisme étonnant. Celui sans qui les subsides ne sont plus accordés. Qui évolue dans une société où les emplois fondent comme neige au soleil. Où chacun est renvoyé à une recherche initiée par Internet (quasi uniquement) et se fait plus ou moins gentiment bousculer au prétexte que « ce n’est pas le travail qui manque. » Sans que ne soit jamais expliqué en quoi « emploi » et « travail » seraient de même nature. Ici, à Carles, les périodes se sont succédé parfois de manière étrange. A une période où tout le monde devait s’inscrire (en passant à l’agence locale) a succédé une période où les gens de Carles n’étaient pas formellement désirés (sans doute par manque de résultat). Aujourd’hui les relations se sont normalisées : ne sont inscrits que celles et ceux pour qui existe une réelle possibilité d’emploi. Moyennant quoi, les rendez-vous se succèdent à un rythme soutenu qui finit par décourager les personnes, trop éloignées de l’emploi pour un résultat immédiat (obstacles divers et récurrents), pas suffisamment pour ne pas s’imaginer un jour capables d’y accéder. La quadrature du cercle dont on ne se défait pas si simplement, mais qui a permis d’instaurer un dialogue de qualité et de patience réciproque assumée. (Voir aussi « Activités », « Lieu à vivre », « OACAS », « Travail »)  

Politique.

Il y a la grande politique. Ou plutôt celle de nos dirigeants. Avec ses limites, car « l’enjeu n’est 133fondamentalement pas tant de prendre des mesures catégorielles pour les associations, que d’associer étroitement les citoyens aux politiques dont dépend le lien social : l’éducation, la culture, la solidarité, la sécurité au quotidien et j’en passe » écrivait Claude-Emmanuel Triomphe [188].  Du coup, « politique » résonne pour nous comme l’incitation à participer à la transformation des codes sociaux et des normes (sociales, techniques ou autres) dont s’est entourée notre société : par exemple, quelle place prenons-nous dans les interrelations sociétales actuelles (rapport de forces, conflit sociaux, oppositions d’intérêts, lutte des classes et des places) ? Ma manière de penser l’autre accueilli lui permet-elle de s’émanciper de la place que la société lui attribue ordinairement ? (Extrait de la réunion salariés, bénévoles, résidents du 19 octobre 2013). C’est bien ce à quoi nous invite fermement un spécialiste de l’accompagnement associatif des personnes en difficulté comme Jean Lavoué : « Les associations d’action sociale et médicosociale n’ont pas d’abord à se mettre en ordre de marche pour répondre à la nouvelle commande publique, à se conformer seulement à la logique impérative des appels à projets, mais avant tout à réinventer leurs cadres de pensée et d’action, à se mettre véritablement en projet : non pas selon les seules dimensions organisationnelles et gestionnaires même si elles sont aussi nécessaires, voire indispensables, mais plus fondamentalement autour de la dimension politique du projet. Il s’agit de contribuer à la production ensemble d’un autre type de société. Cela est vital pour les pouvoirs publics eux-mêmes et leurs échelons administratifs qui donnent bien souvent le sentiment d’avoir pris le pas sur le politique et risquent ainsi de conduire l’ensemble du pays, telle une belle mécanique technocratique, dans le mur du désengagement citoyen et du non-projet… » [189] (Voir aussi « Combat »)  

Ponts.

« La fonction des ponts est de permettre le franchissement d’un obstacle par une voie de transport. À l’origine, l’obstacle pouvait être une rivière ou une gorge profonde, et la voie de transport une route ou une conduite d’eau… », raconte l’Encyclopédie Universalis.fr. Créer des ponts, faciliter un passage par-dessus un obstacle, c’est un peu la vocation de Carles : aider à passer d’une rive à l’autre, de la solitude de l’exclusion à la possibilité d’habiter ensemble une maison, de l’angoisse d’un lendemain jamais assuré à la certitude de son contraire : bref, de l’errance à une terre un peu plus praticable. Ce passage est un immense combat avec soimême. Pour ne pas s’y perdre, il faudra une équipe, des compagnons, une activité choisie et du temps, parfois beaucoup, parfois plus encore… Bien sûr Avignon n’est pas au mieux avec son célèbre pont qui s’interrompt au milieu du parcours se contentant de surplomber le flot avant d’inviter au retour en arrière : encore que l’exercice ne nous voient pas revenir sur nos pas comme nous avions parcouru l’aller. Si cela existe pour les vrais ponts, il n’est pas sûr que les vraies vies n’aient pas l’ingéniosité de trouver 134 le cheminement qui manque au moyen ordinaire de franchissement de l’obstacle : « Il faut deux rivages à la vérité : l’un pour notre aller, l’autre pour son retour. Des chemins qui boivent leurs brouillards. Qui gardent intact nos rires heureux. Qui, brisés, soient encore salvateurs pour nos cadets nageant en eaux glacées. » 244 (Voir aussi « Accueillir », « Lieu à vivre », « Mourir »)  

Portes ouvertes.

Cette journée Portes ouvertes s’installe le 3ème dimanche de Septembre, jour où il est de coutume d’aller admirer ce que nous estimons notre plus précieux patrimoine : CQFD… invitation à nous redire que les plus « pauvres » de nos sociétés, les malchanceux et les laissés pour compte sont bien le patrimoine de notre humanité ! On y vient à l’improviste et il y aura à manger pour tous ! Cela au moins est certain. Plus que le temps qui lui, parfois, se fait capricieux et plus… incertain. Jusqu’à ce qu’une prière à Joseph (Persat) ne vienne rétablir les choses. Et d’année en année la nature se plie, peu ou prou, à notre rituel. ’est laissé faire par Bien sûr, les portes de Carles sont ouvertes toute l’année sur la garrigue : du coup, nul ne peut être interdit d’entrée. Mais ce jour du patrimoine, celles et ceux du dehors viennent regarder, goûter, respirer, et celles et ceux du dedans qui les accueillent se réjouissent de ce partage et s’en trouvent grandis : à la mesure du travail des mains et la détermination des habitants du Mas. Et c’est comme du grain versé dans le moulin de notre espérance à tous. (Voir aussi « Argent », « Donateurs », « Finances »)   

Pourquoi ?

Reprendre ici les mots d’une association qui s’appelle la « Moquette » : « Si nous nous intéressons aux personnes en difficulté ce n’est pas parce qu’elles seraient un vestige du passé qu’il s’agirait d’adapter au présent, puisqu’elles en sont déjà le résultat souffrant ». Ce serait, pour nous, la tentation de l’efficacité à tout prix au nom d’un mode de fonctionnement sociétal qui serait unique : celui de l’emploi et de l’autonomie à tout prix. « Ce n’est pas davantage pour les retirer d’aujourd’hui qui est pourtant la cause de leur mal, comme le font tant de mouvements de retour en arrière ». Ce serait la tentation renouvelée des anciens communautarismes qui n’ont pas permis de faire reconnaître la cause des plus pauvres de nos sociétés comme une priorité. « C’est pour qu’ils contribuent à l’égal de tout autre à l’invention d’une société démocratique » où plusieurs manières de vivre sont possibles, ou tout n’est pas donné de la même manière à tous. Si Carles n’est « pas pour tous, le lieu n’existe que par tous, et par tous ses actifs ». C’est sur cette ligne de crête que nous sommes appelés à avancer (extrait de l’AG du 30 mars 2000). (Voir aussi « Coopération », « Pauvres », « Société ») 135

Présence.

Jean, présent ! Jacques, présent ! Une manière de dire que l’on est là, quand pendant parfois longtemps on n’a été qu’un problème ou qu’une absence aux yeux des autres. L’occasion d’une redécouverte !  

Prestataire ou… ?

Mot ambigu. Le prestataire est « assujetti » signale le Littré. Assujetti à une autorité supérieure qui ordonne et contrôle, selon une nomenclature étudiée. Etre prestataire est donc une dépendance. Mais c’est aussi une « bonne » manière de couler les associations et leur logique propre : vouloir transformer les associations en prestataires de services, c’est croire ou laisser croire qu’elles ne sont que le bras des institutions, « payées » pour réaliser (et dans la mesure où elles réalisent) les volontés des élus et répondre aux exigences normatives des techniciens ! C’est une vraie question pour toutes les associations qui sont ainsi invitées ou pourraient se laisser aller à renoncer à leur part propre de recherches, d’innovations et de propositions propres à renseigner la nouveauté qui vient en toute société, à tous moments de la vie. (Voir aussi « Projet »)  

Prière.

C’est d’abord ce qui en nous fait appel à plus grand que nous. C’est refuser de boire à la coupe vide des apparences : accepter de se reconnaître nu. Désaltérer la sécheresse de mon lien à ce monde à la source d’un Au-delà (quel que soit le nom qu’on lui donne) : refuser de le réduire à mon seul geste. Vivifier ma solitude à une tendresse plus grande : « rappeler au Père que tu existes et qu’il est responsable de toi » [190]. Arracher « les morceaux du temps et du puzzle dispersé de nos instants » : et laisser surgir, un instant ou plus durablement, notre visage authentique : « entrer dans la mort chaque jour et marcher dans la vie, les yeux ouverts. » [191]. Par-delà la fierté affichée de chacun, c’est un moment que beaucoup s’accordent plus ou moins secrètement. Une manière d’offrir des racines à sa vie : ce qui se cache au coin d’un visage heureux de la journée qui s’achève, comme un petit cri dedans, devant l’inespéré après tant de galère ; qui en silence porte son amie l’espérance souvent bien cabossée ; promesse de ceux qui ont aimé venir un moment et gardent au cœur, comme en cadeau, le désir de soutenir la vie fragile, rencontrée ici et en nous. Ce sont aussi trois moments de la semaine où est célébrée, au Mas, l’eucharistie, ce don total du Christ pour l’humanité. Socle qui fortifie tout, puisqu’Il nous invite tous aux Noces. Cette petite histoire pour finir, rapportée par Gabriel Ringlet : « Un rabbin s’approche d’un vieil homme qui prie avec ferveur. En s’approchant de lui, le rabbin s’aperçoit, à sa grande surprise, qu’il récite l’alphabet. « Que dis-tu là ? », demande le rabbin. « Tu sais, rabbi », répond le vieil homme, moi je suis pauvre, je n’ai pas beaucoup d’instruction et je ne veux pas déplaire à mn Créateur. Alors je lui offre les lettres de l’alphabet. Pour qu’il se serve et se compose lui-même la prière qu’il aimerait entendre. » [192] (Voir aussi « Croyant », « Evangile », « Lumière », « Spiritualité », « Statut ») 136  

Prix.

Prix d’une place d’hébergement. Prix d’un lit. Coût d’une prestation. Calculs pour équilibrer les comptes et éviter la faillite. Mais ces prix-là ne renvoient-ils pas à un autre prix : celui de la vie, de la dignité de tous et de chacun dont chacun essaie de nouer les fils, surtout quand elle a été bafouée ? Ce prix d’une dignité retrouvée est la source de la richesse pour tous ici : « Car tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » 248 : ce sont les mots qu’Isaïe, un prophète du premier Testament, met sur les lèvres de son Dieu. A quel prix pouvons-nous être fidèles à cet aveu divin ? (Voir aussi « Dieu », « Dignité », « Spiritualité »)  

Produire.

Carles est un lieu de productions diverses et, aux yeux de certains, hétéroclite : de l’hébergement pour qui est sans toit, de la vie commune comme soutien à la personne et vecteur d’insertion (au-delà des requêtes habituelles de l’action sociale), de la confrontation accompagnée avec la réalité, de la découverte qu’on n’est pas seul, du mieux-être ; de la réintégration dans le droit commun ; du savoir-faire à travers les ateliers d’activités (source de gain à être, de proposition de diplôme d’Etat) ; du temps, qui est la marque et la volonté de notre être avec les hommes et une certaine manière de faire qui interroge dans la maison comme à l’extérieur. Mais Carles est aussi un lieu de productions à travers les activités proposées : fromages, maraîchage, confitures, miel, huile d’olives. Autant de productions qui sont devenues les ambassadrices du label « Carles ». Elles ont permis aux hommes d’habiter une « ferme » et non plus simplement un quelconque établissement d’accueil social. Ce qui qualifie autrement les résidents de la maison et offre du Mas un autre visage… et cela abolit quelque peu les conséquences d’un passé pas toujours apaisé. Peu à peu, la qualité de ces productions a conduit un certain nombre de restaurants (certains haut de gamme) et de boutiques bio à s’intéresser à nous. Peu à peu, les hommes (et les femmes) de Carles ont pris en main la production et l’écoulement de leurs produits, sous la houlette des responsables salariés. Quelques voix s’élèvent pour questionner ce positionnement : vendre nos produits à des « riches » est-ce encore prendre en compte la vie des hommes de Carles ? Un élément de la réponse est dans la qualité proposée. Sans laquelle rien ne se serait fait. Productions diminuées quand la sécheresse est là et que les incendies sont passés : le passage des sangliers à la recherche d’humidité et de racines à déguster assure une pré-récolte du maraichage. Beaucoup moins amusant ! Juste envie d’ajouter une ligne tout à fait différente, mais qui relève de nos volontés de produire : à Carles, nous voulons produire encore de la relation, de la parole échangée, de 137 l’amitié entre les personnes, du mieux-être, de la reconnaissance mutuelle… Toutes réalités qui valent, à nos yeux, au moins autant sinon bien plus qu’un « fromage AOP médaille d’or » supplémentaire, s’il devait venir en concurrence. D’ailleurs peu de chance que la qualité des fromages arrive hors de ces « productions humaines ». Bref, produire tout autre chose que de l’interdiction pure et simple (ne pas boire, ne pas de droguer, ne pas être en retard aux heures dites, etc.) : parce que l’interdiction ne renvoie guère qu’à la dissimulation et/ou à la mauvaise conscience. Tant que cela est possible. (Voir aussi « Ferme », « Sanction », « Sémantique », « V.A.E. »)  

Projet.

Il s’agit ici, avant tout, du « ce » sans quoi rien ne peut exister : ni homme, ni institution. Ce mot désigne une manière d’être (projet associatif, projet d’établissement, projet personnalisé, etc.) et l’invitation à nous « projeter », à anticiper le réel à venir. Ce mot désigne alors l’apprentissage de ce temps long pour être présents, de manière efficace, à la réalité, au réel des vivants. Pour exemple cette invitation de Joseph Persat aux membres de l’association : « C’est aux membres de l’association qu’est confié l’avenir de Carles afin d’y vivre mon projet qui est la réalisation du Royaume de Dieu. » (Testament de Joseph Persat, 1992). C’est ce à quoi veut répondre le « projet associatif » (ou la charte) qui donne à l’association et offre à ses membres les orientations majeures qui guident sa vie et les choix qu’ils peuvent faire ; ce à partir de quoi se décline ensuite le « projet d’établissement » ; ce qui fait foi quand se posent des questions de sens et d’avenir. Ce projet associatif est régulièrement remis en chantier pour en vérifier la pertinence et la faisabilité à tel ou tel moment de notre histoire. Le fonctionnement régulier des instances statutaires renvoie à un principe commun : une association est un groupement de personnes qui se donnent un but à atteindre, un projet, et qui décident d’agir collectivement en vertu de règles qu’elles établissent librement. On peut déduire de ce principe les trois règles élémentaires de la démocratie associative :
  1. Vérifier régulièrement la pertinence et la permanence du projet.
  2. S’assurer que l’action menée est conforme au projet, et en mesurer l’impact.
  3. Conduire l’action conformément aux règles établies en commun.
    S’agissant des résidents, le « projet » désigne la prise en compte des « attentes » des personnes, leur capacité à se dire eux-mêmes, le désir de les associer aux décisions les concernant. Dans le respect de leur intimité et l’exercice d’une vigilance attentive. Là encore : patience et capacité à remettre « cent fois sur le métier… » Outre qu’il ne faut pas oublier d’en « formaliser » les contenus, sauf à ne pouvoir profiter durablement de ses progrès… une demande qui s’assume par l’exercice (nouveau) des évaluations (internes et externes). Exercice difficile. (Voir aussi « Association », « Vivre ensemble »)                                                                                                                                                             138 Projet pédagogique. C’est la traduction du « projet associatif », en termes de moyens et d’étapes. Régulièrement l’équipe des salariés et quelques administrateurs se retrouvent pour en avancer la réflexion et l’écriture. Occasion de partages : d’idées, d’expérience et d’un bon repas !   (Voir aussi « Association », « Projet »)   Prophète. C’est le mot qu’emploient certains pour désigner la place qu’a pu occuper Joseph Persat. Pour dire cette foi en l’humanité de Jésus qui a illuminé sa foi en l’homme. Une foi telle qu’elle lui a donné de bâtir une maison pour que l’homme se remette debout, pour permettre à l’homme de redéployer toute son humanité. Un lieu où cultiver l’humanité en l’homme, sous l’invitation à la vie commune et au déploiement d’activités rurales (maraîchage, chèvres). Il nous appartient de faire vivre cette part prophétique d’une maison qui veut continuer à proposer un mode de vie qui fasse sens au regard de la société qui nous entoure. Non par ressemblance immédiate, mais par la proposition contrastée engagée selon le mode de vie des « lieux à vivre ». Précurseur, Joseph le fut aussi avec les aumôneries des Gens du Voyage, dans un accompagnement tout en proximité. (Voir aussi « Lieu à vivre », « Persat »)   Protection. C’est la réalité de fond, une des raisons d’être du mas de Carles : offrir une protection aux moins chanceux, aux plus faibles de notre société. Se poser, manger, dormir sans crainte, retrouver une communauté de vie et d’appartenance, un rythme de vie : toutes choses qui nous paraissent naturelles mais font cruellement défaut dans beaucoup des vies de celles et ceux qui viennent au Mas. C’est bien ce que les hommes de Carles (résidents, bénévoles, salariés) demandent aux responsables du Mas quand ils arrivent ici. Mais évoquer la protection des personnes, c’est aussi prendre le temps d’une réflexion plus large, dans le cadre d’une nation. L’histoire nous a appris que nous avions été capables de passer d’une charité privée à une assistance sociale prise en charge par les municipalités (dès le XVIème siècle). Avec la révolution française est apparue la proposition d’une assurance sociale imaginée par Condorcet (1743-1794) qui ne sera pas retenue. Dans le même temps l’expérience de Speenhamland, entre 1795 et 1834, offre un complément de salaire aux plus pauvres en Grande-Bretagne [193] mais le législateur y substituera l’invitation à réagir aux lois du marché. L’idée d’un revenu inconditionnel dès le milieu du XIXème siècle par Joseph Charlier (réactivée par James Tobin dans la deuxième moitié du XXème siècle [194]), continuera à alimenter la recherche d’une articulation entre l’économique et le social qui soit respectueuse des plus pauvres. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’EtatProvidence se posera au cœur de notre économie pour réguler une protection des plus faibles. Aujourd’hui essoufflé et décrié [195], la réflexion est à nouveau ouverte, tant les protections de jadis accordées par le travail protègent de moins en moins de personnes (parce qu’il y a de 139 moins en moins d’emplois disponibles). Avant d’enterrer, en passer par un examen sérieux pour mieux envisager ce que nous allons bien pouvoir offrir, à l’avenir, en termes de protection pour les plus accablés ou les moins chanceux de nos sociétés. Et sur notre volonté de trouver une issue qui leur soit favorable. (Voir aussi « Revenu », « Travail »)   Provençal.      « Les provençaux sont tous les mêmes. Jusqu’à cinquante ans, de la poudre. Et puis la paresse vous gagne, on engraisse et on devient Turc », écrivait Paul Arène.   Proximité. « Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie, il ne faut pas être audessus des hommes. Il faut être avec eux. » [196] Se faire proche, se rendre prochain ! Cela paraît simple au premier regard ! Et pourtant… Lévinas et Ricoeur consacrent de nombreuses pages à cette magnifique et souvent problématique proximité qui n’est pas « fusion. Elle est contact d’Autrui. Etre en contact : ni investir autrui pour annuler son altérité, ni me supprimer dans l’autre… Comme si (l’autre) n’avait avec moi rien de commun. » [197] Cette proximité est une manière de ne pas enfermer l’autre dans une manière d’être ou une fonction. Chercher à humaniser nos relations comme espace de vérité (Isaïe au chapitre 58 !), opérer une critique permanente du lien social, du lien qui réduit l’autre à n’être que sa fonction sociale… jusqu’à l’accueillir hors, voire sans qualité aucune (le samaritain et Lazare de Luc -Lc 10,29ss ; Lc16,19s-, les « petits » de Matthieu -Mt 25,31ss-, pour celles et ceux qui auraient quelques repères en matière évangélique). Proximité n’est pas rupture d’être pour personne, ni dévoilement (ou dévoiement ?) d’intimité. Mais invitation à « passer de la proximité spatiale à l’idée de la responsabilité pour l’autre » [198] ; invitation à « sortir de son quant à soi pour se présenter à l’autre » [199], sans quoi pas de présence ! En même temps, toujours prendre soin de ne pas isoler de leur communauté (la communauté du mas de Carles, par exemple) celles et ceux dont on veut se faire proches. (Voir « Accompagnement », « Distance », « Ethique », « Illusion »)     140 Q     Questions A partir des réflexions que suscite notre projet associatif : la difficulté de passer d’une époque à une autre. Quoi de commun entre le mode de gestion de Joseph Persat et celle de l’équipe de salariés qui gère la maison ? Les hommes, dirat-on ! Et la place de plus en plus grande qu’ils prennent dans le déroulement des jours : et c’est bien, même si cela peut désécuriser certains d’entre nous. Dans une histoire où la maison a été menée longtemps par des bénévoles, la référence à l’équipe des salariés comme responsable de la marche de la maison est parfois délétère. Et lien aux bénévoles (nécessaires) parfois distrait par des enjeux de personnes, de préférence, etc. la présence de plus en plus forte de l’alcool et de divers produits qui donnent lieu à commerce, prêt, échange d’argent… qui déréalisent le lien aux autres et à l’activité mais qui semblent devenir une évidence naturelle au point de n’en plus rien cacher (ni addictions ni bouteilles) ;                                                                                                                                         141 y ajouter la présence d’une génération plus jeune pour qui la relation à l’activité (outre celle à une communauté) ne signifie pas grand-chose : par incompréhension du but de cette participation (compléter les recettes de la maison), par méconnaissance du statut de cette activité (OACAS), parce que l’idéologie dominante n’est pas forcément de se tenir en activité mais de « faire de l’argent » en dehors de toute autre obligation ;  l’acceptation de la vie en communauté (autre pilier de la vie au mas), récusée par certains, élément premier d’une possible (ré)insertion, a du mal à résister à l’individualisme ambiant, au diktat d’autonomisation de la personne par les tutelles, aux violences des « deals » entre eux. le lien entre le social et la santé devient de plus en plus problématique, face à une institution de plus en plus enclose dans ses techniques et son impérialisme naturel. C’est à l’association de réguler ce lien. Et comment sortir de ce moment où faire appel c’est s’obliger à payer d’abord une somme relativement importante pour ses revenus. Comme si toute fécondité pouvait n’être qu’une affaire de « deal » et d’argent. Souligner une forme de mépris de l’humain devant des services qui se sont peu à peu transformés en plateaux techniques (santé, Pôle Emploi, tutelles, URSAFF, etc.) : une fois la question techniquement réglée, on récuse la présence des hommes, renvoyés à eux-mêmes dès que le protocole, décidé par les responsables, est réalisé. l’incertitude actuelle de notre pérennité liée aux politiques sociales et à la transformation du monde du travail (le plein emploi n’est plus un emploi pour tous, mais tous les emplois disponibles occupés, ce qui fait une sacrée différence, tout de même) : néanmoins, on parle de moins en moins de pauvreté et, de plus en plus, d’assistanat ! Il faut sans doute parler ici de rupture du pacte républicain [200] concernant la protection des plus pauvres et la lutte contre tout ce qui mène à la pauvreté… On semble s’acheminer vers l’idée qu’il suffirait de renvoyer à la charge des pauvres la résolution de la (leur) pauvreté : s’ils faisaient un effort réel pour nous ressembler, ils seraient moins pauvres ! Dans les têtes « les pauvres sont (devenus) le superflu de la société. C’est un mouvement violent de désolidarisation auquel nous assistons en France et ailleurs… Tout cela peut provoquer de grandes colères… C’est une rupture fondamentale ! »[201] Et sans doute bien d’autres questions encore à venir… comme la diminution drastique (avant leur suppression programmée ?) des emplois aidés au prétexte que chacun doit pouvoir (re)trouver un emploi (ce qui n’a jamais été réalisé sous aucun régime, auparavant). (Voir aussi « Projet pédagogique »)   Quotidien. Au-delà des grands projets, il y a le quotidien. Sans doute le moins facile à vivre pour chacun d’entre nous. Là se nouent et se jouent nos petites conquêtes sur nous-mêmes, la fécondité de nos relations, la qualité de notre désir de vie… et l’usure de la répétition : « Il est plus difficile d’assumer son quotidien, de vivre joyeux avec une maladie ou de traverser un deuil que de traverser la mer avec une planche à voile ou un hydravion. » [202] Quotidien : activités, repas, vaisselle et revendications, réunions, petits arrangements entre 142 soi et éclats de voix, jalousies et grands affrontements, colères jamais assouvies que l’on fait payer aux autres, passé envahissant qui dénature le jugement, shit et alcool certains jours jusqu’à l’hôpital parce que la ration quotidienne finit par avoir raison de toute raison. Et pour tous (ceux qui cherchent la sortie, ceux qui gèrent, ceux qui attendent d’attendre et les autres en attente d’eux-mêmes, ceux qui cherchent à se « faire mousser » sous prétexte de service rendu), accepter « de servir ce qui arrive sans prétendre en être le maître, n’être qu’un intermédiaire », comme l’écrit joliment Bobin [203], se tenir sur « le très peu », malgré nos rêves de grandeur et de reconnaissance. Dur apprentissage d’humanité. Qui érige la patience en vertu cardinale, la capacité à envisager l’avenir en refus premier de la fatalité, le choix de vivre ici et maintenant comme décision vitale, la participation (souvent pleine et entière) aux activités comme une résistance et un défi à la folie d’un monde qui ne cherche que profit, performance et consommation (toutes choses dont nos hommes ont déjà fait les frais). Choisir la vie. Nous prouver qu’ensemble vivre autrement est possible : si tu es beau tu flattes mon œil ; si tu es bon, tu augmentes mon âme. R     Racine(s). Prendre racine. Ne plus bouger. Renvoi au sens négatif de l’immobilité, de la petite mort signifiée : « Alors tu prends racine ou quoi ? » C’est la peur des résidents d’être assignés à résidence au mas, de ne plus pouvoir en sortir. C’est la peur des accompagnateurs que leur convivence ne mène nulle part ailleurs qu’à elle-même. Et dans le même temps, Carles est un lieu où l’on peut refaire ses racines. Ou les renier pour retrouver une forme de liberté : « L’homme possède ce caractère de ne pas être attaché à la terre par des racines », disait Epictète [204]. Ce qui fait l’humanité en l’homme n’est-ce pas, aussi, cette capacité à pouvoir bouger, à s’extraire de la fatalité d’une naissance, d’un passé ? Retour à l’Evangile et à Jésus qui questionne ceux qui lui annoncent que sa famille demande à le voir : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » (Mt 12,47). Prendre racine. Peut-être retrouver sa langue, sa vérité pour soi et sur soi : la seule manière de s’enraciner pour un « marchant » exilé même de ses errances ? Accueillir ses racines, dont le silencieux et souterrain entêtement alimente l’arbre tout entier et l’homme, malgré Epictète.                                                                                                                                              143 Ce fut pour Joseph Persat la réalité offerte par la terre de Carles : se donner des racines. Très jeune, il avait été déraciné de sa famille (qui habitait Firminy dans la Loire). Son éducation avait été confiée aux Pères du Saint Esprit, dans le village de Ceilhes et Rocozels, au fin fond de l’Hérault, à la limite de l’Aveyron. Peut-être est-ce finalement cela qui lui fera trouver sa terre à Carles. Au point qu’il lui arrivait d’emporter un peu de cette terre à ses amis pour leur signifier son nouvel et réel enracinement. De quoi peut-être nous donner des idées pour nous et pour celles et ceux que nous accueillons. (Voir aussi « Persat »)   Réciprocité. C’est le mouvement des uns aux autres, le mouvement qui crée et permet la distribution de la vie pour tous. Le contraire de la volonté de s’approprier ou de la rapacité qui n’est que l’illusion du partage. On raconte cette histoire à propos d’Epictète (philosophe romain stoïcien qui vécut entre 50 et 125) : « Alors qu’il avait acheté un jour une lampe de fer, un voleur la lui déroba. Il se contenta alors de dire : « S’il revient demain, il sera fort surpris, car il n’en trouvera qu’une de terre. » Un ignorant acheta fort cher cette lampe à la mort du philosophe, croyant qu’elle lui donnerait la même lumière que celle qui avait éclairé Épictète ! » Mais s’approprier n’est pas de l’ordre de la réciprocité. Entrer dans le mouvement de la réciprocité c’est donner toute sa place à l’autre sans chercher à accaparer ses dons ni ses biens. Partager la vie et les activités au Mas est de cet ordre. (Voir aussi « Compagnonnage », « Partage »)   Récolter. Pendant longtemps, la tradition de Joseph à Carles a été de semer et planter. Cela seul semblait l’animer. Il ne récoltait guère que son ail, indispensable à chacun de ses repas !  Depuis nous avons essayé de progresser dans ce registre. Nous récoltons ce que nous semons : au moins en majeure partie, par-delà attaques de bestioles, vers et autres insectes parfois dévastateurs. Sans oublier les sangliers qui, certains soir, s’en donnent à cœur joie ! C’est ainsi que la production maraîchère a bien progressé… Et cela nous permet de compléter nos budgets pour tenir la maison debout. Mais il faut bien le dire : on récolte toujours plus qu’on ne sème. C’est vrai pour certaines plantations qui nourrissent en plus le sol de Carles. Ou qui expulsent quelques redoutables insectes indésirables, quand on sait associer certaines cultures entre elles. Et cela est encore plus vrai de notre rapport à l’humain en l’homme accueilli au Mas. Et cela est notre joie ! (Voir aussi « Capital commun », « Dignité », « Homme »)   Reconnaissance et estime de soi question de chacun face aux autres : salariés, résidents, bénévoles. Tous sont dans l’attente 144 Ce n’est pas seulement la question (et la réponse attendue) des résidents. C’est l’éternelle plus ou moins aigüe de cette reconnaissance qui, pour certains, les remet en marche ou leur rend un dynamisme que la vie a quelque peu chahuté. Ce qui distingue souvent les uns des autres c’est que certains se réduisent à cette demande, ou réduisent leur demande à cette reconnaissance. Etre plein de reconnaissance est précisément l’inverse de ce mouvement égotiste : remercier pour la présence de l’autre. Comment entrer dans la dynamique de cette exigence de reconnaissance sans se laisser aller à ne la vouloir que pour soi, sans exiger cette reconnaissance dans ce que nos présences (partielles) produisent dans le collectif ? Sauf à réduire notre compagnonnage à une sorte de « médaille de la reconnaissance » qui ne produit rien d’autre qu’un bref mouvement d’orgueil satisfait. Où l’estime de soi poussée hors de ses frontières peut n’être qu’une manière d’occuper une place indue au détriment de la reconnaissance de celle des autres : « Vous tendez une allumette à votre lampe et ce qui s’allume n’éclaire pas. C’est loin, très loin de vous que le cercle illumine. » [205] Évidence salutaire pour tous. Pour avancer, encore, rappelons-nous que « reconnaissance » est le mot qui désigne l’art d’anticiper un chemin, d’en reconnaître avant les autres les pièges, les espaces de repos et de dangers. Reconnaissance est alors le nom du souci de l’autre, de l’estime que j’ai pour lui et de ne pas lui faire courir plus de risques que nécessaire ! (Voir aussi « Dignité », « Faire », « Illusion »    Regard.  Qu’est-ce qu’un regard ? En maçonnerie, le dictionnaire Robert signale qu’il s’agit d’une ouverture destinée à faciliter les visites, les réparations d’une canalisation… en même temps que le lieu des débordements quand tout se bouche. C’est par le regard (à surveiller) que s’annonce les ennuis à venir si l’on s’y prend trop tard. En géologie « le regard de la faille est tourné du côté du bloc affaissé… », pour signaler l’ampleur du bouleversement. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une source d’information sur l’état des lieux… et pour nous des personnes, qu’il s’agisse de leur regard ou du nôtre. Aucun de ces « regards » n’est finalement anodin si l’on se prend à vouloir les mesurer à l’aune de nos rencontres, au cœur du Mas entre force et faiblesse, entre accueil et rejet. Peut-être est-ce cela que Philippe Jaccottet cherchait à éclairer : « Qu’est-ce que le regard ? Un dard plus aigu que la langue, la course d’un excès à l’autre du plus profond au plus lointain, du plus sombre au plus pur. Un rapace. » [206] Tenter d’avancer ensemble sous le regard de l’autre (convivialité et entraide) au-delà de l’idée qu’être pauvre est une faute et, de préférence, celle des pauvres eux-mêmes. La pauvreté est bien une faute, mais c’est celle d’une société qui se construit le plus souvent dans le souci du rendement, du profit, de la concurrence effrénée sans grand (r)égard pour le reste : autant dire que ce mode de fonctionnement fait qu’il n’y a pas de place pour tout le monde et n’enrichit que quelques privilégiés… Changer de regard : leitmotiv de nombreuses réflexions. Quel regard je porte sur l’autre ? Ma 145 peur du regard de l’autre : mon regard qui ne se nourrit que de la peur imaginée (imaginaire ?) dont l’autre serait porteur ? Mon regard se doit d’être attentif, de prendre son temps. Savoir l’habiller de bienveillance, accueillir le regard de l’autre sans a priori, rester moi-même face à l’autre ou me découvrir dans le regard de l’autre ? Elargir notre regard à plus grand que la satisfaction de nos propres désirs : un travail pour tous, une attention pour chacun. Et si tenter d’aimer nous est trop rude, alors déjà suivre simplement le conseil de René Char : « Seulement désirer rendre meilleure telle expression de leur regard lorsqu’il se pose sur plus appauvri qu’eux, prolonger d’une seconde telle minute agréable de leur vie. A partir de cette démarche… leur respiration se ferait plus sereine. Surtout ne pas leur supprimer ces sentiers pénibles, à l’effort desquels succède l’évidence de la vérité à travers pleurs et fruits. » 263 Vrai pour tous les regards, d’où qu’ils viennent : les habitants de la maison, les bénévoles, les salariés et les personnes extérieures qui ne perçoivent pas forcément toutes nos richesses au premier regard ! Une attention pour en finir : nous rappeler « qu’une vigilance est nécessaire pour ne pas confondre les changements de regard (les nôtres et ceux de notre société) et les changements de la réalité » (Michel Autès) pour celles et ceux que nous accueillons. (Voir aussi « Aimer », « Dignité », « Illusion », « Sens »)     Rencontre. Vivre à Carles c’est accepter d’entrer dans une dimension de relation. Nous nous le redisons souvent : “On n’est pas des chiens. On peut se parler !”. Il n’est pas normal que l’un agrandisse son lieu sans rien demander, que les familles soient accueillies sans en prévenir les responsables ou que l’on aille se promener ailleurs sans rien dire. Dans toutes les familles c’est pareil : on s’informe. C’est le minimum. La réunion du vendredi est une des expressions de cette dimension. Et si l’on veut vivre sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit, alors il faut partir, se trouver un lieu où « je ferai ce que je veux, quand je veux, si je veux ». Ce désir est normal. Il est signe de bonne santé. Mais il doit s’assumer ailleurs qu’à Carles, dans ce qui sera le “chez moi” de chacun [207]. Parfois on substitue « réunion » à « rencontre. Mais l’expérience nous a déjà fait savoir que ce n’est pas la même chose ! Au mas de Carles, plusieurs rassemblements sont proposés et ponctuent la vie. Ils n’ont pas tous la même dénomination. On se rassemble pour des réunions bien sûr mais aussi pour des rencontres : les rencontres « Résidents Salariés Bénévoles », les « Rencontres Joseph Persat », les « Dialogues de Carles », « Cin’échanges »… Dans la rencontre, on mise sur le relationnel pour permettre la qualité du travail, de la réflexion et des échanges. C’est par l’accueil et le respect de l’autre que vont s’enclencher les discussions et se consolider les convictions partagées. (Voir aussi n », « Lien », « Reconnaissance »)                                                                                                                                                             146 Rencontres Joseph Persat. Cette initiative veut offrir aux membres de l’association (mais à d’autres aussi), en lien avec le CCFD-Terre Solidaire, un espace de rencontre et de réflexion sur nos pratiques à partir de celles de Joseph Persat, notre fondateur. Pourquoi une journée « Joseph Persat » ? Le Mas de Carles est un lieu de combat. Combat contre l’exclusion. Par l’accueil de personnes sans domicile fixe ou en situation de grande précarité. Combat, aussi, par le choix d’une vie proche des exclus. C’était une des volontés du fondateur de l’association, le père Joseph Persat : vivre avec les pauvres ; choisir de vivre au quotidien les gestes d’une proximité avec les femmes, les enfants et les hommes, en rappel et en mémoire de la Tendresse prochaine dont il se reconnaissait issu, comme beaucoup d’entre nous. Des années durant, pierre à pierre, geste après geste, Joseph Persat a bâti un lieu d’accueil. Carles, aujourd’hui, est le fruit de cette longue patience, de ce don volontairement consenti à l’autre pauvre et exclu. Et cela lui permettait d’être là, avec son espérance, au carrefour de la rencontre des hommes entre eux et avec leur Dieu. Ces journées organisées depuis 2004, (chaque année puis tous les deux ans) veulent permettre à tous d’entrer plus avant dans les priorités et les objectifs laissés en testament par Joseph, aujourd’hui confrontés aux exigences de notre modernité. (Voir aussi « Accueillir », « Commencements », « Persat Joseph », « Testament »)      Repas. C’était pour Joseph Persat la meilleure manière d’entrer en contact avec la maison, quel que soit statut et renommée. Le lieu et la manière privilégiée qu’il se donnait pour faire place aux nouveaux venus : « S’asseoir / comme un inconnu /, poser les mains / sur la table /, du regard/ Simplement / demander asile / et permission / […] ne dire / qui l’on est / d’où l’on vient / ni pour quoi / réserver la parole / à autre chose / et mettre sa chaise / à la fenêtre. » [208][209] Le règlement intérieur de la maison indique que, sauf exception, la présence aux repas est obligatoire. Une manière de se donner du temps de convivialité et de partage de paroles, de rencontre avec les autres : « Il ne faut pas tant regarder ce que l’on mange qu’avec qui l’on mange », relevait déjà Epicure, trois siècles avant Jésus-Christ [210] Une liste est tenue pour repérer absences trop fréquentes et présences régulières. Parce que notre refus de laisser les hommes manger seuls dans leurs chambres est aussi l’indice de notre volonté qu’ils aient accès à une nourriture saine et régulière, hors solitude autant que faire se peut. Ce qui n’est pas anodin pour des personnes qui n’en ont pas toujours eu l’opportunité. C’est aussi un des moments où peuvent se mesurer conflits et relations entre tous. Ajoutons que la cuisine, comme dans toute collectivité, est un des lieux stratégiques de la maison : où sont repérés ceux qui ne mangent pas comme tout le monde (malades, musulmans, etc.). Là se mesure un rapport parfois étonnant à la nourriture, souvent vécu sous la forme du manque, la peur que l’autre ait plus que moi. D’où ces récriminations infinies contre ces autres qui auront toujours plus, se gavent sur la part des autres. Jamais autant qu’à 147 ce moment se mesure la peur du manque. Ce qui n’empêche pas la reconnaissance chaque jour exprimée : c’était drôlement bon, cuistot(s) ! Là aussi se dessinent alliances et contre-pouvoirs, parfois aussi petits commerces et détournements épisodiques. Mais aussi souvent lieu de dialogue jusque dans la cuisine, malgré l’absence du vêtement spécifique qui en autorise l’entrée. Sans doute ce que recouvre l’expression « nourrir la parole » ! (Voir aussi « Invitation », « Jeûner », « Nourriture »)   Repères. Nous entrons dans un nouveau monde. Et personne ne sait réellement où l’on va. Cela est vrai du monde qui nous entoure, comme de nos repères associatifs et d’accompagnement. Les pauvres d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Ils sont les pauvres de l’actualité de nos renoncements et de nos peurs. De nos refus de partage. Ce que les « pauvres » de nos structures partagent le mieux avec nous pour la plupart. D’où une réelle difficulté à faire vivre une participation de tous à la vie commune… quand bien même cette vie commune est le plus souvent un lieu de « survie » pour beaucoup. Par ailleurs on voit bien que le travail auquel chacun est convié pour manifester son intégration citoyenne n’existe plus comme autrefois : il n’y a plus assez de travail pour que chacun y trouve sa part : et souvent, c’est à la personne de créer son emploi…quand cela lui est possible au regard de sa formation et de ses capacités réelles. L’absence de mobilité aggravant encore la situation. Parlons encore de la rupture du pacte républicain concernant la protection des plus pauvres et la lutte contre tout ce qui mène à la pauvreté. Depuis la guerre la pauvreté et l’exclusion étaient des questions partagées par toute la société. Ce qui était un passage est peu à peu devenu un « état » plus durable, trop onéreux à gérer.  Le refus de la pauvreté risque bien de se solder par le rejet du pauvre ! Le désengagement brutal de l’Etat (dans le cadre de la décentralisation) se confond avec une volonté d’économies qui réduit d’autant les marges de manœuvre des associations et aggrave le soupçon porté par le regard sur les démunis de nos modes économiques. (Voir aussi « Accompagner », « Association », « Avenir », « Solidarité(s) », « Transgression »)   Réseaux.  C’est l’ensemble des personnes et des services qui participent à la bonne gestion de la vie de la maison et à l’accompagnement des personnes. Il y a évidemment le réseau des partenaires en matière de soins [211], en matière d’accompagnement social [212]. Mais ce serait trop peu que de se contenter de cette énumération première. En première ligne, il y a celles et ceux, groupes ou individus, qui ont aidé et continuent à aider Carles à grandir : les donateurs réguliers ou non, celles et ceux qui 148 nous partagent un peu (ou beaucoup) de leur temps, de leurs savoir-faire, de leur argent, de leur présence, de leur pain…Elles et ils sont nombreux à le faire. Ils sont le signe que la solidarité n’est pas une affaire de spécialistes, mais la capacité à mettre en commun nos compétences. Carles vit de ces dons, de ces vies offertes, de ces gestes de partage qui ne calculent pas. Nommer plus avant serait s’exposer à oublier des personnes. Moins nommer serait réduire Carles à ce qu’il n’est pas : c’est ce mouvement autour de Carles qui fait Carles. (Voir aussi « Bénévoles », « Institutions »)   Résident. Avec un « e » ou avec un « a » (résidant) ? Pour nous c’est avec un « e », pour désigner celui qui a jeté l’ancre pour se sentir de quelque part, pour pouvoir se reconnaître, (re)trouver une identité à travers l’occupation d’un lieu, un espace où se poser « comme à la maison ».  Dans nos souvenirs anciens, le mot « résident » quand il était accolé à « général » désignait quelqu’un qui était en responsabilité sur là où on l’avait envoyé résider. Ce qui n’est pas étranger à la situation des hommes de Carles qui, là sur le lieu, sont invités à s’éveiller à une responsabilité dans la gestion partagée de la maison. Une manière d’accéder à plus, à dépasser l’urgence de leurs désirs immédiats, à entrer à nouveau dans la construction du monde qui les entoure. (Voir « Habiter »).   Résister. Pour les hommes de Carles, c’est résister à la tentation de partir ou de se laisser vivre sur le dos des autres, de se croire meilleur et de ne rien devoir aux autres ; résister à la pression quand vient le temps de prendre une responsabilité dans la maison (avec pour les animateurs, la capacité à résister, à accepter leurs hésitations). Pour chacun des résidents, accueillir sa vie dans une forme de vérité. Mettre fin à la fable qui se murmure souvent ici : je pourrais très bien être ailleurs, dans la vie ordinaire ; je ne suis pas comme les autres, etc. Toutes choses qui désignent une fuite plutôt que la volonté de résister à ses phantasmes, de se donner les moyens d’avancer, chacun à son pas.                                      149 Pour les autres, salariés et bénévoles, résister c’est accepter d’affronter le réel des hommes de Carles, avec sa part d’échecs, de rejets, de fuites, d’abandons… Nous souvenir que « dans notre société, il existe une exclusion qui est comme un dérivé de l’exploitation ; elle renvoie dans l’insignifiance, la vie vaine, ceux qui n’entrent plus dans le jeu économique. » [213] Cela appelle sans doute de notre part la recherche d’une manière de s’établir dans la durée, de ce qui reste accessible comme marge de manœuvre et déploiement d’espérance. Le cri de rage de Viviane Forrester est d’une actualité toujours plus brûlante : « Plutôt que de préparer les générations nouvelles à un mode de vie qui ne passerait plus par l’emploi (devenu pratiquement inaccessible), on s’efforce au contraire de les faire entrer dans ce lieu obturé qui les refuse, avec pour résultat de les convertir en exclus de ce qui n’existe même pas. En malheureux… Etrange manie (que) de vouloir caser la population dans des emplois inexistants et des emplois dans une société qui n’en a manifestement plus besoin (…) Non sans souligner, en passant, la culpabilité de victimes jamais assez assidues à mendier ce qu’on leur refuse et qui, d’ailleurs, n’existe plus [214]. » Tout cela est-il audible aujourd’hui ?   Comme le soulignait Maurice Bellet : « Le crime en régime nazi est de défendre le droit ; sous le règne de l’argent, de défendre les pauvres ; en tout régime totalitaire, de penser, simplement 271. »Pour l’association, résister ne relèverait-il pas de cette simple capacité à « exister autrement » face à un monde hostile ? Sortir de l’indifférencié en nous réclamant d’une histoire, d’une volonté formalisée dans un projet associatif toujours à adapter à la réalité. Nous manifester dans une identité qui ne saurait se confondre avec celle de nul autre… tout simplement « savoir résister aux mots des autres qui d’abord nous parlent », propose Jean Lavoué 272 (Voir « Habiter », « Projet », « Solitude »)   Respect. C’est le langage du lieu à vivre. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Souvent réclamé. Pas toujours rendu ni proposé. Dont beaucoup de ceux qui le réclament pour eux ne s’en sentent pas comptables pour les autres ; pour lui comme pour moi. Sévère apprentissage d’humanité. Nous savons déjà que le respect ne dépend pas de la capacité de violence (personnelle ou institutionnelle) que l’on représente… Nous souvenir que l’autre n’est jamais qu’un jardin fragile où respirer peut être parfois difficile. Entrer dans le respect de l’autre (quelle que soit sa position) c’est vouloir s’engager dans une relation humaine juste et discrète de fraternité, de partage (voir la « charte des bénévoles »). Dans le dur apprentissage de la vie commune et du partage des tâches dans la maison, respect 150renvoie aussi à la capacité de chacun de respecter, au mieux de ses possibilités, les diverses consignes proposées et les engagements que chacun peut prendre : traite, arrosage, fabrication et transformation des productions maison, vaisselle et hygiène du lieu… Bref à ne pas se laisser envahir par ses propres « démons » pour se souvenir que la vie ne pousse pas toute seule, qu’elle a besoin d’autres vivants pour lui offrir de quoi vivre : terre, chèvres, plantations ont besoin de ce respect fondamental pour donner du fruit et nous offrir notre vrai visage : celui d’un donneur de vie ! (Voir aussi « Chèvres », « Communauté », « Individualisme », « Terre », Vivre ensemble »)   Respiration. C’est censé être un acte naturel, une nécessité pour vivre. Quand l’air vient à manquer, rien ne va plus. Mais c’est parfois, à Carles, un réapprentissage à faire, tant beaucoup ne respirent qu’à petits coups, au fil de leurs angoisses, de leurs handicaps, de leurs humiliations passées, de séries d’échecs peu encourageants. Une bonne occasion de leur redire, de nous redire que, peut-être, « le mieux pour respirer un peu, c’est encore d’aimer les gens » 273, plutôt que de                                                          réflexions de politique économique en vue des grandes orientations de 1998” COM 98 103 du 25 février 1998, p. 7 – Cité par Yves Chassard et Alessandra Bosco : L’émergence du concept d’employabilité, Revue PARTAGE n° 129, Janv. 1999, p. 11).
  • Maurice Bellet, La seconde humanité, DDB, 1993, p. 69.
  • Roland Janvier, Jean Lavoué, Michel Jézéquel, Transformer l’action sociale avec les associations, DDB, 2013, p. 53. Pierre Charras, Dix-neuf secondes,
cultiver nos désastres. Mais c’est un très long apprentissage, pour tous. Trop de malheurs (supposés et réels) opposent leurs résistances à cette évolution. Sans parler de la cigarette qu’ils consomment en forte quantité et qui n’arrange rien du côté de leur respiration physique : apparition de cancers et difficultés respiratoires de toute sorte en témoignent abondamment. Comment s’en débarrasser (certains vont jusqu’à alterner, au cœur de leur maladie, tour à tour oxygène et cigarette). Comment apprendre à nouveau à vivre harmonieusement et en paix avec son corps, hors des pollutions tabagiques. En fond de tableau, chacun peut essayer de se souvenir de ce qu’écrivait Ralph Waldo Emerson, ce philosophe et poète américain du XIXème siècle : « savoir qu’un être a respiré plus aisémentparce que vous avez vécu. C’est cela réussir sa vie. »   (Voir aussi « Aimer », « Mourir » )   Responsable. « La responsabilité n’est pas liée à la situation dont nous héritons, mais à ce que nous allons en faire », écrit Bertrand Picard 274.Tel ou tel qui décide de vivre au Mas doit bien un jour se résoudre à affronter cette question de la responsabilité. Pour lui : que vais-je faire de ma vie, ici au mas ou ailleurs, dehors ? Pour les autres : quelle responsabilité assumer au sein de la maison qui me donnera et donnera aux autres de vivre mieux ? Pour tous, c’est la question de sa responsabilité « à l’égard de la vie » de notre capacité à reprendre son frère :                                                                                                                          151 question des salariés de l’équipe animatrice vis-à-vis de tel ou tel : comment l’inviter à devenir responsable au sein du mas pour lui permettre de franchir un « cap de maturité ». Sauf à transformer la maison en simple gardiennage ! question des bénévoles, sous leur forme propre, telle qu’ils l’expriment dans la charte réécrite en 2017 : « Les bénévoles sont partie prenante du projet du lieu à vivre. Ils sont des ouvertures diversifiées vers le monde extérieur et autant de miroirs réfléchissants. Leur parole devient le témoignage de la vie qui se déroule. Ils contribuent ainsi à mieux faire connaître les enjeux, les valeurs et le but de l’association. » Reste peut-être à chacun la tâche de réaliser que ceux qu’ils rencontrent sur le lieu (résidents, membres du chantier d’insertion ou tout autre visage), lui renvoient aussi un visage d’humanité capable de ré-enchanter sa vie et son regard sur le monde. (Voir aussi « Dignité », « Regard », « Vie »)   Réunions. Exercice incontournable pour toute structure. Qui tend à délier les rapports de proximité aux autres, tout en se voulant source d’enrichissement de nos pratiques. Mais parfois le sentiment qu’il s’y dit trop de choses (et pas toujours de manière positive) sans qu’il y ait efficacité pour la suite. Ces réunions sont une manière pour les résidents de s’approprier une façon d’être ordinaire de l’homme moderne. Avec la volonté de sortir du cadre de la maison pour proposer au plus                                                          Bertrand Picard, Changer d’altitude,  grand nombre des hommes de Carles de participer à des formations : pour accroître leurs connaissances ; se frotter au monde professionnel à partir de la responsabilité qu’ils exercent sur place. C’est aussi ces temps que nous nous donnons ensemble pour resserrer nos liens, partager l’exigence et les joies de nos tâches quotidiennes. Chaque semaine les salariés, les résidents ont leurs propres rencontres pour se redire ce qui fait l’essentiel de leur vie en commun, se répartir responsabilités et souci de l’autre, s’inviter à la vigilance réciproque. Chaque mois le Conseil d’Administration fait de même et tous les mois et demi les bénévoles également. Avec trois exigences : sortir de l’anecdotique ; privilégier l’empathie vis-à-vis des hommes et de leur accompagnement (ce qui n’est pas toujours le mouvement premier) ; prendre sur soi pour parer aux difficultés qui se présentent, hors de l’émotion première ! Bref, transformer cette obligation de réunions en relais de nos écoutes réciproques, de nos volontés positives sur l’autre… (Voir aussi « Accompagner », « Compagnonnage », « Ecouter », « Formation »)   Réussir. Ça veut dire quoi « réussir » quand on est au mas de Carles ? Joseph en résumait la moelle en disant : « il s’agit d’épouser Carles. » Mais aujourd’hui ? Pour certains c’est être là, tout simplement. Parce qu’alors on est assuré de ne plus avoir à courir après l’essentiel : manger équilibré, dormir en sécurité, pouvoir parler et entrer en 152 relations avec d’autres hors d’un rapport de violence. Pour d’autres, c’est s’intégrer à la vie de la maison : activités et partage des tâches, respect d’un règlement intérieur, acceptation d’entrer dans un soin quand cela est nécessaire, sortie du monde individualiste de l’exclusion… Cela pour le temps nécessaire que chacun détermine à sa volonté. Après une période plus ou moins longue d’errance et d’échecs, se poser dans nos lieux est, pour beaucoup, une réussite (car il fallait aussi vaincre des peurs et accepter d’abandonner certaines de ces choses, certains de ces trésors que l’on s’est donné à la rue). Pour d’autres, c’est partir un peu mieux armés pour replonger dans le monde ordinaire. Réussir devient alors l’autre nom d’un compte à rebours qui peut parfois « prendre la tête » des meilleurs et participer à la perte de quelques-uns des repères patiemment acquis, à force de précipitation ou d’inorganisation. Qu’est-ce que réussir ? « Le succès ? », se questionnait Denzel Washington, « je ne sais pas ce que ce mot veut dire. Je suis heureux. Or le succès n’est autre que ce qu’il représente à nos yeux. Pour moi, c’est la paix intérieure. C’est, par exemple, une journée réussie. » Dans tous les cas, éviter d’oublier que réussir ne s’écrit pas forcément avec les lettres « de tout de suite » ou « d’ici et maintenant ». En chaque occasion, il nous faudra (pur nous comme pour les autres, dénouer la mystérieuse et contradictoire connivence de la vie présente ici avec la vie qu’elle engendre ailleurs : « Vous tendez une allumette à votre lampe et ce qui s’allume n’éclaire pas. C’est loin très loin de vous que le cercle s’illumine » 275. Une vie de famille reprend, un travail prend le temps de s’inventer, une relation de confiance qui peut s’installer,                                                          René Char, Feuillets d’Hypnos, 120.   un étonnement devant une manière de vivre qui peut, plus loin, plus tard, redonner goût à la vie… (Voir aussi « Courage », « Entreprendre »)   Revenus. Ceux tirés de la participation des résidents, qui (avec les dons du réseau des donateurs) représentent autour de 25% du budget global de la maison. Et toutes ces discussions autour d’un « revenu universel » qui permettrait à chacun de participer à la richesse de la nation sans se trouver marginalisés par la course au travail qui ne cesse de rétrécir son emprise sur des sociétés qui ne cessent de développer machines et robots pour remplacer le geste de l’homme, son coût et le poids de ses exigences. Un rêve disent certains. Une justice affirment d’autres. En attendant, peut-être, une question de dignité à rendre à tous ? Et puis il y a les hommes : ceux qui sont partis et qui un jour sont revenus. Parce qu’ils n’en pouvaient plus dehors. Ou parce qu’ils sont morts et que cet événement se marque par un passage au Mas le temps d’une célébration d’au revoir, avant de rejoindre le cimetière des Perrières ou le colombarium du Mas, pour celles et ceux qui le souhaitent. (Voir aussi « Activités », « Errance »)   Plusieurs constats. Le premier par le regard des sociologues : « Les riches ne sont pas des boucs 153Riches. émissaires, ce sont des prédateurs qui accaparent de façon criminelle les richesses économiques, culturelles, naturelles… La violence exercée par cette oligarchie s’est aggravée avec le passage du capitalisme industriel et paternaliste au néolibéralisme financiarisé. Les inégalités avec le reste de la population se sont creusées jusqu’à devenir un gouffre infranchissable. » [215] Est-il possible de rappeler à ceux-là ce que disait Démophile VI siècle avant Jésus-Christ : « Les richesses qui ne sont pas dans l’âme ne nous appartiennent pas. » Un second constat est posé par des économistes. Les uns sous la forme de la parabole trompeuse, d’un accroissement des richesses des riches qui profiterait à tous : à marée basse tous les bateaux sont à sec ; mais, prétendent-ils, dès que le niveau de la mer remonte toute la flottille se retrouve à flot. Comme le signalait déjà Juvénal [216], doit-on ignorer que « chez les riches, le sens commun est rare. » ? Les autres, comme sous la plume de Francis Bacon (philosophe et scientifique, chancelier d’Angleterre 278) considèrent que « l’argent est pareil au fumier qui ne sert de rien s’il n’est pas épandu. » Le précurseur de l’empirisme savait de quoi il parlait ayant dû longtemps gérer sa propre fortune (avant de connaître l’infortune de la disgrâce) ! Un troisième constat est posé par notre regard sur chacun : tout être, toute personne est riche de ce qu’elle porte en elle et parvient à en faire vivre pour son propre compte et pour celui des autres : partage de qualités, de dons, de souci de l’autre. Sinon la richesse risque bien de n’être de l’accommodement de l’orgueil et du goût de toute-puissance de quelques-uns. Ce que rappelait à sa manière le livre trouvé en Egypte et traduit par Jésus le fils de Sira vers le IIème siècle avant Jésus-Christ, autrement appelé le Siracide : « Les ânes sauvages dans le désert sont le gibier des lions ; ainsi les pauvres sont la pâture des riches. » [217] « Last but not least » : il y a le regard des plus pauvres eux-mêmes. Pour certains d’entre eux, devenir riche est un phantasme récurrent face à la capacité de négation et de destruction des riches de leur place de pauvre : un désir d’exister, simplement… « jusqu’à ce que la convoitise leur tienne lieu de richesse, jusqu’à ce qu’ils appellent justice le goût du luxe et du confort », murmure à notre oreille Jean Sulivan [218].  Pour d’autres encore, la moquerie l’emporte. Dans le style : voilà ce que je fais avec ce que je gagne (entre RSA et allocation adulte handicapé) ; un milliardaire gagnant 20.000 fois plus (au minimum) que moi, devrait également consommer 20.000 fois plus pour soutenir l’économie. Ce qu’il ne fait pas. Un milliardaire ne sert donc à rien ! (Voir aussi « Argent », « Pauvres »)   Risques. Risques de ceux qui font le pas de venir au Mas. A qui on offre toit, couverts, accompagnement et activités. A quoi s’ajoute l’invitation silencieuse faite à celui qui vient s’établir au Mas d’avoir à quitter tout ce qui a fait sa vie d’avant : « J’ai perdu mes deux chiens et j’ai toujours ça dans la tête, j’ai toujours leur photo… Je suis venu tout en sachant que j’allais perdre tout ce que 154 j’avais », dit Jacques. Son témoignage peut nous renvoyer à ce qu’en disait Georges Bernanos en 1944 : « L’espérance est un risque à courir », disait-il lors d’une conférence donnée au Brésil. « C’est même le risque des risques. L’espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme. » [219] Risques des accueillants qui alimentent et nourrissent un projet qui n’est « pas de nature institutionnelle », mais relève « d’un contrat de solidarité fraternelle » dans la durée (selon les mots de la charte des lieux à vivre). Ce projet met en avant la qualité de la relation (on s’appelle par nos prénoms, on se tutoie) ; on offre de l’activité (avec les dangers encourus par toute activité hors assurances) ; on donne à cette activité la possibilité d’ouvrir à une formation qualifiante reconnue (VAE). « L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant », écrivait René Char. Voilà ce dont les plus démunis (et ceux qui les accompagnent) de nos sociétés veulent et peuvent souvent témoigner pour nous. (Voir aussi « Optimisme »)   Rose (1889-1984). Comme le prénom de cette vieille petite femme qui aura duré largement plus que la « rose » que dévoilait Malherbe : « Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, L’espace d’un matin. » 282 Cette Rose n’était pas non plus la rose maniérée du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, « à la vanité un peu ombrageuse. » Par contre, comme la rose du petit Prince, cette vieille fille a embaumé la vie de Carles de sa présence (au point de donner son nom au jardin qui l’a occupée), de sa fidélité à la personne de Joseph, de sa solidité capable de tenir tête à des hommes rugueux, de sa patience inusable, de sa force de paysanne aguerrie, de ses entêtements soudains et de ses essais culinaires souvent hasardeux. Mais nul comme elle ne savait réussir la confiture de citres, les yaourts et la tarte aux amandes. Personne mieux qu’elle ne savait faire découvrir aux visiteurs les beautés du Mas, les secrets cachés de la nature qui l’entourait, les senteurs de la garrigue : marcher lentement et laisser les yeux, le nez, le corps humer l’endroit, s’imprégner des couleurs. Ramener de ces promenades quelques herbes pour la soupe. Parce qu’elle avait été accueillie et respectée par Joseph, cette femme lui avait voué sa vie. Lui disait : « Mademoiselle ». Elle : « Monsieur l’Abbé. » Leur respect était mutuel. Et donnait à Rose de supporter tout ce qu’il était possible de supporter, hommes et courants d’air compris, dans une maison qui n’avait alors ni portes ni fenêtres. [220] Ce qui n’empêcha pas Joseph de s’inquiéter quand une bonne âme lui confia un fourneau à gaz pour faire la cuisine : « Vous voulez tous nous faire mourir ! » Les expériences culinaires de Camaret l’avaient guéri de trop de modernité pour sa « Mademoiselle »284 (Voir aussi « Commencements », « Persat Joseph », « Service »)   Ruches.                                                                                                                                                155 Modèle d’organisation de type collectiviste, pas forcément évolutive. La position des intéressées dans le fonctionnement de la ruche, n’est pas choisie. Seules les butineuses fatiguées se transforment en ouvrières. Mais elles ne font aucun profit pour elles-mêmes. La ruche est un lieu d’activité intense. Elle ne produit pas que du miel. Son essaim féconde la nature autour d’elle sans que l’abeille elle-même en ait forcément conscience. Bonne pioche pour Carles. Quand cela fonctionne, quand les essaims ne meurent pas de faim les uns après les autres, quand il y a assez de pluie pour permettre la récolte… elles sont d’un apport essentiel pour la fécondité de la nature autour de nous. Comme les habitants de la ruche de Carles ? L’abeille est antique (on a récemment découvert une abeille fossilisée dans lambre, datant de 100 millions d’années), comme est antique la pauvreté. On dit qu’elle apparaît en même temps que les fleurs… comme la pauvreté apparaît avec les échanges commerciaux et l’enrichissement. Elle est réputée pour l’intelligence collective de son organisation. Alors, il n’y a pas de raison que le rucher de Carles puisse devenir autre chose qu’un lieu de fragilité et de petit rapport comme c’est la cas aujourd’hui… ce qui n’est pas tout à fait le cas de notre maison. (Voir aussi « Créer », « Fragilité », « Récolte »,    Rue.   Mot fétiche de nos vies (et pas seulement de nos structures). La rue est ce qui permet la communication et la circulation dans un village ou une ville entre différents lieux ou quartiers. L’homme de la rue désigne une personne de profil moyen représentant la société dans laquelle elle vit. Il serait intéressant de se dire que « nos » hommes sont de ces profils moyens, plutôt que de vouloir à tout prix en faire des exceptions d’humanité. En même temps, dans les propos de Diogène, cela n’est pas forcément un compliment. Il enseignait dans la rue car, disait-il, c’est là qu’il trouvait le plus de crétins à convaincre ! Plus ordinairement, quand on dit de quelqu’un qu’il est à la rue, on veut signifier qu’il en bave, que les difficultés font que l’ensemble de ses relations qui font un « chez soi » fait défaut 285. Au Mas, la rue est, pour beaucoup, une origine. Et elle désigne un lieu d’exclusion, de rupture de communication, contrairement à la vocation d’une rue. Un lieu de violence et de manque absolu. Mais la « rue » est aussi le nom d’une plante vivace aux vertus astringentes, c’est-à-dire qui « resserre les tissus vivants » : là on n’est plus dans le constat plus ou moins sombre, mais dans une invitation : celle de resserrer les liens entre vivants. Quelque chose à voir avec une fécondité des relations. La rue comme proposition de restauration des liens Ambiguïté des mots qui invitent à la guérison en même temps qu’ils désignent la blessure. (Voir aussi « Audace », « Compagnonnage », « Entraide », « Résister ») 156                                                          Karine Boinot, psychologue S     Salarié. Un bénévole qui coûte cher ? Un homme contraint de gagner sa vie ? Heureux de pouvoir le faire dans ce lieu ? Questions auxquelles chacun est appelé à donner sa propre réponse. Au Mas, l’équipe des salariés a, entre autres missions, celle de garantir les lois de l’hospitalité pour tous et entre tous ceux qui viennent à Carles. Elle a donc un rapport au lien. Le salaire est investi pour réparer le compagnonnage quand il se défait ou est menacé. La mission du salarié est une mission de « réparation », pour que la vie commune (re)devienne apaisée (sinon tranquille), possible entre tous bénévoles, résidents, salariés. Le rôle des salariés est de toujours chercher à ce que l’ensemble des personnes accueillies au Mas (résidents, bénévoles, passants) soit dans le bon rythme. De rester vigilants sur la capacité de chacun à faire groupe et maintenir le lien. Est-il utile de se redire que, pour cela, les salariés ne peuvent pas se contenter d’être « les petits moyens d’un système où les métiers se sont perdus au point de n’être plus que des emplois » ? Par le projet associatif, l’équipe des salariés est invitée à entrer et à mettre en œuvre une vision politique de la vie commune, du sens de l’accueil entre nous et vis-à-vis des plus exclus ; 157 du lien à faire vivre entre des mondes différents (celui de l’inclusion et celui de l’exclusion) avec un regard qui privilégie les plus pauvres de notre société. (Voir aussi « Bénévoles », « Lien », « Militance », « Sens »)   Sanctions.  « Vous n’êtes pas assez sévères », entend-on dire. « Ils font ce qu’ils veulent et vous ne dites rien. » Question : à quelles conditions peut-on s’impliquer dans une démarche de sanction, punitive ? Souvenir de celui-là qui se rappelle : « Un jour j’ai crevé les pneus du camion de Joseph. Mais il m’a pardonné. C’est pour cela que je suis encore à Carles. » Retour au grand Grégoire (évêque de Rome entre 590 et 604) qui disait : « Ils montrent par leurs paroles, lorsqu’ils enseignent, qu’ils se considèrent comme installés sur un sommet, qu’ils regardent leurs auditeurs comme situés très en dessous d’eux. S’ils daignent leur adresser la parole, ce n’est pas pour les aider mais seulement pour les dominer… Ils gouvernent avec violence et dureté, ceux qui s’empressent, non pas de redresser leurs inférieurs par de paisibles raisonnements, mais de les courber en les dominant avec âpreté. » 286 Bien sûr, il parlait de certains évêques. Mais nous savons que « jeter un homme à la rue est l’assassiner un petit peu », comme le disait Lao Tseu et qu’on ne connaît pas par avance la « vertu » de la sanction.  Pourtant, parfois, en cas d’importation, de commerce sur place, d’absorption régulière sur place de produits illicites… il faudra bien manifester la limite : carton jaune, carton rouge, exclusion…                                                          Grégoire le Grand, Commentaire sur le livre de Job 23,23-24. Toujours se redire que sanction n’est pas punition : pédagogie s’écrit avec les mots de nos patiences et de leur chemin à parcourir ! (Voir aussi « Combat », « Courage », « Légal », « Produire »)   Sécurité. Il y a celle du lieu dont il faut assurer la continuité. Il y a celle des hommes qui participent aux activités mais pour lesquels la question reste étrange. Il y a celle des hommes, encore, et de notre capacité à leur assurer, au Mas, un lieu protecteur où l’on peut dormir, manger, vivre en sécurité. Il y a celle du but poursuivi dans la marche de la maison. Comme le disait Jean de la Croix : « Nous irons pour trouver la source : seule nous éclaire la soif ! » C’est quoi la source, pour nous, au mas de Carles ? Et puis, il y a ce contrepoint proposé par Camus, dans Caligula : « L’insécurité, voilà ce qui fait penser. » Mais sans doute s’agit-il davantage de l’insécurité autour de nos organisations que de celle à laquelle les personnes se trouvent confrontées ? (Voir aussi « Protection », « Spiritualité »)   Sédentaire. Un mot dont le sens premier signifie « être assis », avant de désigner celui dont l’habitat est institutions. C’est ainsi que la mise en œuvre des politiques sociales passe le plus souvent par 158 fixe. En fait, le contraire de mobile, ce qui veut dire, pour une part, insaisissable aux yeux des l’exigence d’une adresse, gage d’un minimum de repérage et d’intrusion possible dans les parcours des hommes. D’une certaine façon se sédentariser c’est se voir proposer de sortir de l’errance. Une manière de se rendre moins visible, de s’abriter des regards du passant qui déshumanise pour ne pas s’encombrer d’une présence dont il ne sait quoi faire. (Voir aussi « Errance », « Fuite »)   Sémantique. Importance de la sémantique pour dire ce qui ne se dit guère ailleurs : résidents et pas hébergés, maison et pas institution, salle à manger et pas réfectoire, lieu à vivre et pas CHRS, service et pas corvée, etc. Une liste jamais close. Invitation à renommer sans cesse dans le sens d’une plus grande humanisation, rappel incessant de la chair qui fait vivre et parfois souffrir les hommes et la maison. (Voir aussi « Homme », « Maison »)   Sénevé. Cet arbre est selon l’Evangile réputé être le plus grand des arbres du potager. C’est une plante que l’on retrouve au Mas sous la forme du faux sénevé. Sa semence reste la plus petite graine connue : pour nous rappeler que nous avons à faire place, ici, au plus petit, parce que nous savons par avance que là se joue une part du destin de tous les oiseaux.   Qui par sa taille ressemble à la semence du bois d’ébène : petite, donc, mais si précieux !  Qui ne pousse que là où on ne la plante pas et vient démonter les murs et les constructions les plus solides : pour nous rappeler que nous ne sommes pas Dieu, que nos vouloirs (et leurs constructions) ne suffisent pas à tout régler pour les autres. Dommage de passer à côté de cette graine, non ? (Voir aussi : « Maison » )   Sens. Certains disent que c’est la question qui se pose lorsque les besoins primaires sont satisfaits : l’homme, alors, aurait besoin de sens pour vivre. Peut-être ! Mais peut-être aussi avant… Pourrions-nous dire de Carles ce que l’abbé Pierre disait des communautés d’Emmaüs dans une causerie à Genève, en 1960 : « C’est une fabrique d’explosifs pour la conscience civique et la conscience sociale. Fabrique d’explosifs à base de récupération d’hommes broyés. Des hommes qui avaient été cassés, écrasés, par leur faute ou par des malheurs… Des hommes brisés, broyés et récupérés par le fait simplement que quelqu’un ose venir vivre avec eux et, avec eux, travailler… pour avoir des bénéfices à donner, eux les pauvres. » ? Quelque part ailleurs, Régis Debray soulignait que « le désert des valeurs fait sortir les couteaux. »  Comme une reprise de René Char : « La parole dépourvue de sens annonce toujours un bouleversement prochain … » Nous aurons sans doute toujours à nous recentrer sur quelques-uns des présupposés de notre 159présence aux plus pauvres. Entre autres, le souci d’offrir aux hommes ce qui manque d’humanité et de reconnaissance sociale au fonctionnement de nos réglementations ; du coup le combat associatif ne se confond pas forcément avec le simple respect des normes administratives et sociales en vigueur mais devient, pour la part qu’il peut, contestation d’une pensée unique (managériale, financière et administrative) [221];   (Voir aussi « Normes »)   Service. Qui est de service aujourd’hui ? Petites querelles quotidiennes (ou pas) pour désigner celui qui accomplira telle ou telle tâche précise, quotidiennement ou à tour de rôle. Avec parfois la tentation de parler de « corvée » au lieu de s’accepter dans le service. C’est que « service » est un mot « redoutable » pour dire ce que chacun veut être, cherche à être pour les autres. Un grand spirituel du XIIème siècle pouvait écrire, parlant de sa relation à Dieu : « Pour nous te servir ce n’est pas autre chose que d’être sauvé par toi… » [222] Serionsnous capables d’en dire autant de celles et de ceux au service de qui nous voulons nous mettre ? Trop haut ? Possible. Mais appelant, dans notre manière de nous inscrire dans le service des plus démunis et des plus pauvres de nos sociétés. Pour que le service des uns ne devienne pas la source d’un esclavage pour les autres. « Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rébellion, de bienfaisance. Effectivement tu es en retard sur la vie, la vie inexprimable. » (René Char [223])  Service compris ou comprendre le service ? (Voir aussi « Compagnonnage », « Personnes ressources », « Sens »)   Silence. Celui de Carles, au milieu de la nuit, support des mille et un bruissements de ses habitants, hommes, animaux et vents dans les arbres. Celui de la journée où se détache le chant des oiseaux, auprès de quoi vient s’enrichir le vacarme de l’activité des hommes : « J’ai appris le silence au contact du chemin, Pour mieux entendre le bruit de mes pas. Sinon ma route comment la trouverai-je ? » [224] Silence qui terrifie, parfois, quand il fait suite à l’accoutumance aux bruits de la ville qui, souvent, berce l’errance. Peur de ce silence qui peut renvoyer à la petite parole inattendue : « Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? » [225] Quand bien même chacun s’acharnerait à ne vouloir exposer (d’abord) que son envers, l’enfer dont chaque vie peut être porteuse, d’où parfois elle s surgit pour s’échouer sur les rives de notre maison. Silence qui inquiète tous ceux qui cherchent à abriter leur peur derrière le bruit et le mouvement. Résidents, salariés, bénévoles : « Et pourquoi le silence règne-t-il malgré le vacarme ? », se demande, angoissé, un des personnages de Naguib Mahfouz [226] « Quand l’autre souffre à côté, on a tendance à meubler sa détresse par des discours, en jouant 160 un rôle social au lieu de faire silence quand il y a en nous des blessures qui ressurgissent comme des vagues. » [227] Faire du silence notre hôte, l’accueillir : cela Joseph savait le faire : « Le silence accompagnait Joseph comme un compagnon de route : ni vide, ni néant, mais celui qui écoute, qui accueille, qui se laisse annuler… Une écoute du cœur. » [228] Silence fécond, aux dires du poète, car manifestation de « l’inachevé, non comme blessure, mais comme premier pas vers (soi)-même… Longtemps se taisent ceux qui ne connaissent pas les contours de leur savoir… Leur regard préfère s’inonder de présence… Celui qui se tait accueille et ouvre toutes les fenêtres de sa présence. » [229] Silence pour respecter et ouvrir, dans le même mouvement : « silence activé » signalent les téléphones modernes. Par-delà le chant assourdissant du ventre creux de la cigale mâle, à chacun d’écouter le concert intérieur dont ce ventre est le rempart et la caisse de résonnance. Et bien au-delà, encore : « Si l’on chante un dieu, / Ce dieu vous rend son silence. / Nul de nous ne s’avance / Que vers un dieu silencieux », vient susurrer Rainer Maria Rilke. 296 Pour nous permettre de découvrir « ce qu’on entend lorsque rien ne se fait entendre » (Paul Valéry). Dans le fracas des mépris à nous d’entendre que c’est le silence des pauvres qui accuse les violents. Seule notre écoute de ce silence peut faire avancer cette prise de conscience. (Voir aussi « Dialogue », « Ecouter », « Garrigue »,    Site internet. C’est sur www.masdecarles.org, tout simplement. Et tout est dit. (Voir aussi « Rencontres Joseph Persat », « Portes ouvertes »)   Sobriété. Au mas, pour l’heure, pas de dogmatisme sur l’abstinence. Du coup, beaucoup de questions sur les conduites à tenir face aux pratiques addictives de certains résidents. Comment aider les hommes à gérer leurs addictions : accompagner et/ou nous rendre complices ? Certains pensent que c’est la même chose. Peut-on accompagner une alcoolisation régulière au prétexte de postures ou de refus, voire d’impossibilité de faire des choix ? Au risque de déclencher une crise que nous ne saurions pas maîtriser ? Que signifie aller vers la sobriété ? Quand il ne s’agit que d’alcoolisation on croit voir. Encore que cela entraine de grandes discussions au sein de l’équipe accompagnatrice : discussions et hésitations. Mais ne s’agit-il que de cela ? Face aux dommages créés à la dignité humaine par des conditions de vie dans le mépris et la marginalité, la réaction est souvent : moi d’abord et tout (le meilleur) pour moi un Pierre Rabbhi ? Bâtir un autre monde ne passe-t-il pas d’abord par la reconstruction de soi, 161 fut-ce contre les autres. Que signifie alors vivre une sobriété heureuse, comme peut la vouloir l’apprentissage d’un refus de « récupération » de tout ce dont j’ai pu manquer ? Ne serait-ce que par donne sa place à l’autre : souvent dans les conversations, l’autre passe au second plan et l’on entend sans cesse « moi et X », plutôt que l’inverse ?   Société. Il y a l’invitation à faire société ensemble. Bien entendu. Malgré les différences affichées et les replis de chacun(e). Il y a l’autre face du mot qui fait surgir bien des questions et met face à des choix pas toujours faciles à dire ni à tenir. Témoins les mots de cet article de journal [230], qui divise les résidents mais permet d’affirmer une dimension importante de la maison : « Il n’arrête pas de le répéter. Il a de la chance. De la chance d’être en vie. De la chance d’avoir trouvé le mas de Carles, aussi… qui accueille pour une durée indéterminée, loge, aide, dans une ambiance de partage… » Il dit : « Les chèvres m’ont sauvé la vie… Ce qui l’a sauvé aussi, c’est ce nouveau modèle proposé par le Mas… Certains finissent par reprendre le chemin de la vie en société. Mais ils sont rares. Seulement deux sorties positives en quinze ans. Pour la plupart, le mas de Carles est un refuge définitif, un endroit de « désinsertion » en quelque sorte, où l’on choisit de vivre, plutôt que de survivre » ailleurs.  Ce qui n’empêche pas d’accompagner ceux qui le désirent de réintégrer (d’une manière ou d’une autre) la « société »… sans pour autant, la plupart du temps, vouloir (ni peut-être pouvoir) rompre le lien à la « maison ». (Voir « Accompagner »)   Soif. Bien sûr, toutes ces histoires d’alcool et de cachettes et d’esquives. Toutes ces maladies et ces errances parce qu’une soif destructrice a brutalement interrompu le cours des choses de la vie, empêché l’épanouissement d’une relation harmonieuse, désorganisé l’ordre de son monde. Mais plus loin, beaucoup plus loin, cette soif comme le rappel d’une autre : la soif d’être aimé, reconnu, soutenu, accompagné. La soif de rencontrer un regard qui accueille sans juger sur l’apparence, seulement. Et encore : face à un monde en perpétuelle soif de progrès, de vitesse, de profit, de croissance, comment accepter et faire accepter une vie plus apaisée, au rythme plus lent, capable d’apaiser la colère qui imbibe et pervertit nos relations ? Et pour tous, cette soif, toujours, de se garder différent, cette volonté de dominer encore, dont Machiavel disait qu’elle « est celle qui s’éteint la dernière dans le cœur de l’homme. » Entendre cette évidence de Freud, si difficile à réaliser : « On a beau rêver de boisson, quand on a réellement soif, il faut se réveiller pour boire. » Boire et accompagner la consommation comme une invitation à se réveiller… C’est aussi ce que nous essayons de faire ici avec certains. (Voir aussi « Addictions »)   Soins.                                                                                                                                                   162 Carles est-elle une maison de soins ? Sans doute pas absolument au sens médical du terme. Nous ne souhaitons pas être une annexe d’hôpital (général ou spécialisé). Il advient pourtant que l’on tombe malade au Mas (ou qu’on puisse y arriver malade). Alors tout se passe « comme à la maison », avec appel aux médecins, etc. Refuser un soin médical ordonné par un médecin peut-il être une source d’exclusion ? Que disons-nous de la capacité du lieu à être « soignant » pour ceux qui y sont accueillis ? Jusqu’à quel niveau de traitement peut-on accepter l’accueil et la présence d’un homme au Mas ? Et pouvoir tenir notre discours habituel : tout se passe comme à la maison (qu’il s’agisse de soins ou de relation d’aide) ? Malgré toutes nos réserves, force est pourtant de constater que cette maison est « soignante » dans sa manière d’accueillir et d’accompagner… au moins pour certains, celles et ceux chez qui, la route, l’errance et les mépris (petits et grands) n’ont pas totalement désactivé le désir d’un soin, d’une guérison. Du coup, on peut commencer à arrêter alcool et shit, même si d’autres, autour, ne veulent pas renoncer à leurs pratiques addictives, voire s’organisent encore pour les faire vivre sous le manteau. (Voir aussi « Accueillir », « Addictions », « Bien-traitance », « Médicaments »)   Solidarité(s). « Le mot émerge dans le vocabulaire juridique au XVIIIème siècle, comme synonyme de « solidité ». C’est sous ce sens qu’il figure encore dans le code civil. Alors que le droit civil ne reconnaît en principe d’obligations qu’entre individus, la solidarité permettait de les penser sur un plan collectif, en l’absence de tout lien communautaire et de tout consentement individuel, ce qui a permis à la sécurité sociale de s’émanciper du contrat d’assurance. » (Alain Supiot).  Frein à l’extension de la logique marchande à toutes les activités humaines, elle est la cible privilégiée de l’ultralibéralisme [231], parce qu’elle est le refus de voir les plus pauvres payer leur injuste contribution au bonheur des plus riches. « Faudra-t-il encore longtemps laisser retentir les bruits de bottes et des chenillettes des chars qui trouvent, eux, à être financés, alors que nos gouvernants semblent de moins en moins capables de proposer un travail pour tous ? » (AG 6 mars 2003). En écho, les propos de Jean Lavoué : « C’est le régime… qui a mobilisé les fondateurs, les bénévoles, les premiers professionnels à inventer dans la reconstruction d’après-guerre des formes d’intervention éducative et sociale qui devaient limiter les logiques d’exclusion de la communauté humaine de quelque membre que ce soit, fut-il le plus vulnérable et le plus démuni et justement parce que plus démuni et plus vulnérable. » [232] « Darwin a conféré à l’agressivité ses lettres de noblesse. Il en a fait le moteur premier de la vie dans la nature comme dans la société. Or ce moteur a été singulièrement freiné par la mise en place, au cours de l’évolution, des mécanismes qui atténuent et même inhibent, chez de nombreuses espèces, les comportements agressifs. De son côté, par ses cultures, ses philosophies, ses religions, l’humanité a tenté de même, quoiqu’avec un succès mitigé, de réduire les comportements belliqueux si puissants au sein de notre espèce. Partout l’agressivité demeure, mais bridée et contenue de manière à éviter l’autodestruction des espèces vivantes, y compris la nôtre – du moins l’espérons-nous ! Par ailleurs, au-delà de la loi de la jungle, face 163 aux comportements agressifs et compétitifs, l’évolution n’a cessé de mettre en œuvre, les équilibrant du même coup, des mécanismes et des comportements coopératifs, créant des symbioses élaborées et d’étroites solidarités entre individus et espèces. A chaque étape de l’évolution des êtres vivants, dans tous les écosystèmes – la société humaine y compris -, ces solidarités apparaissent comme le vrai moteur de la vie. » [233] A nous, après nous en être laissé persuader, de les faire fonctionner comme une offre réelle de vie commune. (Voir « Partage », « Soutenir »)   Solitude. Humour des « abécédaires » qui font se succéder une chose et son contraire. Il s’agit ici, d’une certaine manière, de la solitude même du Mas : un lieu écarté (si peu que ce soit) de la ville et des repères habituels de beaucoup (la ville nourrit souvent l’errance), au point que certains ne peuvent y rester longtemps. Solitude aussi, celle qui occupe l’espace de soi-même pour envisager son avenir : nécessité et expérience d’une forme de désert intérieur. Pas pour y mourir de sécheresse, mais pour s’y laisser accompagner par le désir de se construire un avenir. C’est ce désir qui fait de chacun un « être de percée » : « Ne fuis pas, rentre en toi-même ; c’est dans le cœur de l’homme qu’habite la vérité. »[234] Solitude moins riche : celle qui me retranche, m’empêche de pousser la porte vers l’extérieur et la présence des autres ; celle qui va de pair avec le refus (ou la grande difficulté) de me projeter. Celle qui enferme dans la certitude de soi-même au prix de l’autre asservi à la seule vérité de ce que je suis capable d’en comprendre. Solitude de nos peurs et de nos a priori, mais parfois offerts à la lente maturation de nos désirs de construire avec les autres : pour tenter de ne pas laisser après nous les choses comme elles sont ; pour construire avec eux un monde où l’homme enfin se dresse de toute la hauteur qui lui vient de plus haut que luimême. (Voir aussi « Projet », « Résister », « Vivre ensemble »)   Soutenir. Donner sens à une existence. Rendre la personne plus forte. Et pour cela tenir aussi, réaffirmer que structures et associations empêchent l’application de la loi du plus fort (la loi de la jungle) ; refuser que les « inutiles » (ceux que l’on considère momentanément comme tels) doivent disparaître ou se suffire à eux-mêmes ; empêcher le retour à la tyrannie de ces vieux démons, pas si démodés qu’on veut bien le croire, qui prennent facilement la forme d’un eugénisme socio-économique ! Nous détourner (en paroles et en actes) de ce « sentiment de retrouver les discours tenus au XIX° siècle sur les classes dangereuses, la paresse et l’oisiveté 164 des pauvres. Comment interpréter ce rejet ? (…) C’est lui le coupable… Il doit donc faire en permanence la preuve qu’il est prêt à s’amender, à se réinsérer … Il est naturel de ne pas le considérer comme un citoyen à part entière puisque c’est lui qui risque en permanence de remettre en cause l’ordre social, la normalité, les bonnes relations entre les « bons » citoyens … La misère est un mal et le porteur du mal est assimilé au mal lui-même. » (Vincent de Gaulejac, 1999) [235] Ne jamais oublier que cette forme de pensée n’est le plus souvent que la marque de notre égoïsme sociétal et individuel, la croyance que dénoncer et enfermer met le reste de la vie à l’abri de toute atteinte. Rien n’est moins vrai. (Voir aussi « Accompagner »)   Spiritualité.  « Nul n’est plus validé par une transcendance religieuse ou laïque pour se poser en garant de la place de tous les autres et des liens qui s’établissent entre eux. » [236] Ce que disait à sa manière toute républicaine, Edgar Morin : « Le désarroi de l’homme contemporain est l’errance d’un individu qui n’a plus de grand discours pour éclairer son chemin… A partir du moment où il n’y a plus de grand discours, à quoi se raccrocher ? » [237] Alors c’est quoi la spiritualité ? Michel Foucault disait : « la volonté d’être autre que ce qu’on est. » Pour nous, cela pourrait se traduire par le refus de réduire mes « rapports à l’autre à des rapports de service » et l’autre comme un objet de ce rapport plus ou moins marchand. Donner, rendre à l’autre sa qualité de sujet ! En ce premier sens, ici, nul ne peut échapper à cette dimension spirituelle. Il s’agit de mettre de l’esprit au cœur d’une matière, d’une relation, d’une action :  percer l’opacité et le mystère de la vie, s’interroger sur son origine. Imprimer dans le collectif une manière de voir et d’envisager l’invisible, l’inouï : dire l’ineffable, susciter une autre manière de percevoir ce qui peut advenir dans la danse mouvementée et évolutive de la terre avec les hommes et des hommes avec elle. Insuffler à l’être humain l’énergie créative d’une échelle de valeurs qui fait humanité. Spiritualité ! C’est encore le rappel de ce que disait Saint-Exupéry : « Tout acte élève s’il est don de soi. ». Sans doute s’était-il inspiré d’Ignace de Loyola : « Tout ce que je suis, tout ce que je possède, c’est Toi qui me l’as donné. Je Te le rends, sans rien me réserver. » Pour Joseph Persat (le fondateur du Mas de Carles) et pour les adeptes de l’Evangile, spiritualité renvoie à la volonté d’associer la recherche d’une référence à la Parole de Dieu au souci de l’homme : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas », écrit saint Jean dans la première de ses lettres (1 Jn 4,20). Rappel qu’accueillir n’est pas d’abord une technique, mais une spiritualité : « Pas d’erreur substantielle à craindre si mon attitude intérieure a pour résultat de me rendre plus fidèle, plus 165 attentif, plus passionnément intéressé aux hommes et à la tâche humaine, moins préoccupé, en même temps de moi-même, égoïstement » [238], écrivait Teilhard de Chardin. Et l’on peut entendre à nouveau Charles Péguy, en 1910 : « C’est vraiment un grand mystère que cette sorte de ligature du spirituel au temporel. » Spiritualité des mains, comme ce temps donné à la terre de Carles pour qu’elle reste vivante et féconde (renvoyant à notre propre fécondité). Spiritualité silencieuse, comme ces pierres des carrières de la maison qui parlent cette parole muette que le beau suscite en nous. Spiritualité enclose dans ces lieux minuscules des gestes d’accueil (des hommes et de la terre), d’entraide et de nourrissement réciproque, de la constitution œcuménique du conseil d’administration : la spiritualité, comme cette poussière d’un trésor à redécouvrir sans cesse au quotidien pour exister mieux, « offrir un horizon plus vaste que l’âpreté du quotidien » (L. Bruni). Une question de survie en quelque sorte [239]. Est-ce pour cela que cette dimension s’affiche dès l’origine dans le creux des statuts de l’association, au 3ème § de l’article 2 : « Favoriser des rencontres pouvant procurer l’épanouissement moral, spirituel de ceux qui le désirent » ? (Voir « Croyant », « Evangile », « Faire », « Origine », « Persat », « Prière », « Statuts »)       Spleen. Ce qui ne manque pas d’arriver quand la réalité de l’accueil ne colle plus avec ce qui nous avait conduit à y participer. Ce fut le cas lors d’une rencontre des lieux à vivre. Résumé : Philippe constate que les choses deviennent de plus en plus dures, face à des gens de plus en plus individualistes, de plus en plus exigeants, de plus en plus « rétrécis » à des projets individuels (voir les exigences des migrants, par exemple) : et nous, qu’est-ce qu’on devient avec notre petite solidarité, demande Isabelle ? Nous nous redisons que : la capacité de chacun d’opérer un choix libre (que nous partageons tous comme un avantage par rapport aux temps passés) doit se décliner au cœur d’un projet commun (société des individus). Beaucoup d’apprentissage et de pédagogie à faire autour de tout ça : c’est une de nos missions ; nous sommes en décalage peut-être parce que beaucoup d’entre nous sont sortis ( !?) de la société de consommation… alors que la plupart de nos ressortissants demandent au contraire à y accéder (ou à y retourner). Ils vivent leur situation comme un abandon et, du coup, ils sont dans la demande, la revendication de tout… en faisant l’économie du fait que 166 l’on ne peut vivre qu’en interdépendance. Ce qui est le contraire du projet du lieu à vivre.  Suffisant pour ré-enchanter nos vies et nos pratiques ? (Voir aussi « Projet », « Statut »)   Statuts (de l’association). L’article 2 des statuts de l’association dit le contenu de la vocation du lieu : L’association MAS DE CARLES est un organisme d’accueil. Elle a pour buts :
  1. d’organiser l’accueil des personnes de milieux sociaux, culturels, idéologiques différents, ainsi que les personnes en difficultés matérielle et morale ;
  2. de créer et de soutenir toute œuvre d’éducation populaire au plan physique, moral et culturel, d’assistance ou de prévoyance de toute forme et de toute nature ;
  3. de favoriser des rencontres pouvant procurer l’épanouissement moral et spirituel de ceux qui le désirent ;
  4. et être le gestionnaire unique du foyer d’accueil “Mas de Carles”, situé au lieu-dit “Mas de Carles”, route de Pujaut – 30400 VILLENEUVE LES AVIGNON et de toute activité que le conseil déciderait d’entreprendre ;
  5. de respecter le testament spirituel du père Joseph PERSAT, fondateur de l’association…
(Voir aussi « Association », « Administrateur »)   Statut (des personnes). Nous voulons nous situer du côté d’un élargissement du droit commun, plutôt que de chercher à intégrer des personnes au forceps dans un « droit commun » absolutisé. Tenter de sortir d’une démocratie de consommation de parcours sociaux, pour entrer dans le temps d’une logique de développement de la personne. Cette approche renouvelée de l’accueil et de l’accompagnement social vise à faire prendre en charge les initiatives locales comme lieu de production d’un authentique statut pour les personnes qui y trouvent refuge. Le moment paraît venu de sortir des fonctionnements archaïques (financements instables des associations, absence de statut réel des personnes accueillies) envers une population dont on exige beaucoup en termes de démarches d’insertion, sans que ls personnes qui s’y engagent en retirent toujours un retour de droits associés à la hauteur des démarches exigées… surtout quand ces démarches ne « réussissent » pas en termes d’emploi [240], le « graal » inatteignable pour la majorité des résidents (soit par manque de formation, soit par limite de santé, soit par difficulté à assumer un quotidien inassimilable pour qui vient de l’errance et du rejet). (Voir aussi « Dignité », « OACAS », « Regard », « Respect »)   167 T     Temporiser. Prendre le temps : « Trainquille », comme on dit à Marseille. Prendre le temps et bien plus : temporiser entre la responsabilisation de chacun et l’apprentissage pédagogique… Toujours laisser au temps le temps de faire son travail en chacun. Epreuve pour tous : salariés (tous souhaiteraient une conclusion la plus rapide possible) ; résidents (aller vite pour sortir de l’affolement premier de se retrouver « enfermé » au Mas) ; bénévoles (quelques fois impatients). Temporiser, donc : pour entrer dans l’activité ; pour donner une nouvelle orientation à sa vie ; pour quitter l’alcool ; pour reconnaître sa maladie et entrer dans un soin ; pour partir ou pour rester… L’histoire d’un des figuiers de l’Evangile (Lc 13,6-9) : Jésus passe, cherche un fruit à manger, n’en trouve pas et demande qu’on coupe cet arbre qui ne donne pas de fruits, qui se contente d’épuiser la terre. Et le jardinier de répondre : « Laisse encore cette année ! Peut-être donnerat-il du fruit l’an prochain. »  Temporiser est une vertu évangélique première (la figure du jardinier rappelant celle qu’entrevoit Marie-Madeleine au matin de la résurrection). (Voir « Dialogue ») 168   Temps. Les temps ont changé. Ce qui a été fondé par le fondateur doit être réinventé pour aujourd’hui, dans la fidélité aux intuitions de départ. Et dans le même temps, nous savons bien que la légitimité de l’association ne repose pas « d’abord sur sa capacité à mettre en œuvre des interventions décidées par d’autres », mais sur son « aptitude à se placer aux côtés des habitants, là où ils vivent. » Et cette logique de construction de projets en commun avec les résidents peut déstabiliser les plus anciens d’entre nous plus ancrés dans une logique d’accompagnement vers un extérieur (mais marqué d’échecs pour beaucoup). Le côté subversif du projet ne peut pas échapper longtemps au regard. Cette logique de projets est l’indicateur d’une rupture : passage d’une logique de « notable » à une dynamique de « militance » ; c’est un appel à « transformer une logique d’acteurs par des dynamiques de projets capables de donner corps aux principes de solidarité et de participation ». Bouleversement. « Entrer dans Carles », trouver sa place, demande du temps. Ce temps est vécu comme une lenteur critiquée par ceux qui ne résident pas au Mas. C’est pourtant cette lenteur qui permet d’assumer des changements individuels (finalement rapides) pour celles et ceux qui le désirent ; et de trouver une vraie place dans la maison. Prendre le temps est notre marque. On peut répéter l’anecdote de Joseph Persat, déclarant à un nouvel arrivant dans la maison : « Tu vois ce cèdre : pendant trois ans il n’a pas bougé d’un centimètre. Tu tiens trois ans… et puis on verra après ! » Donner du temps et tout le temps nécessaire est un de nos choix fondamentaux. Ce doit être l’unique réalité pour tous : « Lorsque Joseph découvrit Carles et ses carrières, il avait pressenti l’accueil, les rencontres, les amitiés, la tendresse. Il ne se doutait pas que le temps amènerait la construction d’un élevage de poulets, des jardins, une oliveraie… » [241]  « La maman du temps n’est pas morte », disent les africains ! C’est le temps qui établit la réalité et les conditions de possibilité de l’accueil. C’est lui qui nous donne notre place et situe les vraies questions : « Nous passons dans le temps, ce n’est pas le temps qui passe », selon le mot de Jean Viard. « Comment préparer les défaites successives et nécessaires qui vont nous permettre de quitter ce temps par où nous passons si nous n’en marquons pas le déroulement… ? » [242]Décidemment, « le temps n’est qu’un prêt », comme l’affirmait Abd El Malik 310, dans les pages finales de son Camus, l’art de la révolte. (Voir aussi « Lenteur »)   Temps morts. Ces temps où rien ne semble se passer : soirées, week-end. Mais ces temps pendant lesquels les chèvres doivent être traites, les légumes arrosés et ramassés. Mais ces temps dont nous sommes certains qu’ils ne sont pas un temps passif : temps des projets personnels, temps des réalisations communes de gestes solidarité, de présence fraternelle. Finalement, des temps qui comptent au point que trois auxiliaires socio-éducatifs accompagnent ces temps-là tout au long de l’année, offrant un regard croisé à toute l’équipe animatrice sur la réalité des 169 hommes et de la maison. (Voir aussi « Echanges de service », « Lumière », « Réciprocité », « Regard »)   Terre. Carles est, avant tout, une plage de nature, un espace agricole. Les vingt-six hectares de terres et de garrigue, autour de la propriété, nous ont amené à faire le choix d’une vie centrée sur ce patrimoine naturel qui nous était confié. Cela a déterminé la mise en place et l’accentuation progressive de structures d’activités autour du jardin (maraîchage plein champ ou sous serres), de l’arboriculture (oliviers, figuiers, amandiers, etc.), de l’élevage de chèvres (fromages et viande), de poulets et de lapins. Le tout sous le mode bio. C’est autour de ces activités liées à l’agricole et à la nature que nous proposons aux résidents de recentrer leur vie. La (re)découverte de gestes précis (à partir d’un cahier des charges) nous paraît indispensable pour mesurer la capacité de chacun à entrer dans une démarche plus pointue et de se préparer à un nouveau départ dans la vie, quand cela est possible. Cette option offre aux personnes un mode de vie simple, voire un peu rude, difficile à surmonter pour qui ne veut rien, mais révélateur des forces (et des faiblesses à travailler) de celles et ceux qui veulent aller plus loin (organisation de vie et formation). Cette terre de Carles est une terre pauvre : poussière de pierres et poussières de terre accumulées par le temps. Il faut donc en prendre soin. Nourrir la terre de Carles est une exigence quotidienne qui parfois fait jaillir, chez l’un ou l’autre, ce cri : « Pourquoi ne changerait-on pas cette terre pour que la culture en soit facilitée et son rendement ? » Mais on ne change pas plus de terre qu’on ne change les hommes. C’est seulement à force d’attention que l’une et les autres finissent par donner leurs plus beaux fruits. Cette terre n’est pas le jardin de l’Eden. Mais elle est comme le territoire attribué à Adam et Eve après l’épisode du fruit interdit croqué (Gn 3,23-24) dont nous savons que des anges veillent sur lui comme les gardiens de l’entrée : pour nous éviter toute méprise. Carles n’est pas le paradis ! Sur cette terre, il y a du travail, de la sueur, des enjeux de domination, de la violence, du mépris parfois. Mais elle nous ramène toujours à l’essentiel : la faire vivre c’est nous faire vivre, la respecter c’est nous appeler au respect mutuel entre humains : « Nous savons que nos racines de terre sont irremplaçables pour percevoir et mettre en scène l’invisible qui nous relie les uns aux autres. » [243]C’est pour cela que nous lui donnons toute notre attention : pour tenter de bâtir l’harmonie de notre vie commune à partir de sa réalité. (Voir aussi « Ecologie », « Espace », « Nature »)   Testament. Voici le testament de Joseph Persat qui fonde la création de l’association « mas de Carles » et suscite notre présence au mas :              “Un homme découvrit un trésor, caché dans un champ. Dans sa joie, il s’en alla, vendit tout ce qu’il possédait et acheta le champ. (Evangile de Matthieu 13,44).                                       170 Cet homme, c’est moi-même. Le trésor, c’est le Mas de Carles. Un jour, j’ai découvert Carles. Ce fut, pour moi, un émerveillement. Je découvris un site exceptionnel. Il s’en dégageait une ambiance de paix, avec un certain fond de mystère. J’ai été séduit. J’ai compris qu’il y avait là quelque chose à faire, une chance à ne pas manquer. J’ai passé une grande partie de ma vie à accueillir : j’y ai vu là l’aboutissement d’un projet. Les plus déshérités, ceux qui n’ont plus de famille, de travail, y auraient leur place. Tous ceux qui ont soif de paix, de calme, d’amitié, y viendraient. Une vie fraternelle de partage y serait possible loin de tout ce qui divise : l’argent, la race, la culture, etc. Carles deviendrait un lieu fort pour de nouveaux départs.  Carles a une vocation d’accueil. Depuis plus de dix ans, Carles a accueilli des milliers de personnes et ce sont les plus pauvres qui y ont trouvé demeure. C’est pourquoi je demande aux membres de l’association d’entrer dans ce mouvement d’accueil, déjà réalisé en partie, pour le développer et le soutenir avec désintéressement…  Carles ne deviendra jamais un objet d’intrigue, un lieu de trafic, de commerce ou réservé à quelques-uns. Fait à Avignon, le 15 janvier 1981 – Joseph PERSAT (Un autre « testament » est celui des résidents : voir « Dignité »)   Transgression. Carles est un lieu où nous tentons de nous donner (et de respecter) quelques interdits qui veulent fonder une vie acceptable ensemble : refus de l’alcool, de la violence, de l’enfermement dans la solitude et l’arrêt de ses médicaments, absences non motivées. Invitation à s’offrir mutuellement un bonjour matinal… Se libérer du connu et entreprendre un autre voyage. Voilà le plus ardu : invitation à ne pas reproduire les gestes et les attitudes qui ont amené à Carles ; refus de donner corps à la violence entre nous produite par la répétition magique et répétitive de la séquence mortifère précédente. Apprendre à se construire par soi-même, plutôt que contre les autres ou dans l’imitation du désir de l’autre.   Transgresser est l’autre face de ces interdits. Parce que les habitants de notre maison n’en sont pas tous au même niveau d’avancée dans leur vie ni d’acceptation des règles qui font loi chez nous. La transgression est donc ordinaire pour beaucoup qui n’ont pas encore trouvé d’autre manière de se dire, de manifester leur face malade et de se reconnaître dans le chemin de reconstruction qui leur est proposé. C’est énervant parfois. Usant, souvent. Mais somme toute nécessaire au regard de l’identité de beaucoup. Retour à Diogène de Sinope (413-327). Ce contemporain de Platon se promenait en plein midi dans les rues d’Athènes, une lanterne allumée à la main : « Je cherche un homme ! », clamait-il au grand scandale des Athéniens qui s’estimaient les plus civilisés d’entre les hommes. Mais ils ne savaient pas qu’ils risquaient à tout moment de n’être que les usagers d’un code de conduite qui enferme dans un « chacun pour soi » hors de tout engagement personnel [244]. Et c’est un homme de cette trempe-là que cherchait Diogène.                                                                                                                              171 (Voir aussi « Accueillir », « Fuite », « Illusion », « Maison »,)   Transmettre. Transmettre ! L’impossible défi soumis à nos générations, après toutes les autres. Pour Carles aussi ! Transmettre : mais que transmettre dans un monde qui vit en accélération perpétuelle ? Et comment ? Plotin (205-270), un des grands philosophes de l’Antiquité, disait : « Chaque âme devient ce qu’elle contemple ». Il avait compris que la contemplation établit une connivence : celui qui contemple finit par se retrouver sous l’influence de ce qu’il contemple. Commentant ce passage, Gilles Deleuze ajoutait : « En contemplant l’autre chose, elle se remplit d’elle-même. La chose se remplit d’elle-même en contemplant l’autre chose. » [245] Sans plus de recherche, c’est ce que tentons de mettre en œuvre dans la maison : contempler le beau et y collaborer, vivre en compagnon hors des violences et jalousies ordinaires, proposer de partager aussi bien les tâches que les revenus de nos activités pour maintenir la maison en état de fonctionnement et d’accueil, vivre hors de contraintes administratives trop exogènes pour les hommes… Autant d’invitations à contempler puis, peu à peu, à faire nôtre une autre manière de vivre, à nous laisser modeler par elle. Y a-t-il une autre manière de transmettre quelque chose de nos codes de vie que ces voyages entre interdits (ce qui se dit entre nous davantage que les choses interdites) et transgression ? Notre mode de transmission, quelles que soient nos impatiences, se forge autour de l’expérimentation par chacun de ces limites envers ses propres limites. (Voir aussi « Autonomie », « Décentrement »)   Travail. Quoi ? Celui des discours officiels, lieu de la grande schizophrénie institutionnelle, qui laissent croire qu’il y en a, sans problème… sinon pour celui qui n’en a pas et devient rapidement coupable de n’en pas avoir. « Si vous êtes au chômage, c’est que vous êtes mal formés, mal adaptés, que vous n’avez pas fait vos preuves… La validation de soi passe par le travail marchand. Même pour les postes peu qualifiés, le travail permet la reconnaissance sociale. Vous avez de la valeur parce qu’on vous paye. » [246] Ce après quoi tout le monde court, parce qu’il fait défaut : il n’y a plus un travail pour chacun et depuis déjà longtemps (mais chut ! tabou [247]). Alors qu’allons-nous inventer pour en sortir ? Un revenu inconditionnel pour tous, où la part travail serait un plus et non une absence discriminante ? Et d’abord, quand nous déciderons-nous à ne plus soutenir des discours qui ne font qu’enfoncer de plus en plus de nos concitoyens (cinq à sept millions d’entre eux en 172 France) ? Mais il est vrai qu’ « il y a longtemps que l’obsession du chômage a fini de tuer tout débat sur les mutations du travail », signale Arthur de Grave. Et ne reste en face que celles et ceux « condamnés à l’humiliation de l’oisiveté dans une société qui a sacralisé le travail », écrit Jean Sulivan [248], à raison même de son effacement. « Un jour un type de l’ANPE m’a dit : ‘ Mais Monsieur Baboudi, du travail ? Y’en a plus depuis longtemps ! Regardez, ici, à l’ANPE, on a juste du travail pour nous, juste, juste… Y’a même des jours où y’en a pas pour tout le monde, on est trop nombreux… Alors du travail ! Pour les jeunes des quartiers pourrites, en plus ! Allons, monsieur Baboudi, quand même ! Tout de même, monsieur Baboudi, du travail… » 317 Sait-on assez que la part que les hommes consacrent au travail est passé de 40% à 12% du temps de leur vie ? Cela seul devrait suffire à changer regards et exigences vis-à-vis de cette réalité et de ce qu’elle peut engager de nouveau pour nos sociétés. A rapprocher du constat de Jean Viard : « D’où vient cette prétention des adversaires des 35 heures à croire que la révolution féminine et la révolution numérique ne bousculent pas radicalement la place et la qualité du travail dans nos sociétés ? » [249] Cela n’empêche pas ceux qui en trouvent un peu de se croire autorisés de ne plus participer à la vie commune : « Moi je travaille ! », entend-on régulièrement dire comme excuse pour se défausser. Comme si le travail pouvait être un blanc-seing pour se dégager de nos communes responsabilités. (Voir « Activités », « Emploi », « Résister », « Revenus »)   Tutoyer. Tutoyer plutôt que vouvoyer ? D’abord se redire que cette différence (parfois mise en avant comme une marque de respect pour l’autre) n’existe pas dans toutes les langues sans que nul ne se sente offensé pour autant. Ici, au Mas, parce qu’il peut être vécu (sans obligation) par tous envers tous, le tutoiement est plutôt vécu comme une marque de confiance entre nous. Cela « sonne » comme à la maison, nous paraît aider à la convivialité : ça « convivialise » les rapports entre nous, disent certains. Cela semble resserrer les liens, favoriser une certaine proximité (qui est le mode de notre présence réciproque à l’autre), mettre tout le monde sur le même pied et faciliter la confidence. Singularité du français : d’un cheval qui touche du sabot l’obstacle à franchir, on dit qu’il tutoie l’obstacle, sans que cela l’élimine du concours ! Encore une manière de dire une forme de 173 proximité. (Voir « Bonjour », « Hospitalité », « Dignité », « Proximité »)                 U     Urgence (accueil d’). Une forme d’accueil naguère promue pour honorer le plus rapidement possible la demande d’une personne en grande précarité, sans toit… Elle est remplacée, depuis quelques temps, par un « accueil immédiat ». Ce qui ne change rien au fond. Il s’agit de permettre aux personnes de trouver un espace où vivre dans une forme de tranquillité plus appropriée que celle de la rue : manger régulièrement, dormir sans peur de se faire voler ses affaires, retrouver un rythme de vie… dans le meilleur des cas (mais cela ne correspond pas toujours à la réalité de leur vie). Et pouvoir envisager ce qui pourra aider la personne à se construire un avenir, si elle le désire. Dans tous ls cas, simplement, prévenir l’exclusion en développant, au premier chef, du lien. (Voir « Habiter », « Maison »)   Utile – Inutile. Utile : quand ma vie se conjugue avec de l’action (plus ou moins immédiate). Inutile : un sentiment qui vient parfois, parce qu’on ne fait pas tout ; parce que le temps s’écoule sans 174 que rien ne se passe ou peu ; parce que les autres semblent ne pas comprendre que leur temps n’est pas le mien, ou l’inverse. Méditer le reproche formulé par Christian Bobin : « Des visages qui ne sont plus des visages, mais des soucis d’efficacité. » [250] Certains lieux dans la maison, sources de présence, sont des lieux de veille plus que d’actions. Avec parfois le sentiment d’inutilité qui peut (faussement) s’y associer. Veiller, attendre, sont des tâches importantes : elles permettent aux autres de faire autre chose. Dépasser mon mouvement premier, celui de mes gestes pour l’autre que je voudrais féconds. M’accueillir moi-même plus en profondeur. Nous souvenir de René Char et apprendre avec lui que l’essentiel n’est pas dans l’extérieur, mais dans l’intérieur de nous-mêmes : « La lumière a été chassée de nos yeux. Elle est enfouie quelque part dans nos os. » 320 Belle occasion de recentrer nos priorités, que nous ne sommes pas là pour remplir un devoir d’efficacité vis-à-vis des hommes. Plutôt convier chacun à la place de sa meilleure « utilité sociale ». Ce qui désempare certains et « inquiète » un système qui ne sait rien faire d’autre qu’assigner un homme à une fonction qu’il juge utile pour son propre fonctionnement. A nous de rappeler que la place, l’utilité de chacun est sa compétence, porte ouverte à toute forme d’élargissement, de projet, de formation… Savons-nous toujours être de ces passeurs ? (Voir aussi « Coopération », « Illusion », « Reconnaissance »,        Utopie. Utopie : représentation d’une réalité idéale et sans défaut, dit le dictionnaire. Platon, Thomas Moore, Rabelais, Francis Bacon, Voltaire, Fourier, Aldous Huxley (pour n’en citer que quelques-uns tout en omettant d’autres types de propositions : musicales, architecturales, cinématographiques) se sont essayé à en définir les contours… surtout pour dénoncer les injustices et dérives de leurs temps. Utopie est aussi cette extrême fragilité qui vient se lover dans nos pratiques et nos volontés pour notre maison. Utopie, parce que nous croyons que rien jamais ne viendra empêcher quiconque de penser et d’agir plus haut que le quotidien et sa fonction souvent normative. Utopie au point de croire que personne n’est à jamais enfermé dans son passé ou l’actualité de ses dérives. Utopie toujours de croire que nos défauts nous portent autant que les qualités d’autres, moins stigmatisés. Utopie de croire que ce qui se définit comme une réalité parfaite mais « sans lieu » (c’est la traduction du mot grec « utopie ») puisse trouver le lieu de Carles pour y rencontrer le début de la réalisation d’un rêve partagé : celui qu’un mieux peut advenir dans la vie ; celui que la terre de Carles puisse (pour un temps plus ou moins long) devenir ma terre en même temps qu’une terre commune. Elargir le champ du possible plutôt que de résumer nos situations aux chants de l’impossible. « L’utopie n’est pas l’irréalisable, mais l’irréalisé », a écrit Théodore Monod. (Voir aussi « Bidouiller », « Projet », « Travail ») 175 V     V.A.E. (Validation des Acquis de l’Expérience). Gégé. Bruno. Raymond. Alain. Bernard. Maraîchage, arboriculture, conduite de troupeau, fabrication fromagère… Chacun dans son domaine, sous la houlette de Joël puis de Michel, a acquis CAPA ou BEPA pour confirmer les savoir-faire acquis au cours de leur présence au Mas. Trois ans de présence au Mas et / ou d’exercice du métier étaient nécessaires à l’obtention du diplôme. Mais une année suffit maintenant depuis un an passé. C’est ce temps pris qui est valorisé par la VAE. Et quoi de plus heureux, même si cela vient un peu bouleverser la vie des impétrants qui peuvent avoir parfois du mal à accepter que cette reconnaissance s’étende à leur personne et à leur responsabilité dans la maison. Pour nous tous, c’est une bonne manière de valoriser les talents avec leurs porteurs. (Voir aussi « Formation », « Insertion », « Lieu à vivre »)   Valeurs. C’est un des gros mots de nos organisations et de nos associations : nous défendons des valeurs, nous mettons en avant les valeurs (incontournables) que nous voulons porter au cœur 176 de nos actions. Mais quelle est cette communauté de valeurs auxquelles les gens de Carles seraient attachés ? On pourrait faire ici un résumé de celles qui animent nos jours : proximité et bonne distance, compagnonnage, amitié, partage des tâches et des responsabilités, accueil au plus près de la réalité des personnes, et l’encouragement de ce souci des uns pour les autres qui parfois nous vient comme une claire évidence de nos vies … Soit ! Et peut-être pas si mal, après tout. Mais si définir « valeur » par cette entrée n’était que l’ombre portée du souci de nous-mêmes ? Car cette requête des « valeurs » n’est pas suffisante. Est-ce telle ou telle qui importe ou la puissance de vie incarnée dans nos gestes et nos pratiques ? Les valeurs sont faites pour l’homme et non l’homme pour les valeurs. Interrogé un jour à table (« Quelle valeur te fait rester ici au Mas ? ») un résident répond : « On est ensemble et on nous propose une activité ». Peut-être les véritables valeurs de nos associations sont-elles en réalité les personnes ici accueillies. Les hommes eux-mêmes et le lieu qui les accueille qui, parfois, peut permettre de vérifier, pour l’un ou l’autre, la pertinence de la remarque de Sénèque (-4-+65) : « La valeur consiste à dompter ce qui fait trembler tout autre ». La valeur suprême : cette capacité pour chacun de vaincre ses peurs ! (Voir aussi « Association », « Autonomie », « Communauté »)   Valises (poser ses). « Arrive. Pose tes valises. Assieds-toi et viens manger. » Etonnement des personnes concernées par ce premier accueil de Joseph : personne ne les avait accueillis de manière aussi simple. Etonnement des « autorités » devant la naïveté d’un accueil : comme si cela pouvait suffire à débrouiller une situation ; à permettre aux uns et aux autres d’entrer dans le jeu de la réinsertion. Et pourtant… Retour à Maurice Blanchot (1907-2003) : « L’hospitalité consiste moins à nourrir l’hôte qu’à lui rendre le goût de la nourriture en le rétablissant au niveau du besoin, dans une vie où l’on peut dire et supporter d’entendre dire : Et maintenant n’oublions pas de manger. Sublime parole ! »[251] Est-ce toujours le cas ? On entend parfois certains reprocher à d’autres de venir manger ou de demander un colis : comme si cette hospitalité de la table devait priver les autres de leur dû ! Impératif de rester attentif à cette forme d’accueil, pour ne pas risquer d’humilier un peu plus celles et ceux à qui elle s’adresse. (Voir aussi « Accueillir », « Nourriture », Statut (des personnes) »)   Veiller (veilleurs). La lumière venant du veilleur solitaire, « l’homme de l’ombre », sentinelle de l’accueil et de l’écoute ! Solitaire ou solidaire ? Communicant, accompagnant dans leurs besoins et leurs demandes les hommes de la maison. Tout en respectant l’intimité de chacun. Appliquant le règlement intérieur du Mas de Carles, garantissant la sécurité nocturne de tous et des lieux, dans une relation d’entraide. Le veilleur assure la continuité avec l’équipe de jour. Veilleur ? Vraiment ? Un changement sémantique (« auxiliaire socio-éducatif ») est venu modifier le contenu de cette part du travail : toujours décalé par rapport à la journée, mais proposant une dimension plus dynamique dans la relation avec les résidents et les autres 177 salariés. Mais encore : veiller n’est pas réservé à quelques professionnels noctambules. Veiller, c’est aussi le nom de ces heures comme « perdues » passées à attendre (derrière un bureau, un téléphone, etc.), attendre ce qui finalement n’arrivera peut-être jamais. Et cela rassure le reste de la maison qui, pendant ce temps, peut vaquer à ses occupations : quelqu’un veille et la vie va son train de vie, rassurant. (Voir aussi « Présence », « Polyvalence », « Sécurité »)   Vendre. Fromages, maraîchage, huile d’olives, confitures, miel, livres : à Carles nous avons rapidement pris l’habitude de vendre une partie de nos productions pour « arrondir » nos fins de mois. Mais pas seulement. Par ce geste nous voulons affirmer que nous sommes capables de contribuer à notre existence. Être au mas de Carles ne signifie pas tout attendre d’une main généreuse, mais « gagner notre vie », pour la part que nous pouvons. Mais attention, dans le même temps, nous méfier de ne mesurer la maison et les hommes qu’à l’aune du marchandage : « C’est une pesanteur des sociétés marchandes -et toutes les sociétés sont marchandes, toutes ont quelque vendre- que de penser les gens comme des choses, que de distinguer les choses selon leur rareté et les hommes suivant leur puissance… » [252] Important de ne pas nous soumettre par cela à ce à quoi beaucoup ont été exclus par qu’insuffisamment rentables… Un certain nombre de restaurants (pas toujours des moindres), quelques marchés locaux, le temps fort du festival d’Avignon sont autant de lieux où la qualité de nos produits trouve à se vendre. Nous privilégions une économie locale en circuit court dans laquelle le Mas de Carles est reconnu comme acteur dynamique, animateur de rencontres de producteurs locaux, d’une journée annuelle des AMAP locales (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) et une présence aux différentes manifestations locales concernant l’agriculture labellisée biologique. Cette activité économique participe, sous forme d’auto consommation, à une alimentation saine et équilibrée proposée aux résidents… Chaque année l’activité des hommes du Mas permet ainsi de rapporter autour de 10% du budget de la maison… et de permettre à celles et ceux qui n’ont pas de revenus de pourvoir, malgré tout, être hébergés. Leur participation fait le reste. Vendre encore nos productions autres que vivrière : nos livres, par exemple. C’est une autre manière de promouvoir la maison. Et de permettre à certains d’entrer dans la dynamique du Mas. (Voir aussi « Argent », « Ferme », « Finances », « Produire »)   Vendredi. Le jour du poisson, bien sûr. Encore que cela ne réjouisse pas tout le monde. Mais aussi, et 178 surtout, le jour de la rencontre (obligatoire) de tous les habitants du Mas pour la réunion hebdomadaire. Pour se dire ce qui s’est fait, ce qu’il faut envisager pour la semaine qui vient et nous permettre de rectifier attitudes et comportements qui ont malmené la communauté. Le temps, parfois, de reproches réciproques ou de petites colères. Dans la volonté de « témoigner du presque rien qui traverse [notre] histoire, avec et contre elle. » Avec pour ambition de transmettre… la parole qui fait rouler la pierre. » [253] (Voir aussi « Communauté », « Réunions », « Vivre ensemble »)   Vérité. « La vérité d’un homme n’est jamais au point de départ, ni au point d’arrivée. Elle est dans la traversée. » [254] Une manière de nous inviter à élargir notre regard, à ne pas nous laisser enfermer dans l’immédiat. Donner sa chance à chacun, miser sur l’avenir plutôt qu’enfermer dans un passé pas toujours reluisant… c’est l’instance de vérité pour chacun d’entre nous.  Ce que semblait confirmer François d’Assise dont les compagnons disaient qu’il « avait appris… que ce que les hommes disent ou font a généralement assez peu d’importance et que la vérité de l’homme est toujours à chercher au-delà de ses propres paroles et même de ses actes, dans son être même. La réalité de l’homme, aimait-il dire, c’est ce qu’il est devant Dieu. » 325 Ou encore, au choix ou en complément, cette définition : « Te le dirai-je, ami, j’ai versé vraiment dans toutes les coupes le parfum du mystère divin que l’on nomme « vérité ». Mais à peine répandu, il s’est évaporé. Souvent en une heure triomphante, j’ai cru la capter dans ma main forte mais, pour l’avoir retenue, je l’avais mutilée. La vérité, c’est la brise marine qui chante autour de ta barque silencieuse, le rayon transparent qui croise ton sentier solitaire, les effluves de la bonne terre que tu respires en passant. Moins tu peux la définir, mieux tu la possèdes ; sans pouvoir la définir, tu te reposes en elle. Jamais rien d’humain ne pourra te la révéler, mais si tu sens ce que cachent les choses, tout ce qui existe te la montrera. » [255] (Voir aussi « Illusion », « Peur(s) », « Résister »)   Vie. « Georges Bataille se posait la seule question, disait-il, qui vaille, devant un homme : De quelle manière l’homme survit-il au fait de n’être pas tout ? Survit-il par l’argent, le sexe, l’alcool, la polémique, le militantisme, la foi, le foot… ? Une chose est certaine : tous ces planchers qu’il se construit, ces ersatz de sens, ne le porteront pas toute une vie. Ils tiendront un temps avant de le laisser passer lourdement au travers et se rompre le cou… La vie (appelons ainsi approximativement cette force dérangeante qui se charge à brève ou longue échéance de délabrer tout système) n’a cure des bonnes intentions… Dans toute croyance, dans tout principe, dans toute idéologie, elle flaire le ‘ système ‘, la réponse toute faite. La vie ne tolère à la longue que l’impromptu, la réactualisation permanente, le renouvellement quotidien des 179 alliances. Elle élimine tout ce qui tend à mettre en conserve, à sauvegarder, à maintenir intact, à visser au mur… » [256] Ce que semblait confirmer à sa manière Philippe Demeestère : « Le lieu inhabitable de la pauvreté, n’est pas le lieu de la vie, mais il en est tout proche, tandis qu’il se situe à des annéeslumière des lieux édifiés autour de la richesse ». La vie comme le sable dans la main d’un enfant qui en saisit bien moins qu’il n’en laisse échapper entre ses doigts. Mais la vie. Et nous, que nous en semble ? (Voir aussi « Fragilités », « Joie », Métamorphose »)   Vieillir. Vieillir a des avantages. Celui proposé par Christian Bobin, par exemple : « Les feuilles du chêne tombent, le nid du geai apparaît. Vieillir est une illumination. » Ce peut être une chance pour tous. Si on en accepte la règle du jeu, comme prévient le poète : « On ne se protège pas de l’âge avec des souvenirs ou avec des rêves » (Philippe Jaccottet). Mais pas que… On peut vieillir au Mas : ça veut dire qu’on ne vieillit pas seul. On peut être accompagné. Jusqu’à la mort… et au-delà, assuré d’une place au cimetière dont Joseph fut le premier de cordée ! Vieillir nous fait aussi traverser des périodes plus fatigantes que d’autres. Et puis les petitsenfants, les vacances scolaires… Aucune raison de nous flageller pour autant. Simplement, prendre la précaution de prévenir… et pourquoi pas trouver un(e) remplaçant(e). Nous offrir l’assurance de nos regards dans lesquels peut se lire que « ceux qui s’occupent de l’âge ne savent rien du temps, de l’éternité ni de l’amour. » [257] (Voir aussi « Aimer », « Temps »)   Violence. Présente partout. Existante et à apaiser, plutôt que de se laisser prendre à son jeu. Violence de notre monde, de plus en plus présente, suscitant des réactions diverses de méfiance, de protections anticipées, de violences aussi comme une réponse inadaptée mais réelle. Engrenage sans fin. Violence des résidents à l’égard des salariés et des bénévoles : alcools, produits, reproches sur les modes de vie des uns et des autres, renvoi à la nullité d’une présence quand les choses ne vont pas assez vite ou pas dans la direction escomptée. Violence des « accompagnants » quand ils sont décalés, ne perçoivent plus la grande souffrance ou se laissent submergés par son poids et leur propre fragilité. Violence des hommes entre eux (bagarres) ou contre eux-mêmes (tentatives de suicides, scarifications, culture addictive…). Violence encore de l’institution qui ne sait le plus souvent que réduire les personnes à des 180 « cases » ou à des « mesures », semblant comme ignorer leur identité propre. Et violence de la maison, vis-à-vis des résidents qui subissent plus ou moins volontairement normes et obligations auxquelles ils ne sont pas habitués (vie communautaire, partage d’activités, horaires, etc.), qu’ils ne choisissent pas forcément sauf pour fuir le pire de la rue et de sa violence. Nous redire que cette violence peut s’apaiser, se réduire, par l’exercice d’une proximité, la certitude d’une confiance jamais mégotée. Comment nos lieux peuvent-ils devenir des lieux d’apaisement et de construction d’un autre mode de vie ? (Voir aussi « Addictions »)   Vivre ensemble. « Très nombreux, chacun seul » : c’est le titre d’un spectacle de Jean-Pierre Bodin qui dénonce « un système qui nie les êtres leur ôte toute pensée au point que ceux qui le subissent le reproduisent » 329. Alors, prestataires des impuissances institutionnelles ou constructeurs d’autres manières de vivre ensemble ? Une petite certitude : Vivre ensemble n’est pas survivre, mais tenter de vivre le mieux possible. La médecine nous livre une définition du vivant : « Etre vivant, ce n’est pas respirer mais entrer en relation » C’est ce qu’elle en dit face à la mort. Et c’est ce qui nous interpelle : cet être en relation est le fondement du « lieu à vivre »… même si cela semble être toujours d’abord une « question » à travailler : côte à côte ou ensemble ?. Il ne s’agit pas de vivre les uns sur les autres ! Mais nous avons toujours à apprendre à nouveau qu’il n’y a pas de vivre ensemble sans apprentissage de l’écoute de l’autre (personne ou groupe), sans chercher à apprendre le langage du « lieu à vivre ». Sans accepter de pouvoir dire que « l’autre est notre égal ». A moins qu’il ne vaille mieux dire autrement, comme par exemple : « Je suis l’égal de l’autre » ? C’est un défi que certains n’arriveront jamais à honorer. Ce « vivre ensemble » s’exprime souvent sous la forme d’une « présence utile. » Reste à savoir pour qui ? Utile à quoi ? Comment éviter que nos gestes pour l’autre ne soient que l’occasion d’utiliser les bras des autres au service de nos « utilités » ? C’est dans la réalité de vivre ensemble que se révèlent les difficultés d’avoir à le vivre ! (Voir aussi « Accompagner », « Normes »)   Voisins. En terre de Méditerranée, nul n’est opposé à l’autre. C’est l’histoire même de notre région qui s’établit à partir de l’incursion et de l’établissement d’une colonie grecque en terre provençale. Cette communauté d’existence est celle de notre responsabilité. Jouons. Dans « voisins » il y a « voie », l’autre comme la route à nous offrir mutuellement pour donner à la vie son visage d’humanisation. Dans « voisins » il y a aussi « voix », comme le rappel que la voix de l’autre et sa chaleur viennent « enfrérer » chacune de nos vies. Dans « voisins » il y a encore « vois ». Invitation à voir l’autre comme y invitait Emmanuel Levinas : 181 porteur d’une interdiction, celle de tuer ! « Le visage signifie l’Infini. » Voisin, quand tu nous tiens, tu nous fais homme. (Voir aussi « Citoyenneté », « Méditerranée »)   Volontaires. Ce terme a un sens particulier au Mas. Il ne renvoie pas à un statut défini administrativement, définition qui énoncerait droits et devoirs. A Carles, « volontaire » est employé pour compléter et préciser le terme de « bénévole ». Nous avons pris l’habitude de parler de « volontaires bénévoles », suite à un échange sur ces deux termes : Si on parle de « volontaire » plutôt que de « bénévole » c’est qu’il est important de signifier qu’à Carles, être « bénévole » suppose un engagement fort alors que le terme « bénévole » renvoie au seul « bon vouloir » ; mais aussi, on peut entendre le mot « bénévole » dans le sens de « vouloir le bien de l’autre ». C’est pourquoi il est préférable d’associer les deux termes : « volontaire- bénévole ». (Voir « Bénévoles », « Administrateur », « Association »)   Vulnérabilité. « La vulnérabilité de nos dilemmes demeure précisément dans l’ouverture à l’existence vécue, la nôtre comme celle d’autrui, dans l’interrogation de notre volonté de vivre d’une certaine manière avec les autres le mieux possible et dans la reconnaissance de la vie et aussi, parfois, de la souffrance des autres… Croire que nous devons dissiper à tout prix, à toutes forces, la nuit et les ambigüités, c’est finalement fuir devant la tâche de l’existence les uns parmi les autres. » (Frédéric Boyer [258]) Prenant modèle sur le vivant, Jean-Claude Ameisen 331 propose une réponse du même type sur un autre mode : « … lorsque nous observons une cellule et que nous nous demandons quels sont les éléments qui sont à la fois nécessaires et suffisants à sa survie, nous ne pouvons pas véritablement répondre si nous oublions qu’une partie de la réponse est « la présence d’autres cellules ». Nous sommes des sociétés cellulaires, dont chacune des composantes vit en sursis et dont aucune ne peut vivre seule. Et c’est de cette précarité même, de cette fragilité, de cette vulnérabilité et de l’interdépendance absolue qu’elles font naître que dépend notre existence en tant qu’individus. » (Voir aussi « Solidarités »)           182                 « … penser que l’écriture libère le livre des limites propres aux intentions et au monde de son auteur pour en appeler à l’interprétation vivante des lecteurs… Les paroles écrites (sont) donc vouées à l’oubli ou à l’impossibilité de décider de leur sens si, une fois mises par écrit par leur auteur, la relève de l’oralité n’advenait. »  (Catherine Chalier, Lire la Torah)                                                                                                                                                                         183             « Nous changeons de village tous les jours et nous continuons de travailler au même texte, quel qu’il soit ; du moins nous essayons. Quant à savoir si ce que nous écrivons peut prendre racine, des racines plus profondes que les filaments suspendus dans les airs que nous traversons, c’est une autre question. » (Günther Anders, Journaux de l’exil et du retour, p. 213)               184   Index A Aboutissement.……………………… 4 Accompagner ………………………… 4 Accueillir. ……………………………… 5 Acteur. …………………………………. 5 Activités. ………………………………. 6 Addictions. ……………………………. 7 Administrateur. …………………….. 8 Aimer. ………………………………….. 8 Alcool. ………………………………….. 9 Alliance. ……………………………… 10 Allocataire. ………………………….. 11 Appartenance. …………………….. 11 Argent. ……………………………….. 12 Assemblée générale. ……………. 13 Assistanat. …………………………… 13 Association. …………………………. 14 Ateliers. ………………………………. 15 Attente. ………………………………. 15 Audace. ………………………………. 16 Aujourd’hui. ………………………… 16 Autonomie. …………………………. 16 Autorité. ……………………………… 17 Autre. …………………………………. 17 Avant. …………………………………. 18 Avenir. ………………………………… 19 B Barbe. …………………………………. 20 Beau. ………………………………….. 20 Bénévoles. …………………………… 21 Bidouiller. ……………………………. 21 Bien commun. ……………………… 22 Bienveillance. ………………………. 23 Bio. …………………………………….. 24 Boire. ………………………………….. 24 Bonheur. …………………………….. 25 Bonjour. ……………………………… 25 C Capacité physique (et handicap). ………………………………………. 27 Caravane. ……………………………. 27 Carles 2025.…………………………. 28 Certitudes. ………………………….. 28 Charité.……………………………….. 29 Charte des lieux à vivre. ……….. 29 Chèvres. ……………………………… 30 Choisir. ……………………………….. 31 Citoyenneté. ………………………… 31 Clairvoyance. ……………………….. 32 Clefs. …………………………………… 32 Collectif. ……………………………… 33 Combat. ………………………………. 34 Commencements. ………………… 34 Communauté.………………………. 35 Compagnonnage. …………………. 36 Compassion. ………………………… 37 Compétences. ………………………. 37 Confiance. ……………………………. 37 Consentir. ……………………………. 38 Construire. …………………………… 38 Contrat. ………………………………. 39 Coopération. ……………………….. 39 Corps.………………………………….. 40 Courage. ……………………………… 40 Créer. ………………………………….. 41 Crise. …………………………………… 41 Croyant. ………………………………. 42 Culpabilité. ………………………….. 42 D Débattre. …………………………….. 44 Décentrement. …………………….. 44 Démuni. ………………………………. 44 Départ.………………………………… 45 Désir. ………………………………….. 45 Dialogue. …………………………….. 46 Dieu. …………………………………… 46 Différences. …………………………. 47 Dignité. ……………………………….. 47 Distance. ……………………………… 48 Don. ……………………………………. 48 Donateurs. …………………………… 49 Doute. …………………………………. 49 Droits. …………………………………. 50 Dû. ……………………………………… 50 Durée. …………………………………. 51 Dynamique. …………………………. 51 E Eau. …………………………………….. 52 Echange de services. …………….. 52 Ecologie ………………………………. 53 Ecouter. ………………………………. 54 Educateur. …………………………… 54 Egalité. ………………………………… 55 Embrumes. ………………………….. 56 Emploi(s). ……………………………. 56 Encourager. …………………………. 57 Enfants. ………………………………. 57 Engagement. ……………………….. 57 Entraide. …………………………….. 58 Entreprendre. ……………………… 59 Envie. …………………………………. 59 Environnement. …………………… 59 Errance (et exil). ………………….. 60 Espace. ……………………………….. 60 Espérance.…………………………… 61 Estime de soi. ………………………. 61 Ethique. ………………………………. 62 Etonnement. ……………………….. 63 Etranger.…………………………….. 63 Evaluation. ………………………….. 63 Evangile. ……………………………… 63 Evolution. ……………………………. 64 Exclusion. ……………………………. 65 Exister. ……………………………….. 65 Expérience. …………………………. 66 Expression(s). ………………………. 66 Extérieur. ……………………………. 66 Faire. ………………………………….. 68 185 F Famille. ………………………………. 68 Fatigue. ………………………………. 69 Ferme. ………………………………… 69 Fêtes.………………………………….. 69 Finances. …………………………….. 70 Folie. …………………………………… 70 Fondations. …………………………. 71 Fonds de dotation. ……………….. 71 Formaliser. ………………………….. 72 Formation. ………………………….. 72 Fragilités. ……………………………. 73 Fraternel. ……………………………. 73 Frère.………………………………….. 74 Froid. ………………………………….. 74 Fuite. ………………………………….. 75 G Garrigue. …………………………….. 76 Gilberte (1930-1990). …………… 76 Gitans. ………………………………… 77 Gratuité. ……………………………… 77 Guérir. ………………………………… 78 H Habiter. ………………………………. 79 Harmonie. …………………………… 79 Herbe. ………………………………… 80 Histoire.………………………………. 80 Homme. ……………………………… 81 Hôpital. ………………………………. 82 Horaires.……………………………… 82 Horizon. ………………………………. 83 Hospitalité.………………………….. 84 Hôte. ………………………………….. 84 Humain. Humanité. ……………… 85 Humour. ……………………………… 85 I Ici. 87 Identité. ……………………………… 87 Illusion.……………………………….. 88 Impatience. …………………………. 88 Impuissance. ……………………….. 89 Inconditionnel. …………………….. 89 Indifférence.………………………… 90 Individu(alisme)s. ………………… 90 Inégalités. ……………………………. 91 Infini. ………………………………….. 92 Information. ………………………… 92 Initiative de solidarité. …………. 93 Initiatives……………………………………………………………. 92 Injonction (paradoxale)……………………………………… 93 Injustice………………………………………………………………. 94 Innocence…………………………………………………………… 94 Insertion……………………………………………………………… 95 Institutions…………………………………………………………. 95 Intelligence…………………………………………………………. 96 Intimité……………………………………………………………….. 96 Invisible(s)………………………………………………………….. 97 Invitation……………………………………………………………. 97 Jardin du souvenir……………………………………………… 98 Jardinier……………………………………………………………… 98 Jeûner…………………………………………………………………. 98 Joie……………………………………………………………………… 99 Légal / légitime………………………………………………… 100 Légumes…………………………………………………………… 100 Lenteur…………………………………………………………….. 100 Lettre de Carles………………………………………………… 101 Libération…………………………………………………………. 101 Liberté………………………………………………………………. 102 Lien…………………………………………………………………… 102 Lieu à vivre……………………………………………………….. 103 Logement…………………………………………………………. 103 Lucidité…………………………………………………………….. 104 Lumière…………………………………………………………….. 104 Maison……………………………………………………………… 106 Malade……………………………………………………………… 106 Marchés……………………………………………………………. 106 Mardi………………………………………………………………… 107 Mas…………………………………………………………………… 107 Médicaments…………………………………………………… 108 Méditerranée…………………………………………………… 108 Mémoire…………………………………………………………… 109 Ménage…………………………………………………………….. 109 Mépris………………………………………………………………. 109 Merci………………………………………………………………… 110 Mésange…………………………………………………………… 110 Métamorphose………………………………………………… 111 Migrant…………………………………………………………….. 112 Militance………………………………………………………….. 112 Misère………………………………………………………………. 113 Morale……………………………………………………………… 113 Mots…………………………………………………………………. 114 Mourir………………………………………………………………. 114 Murs…………………………………………………………………. 115 Nature………………………………………………………………. 116 Normes…………………………………………………………….. 116 Nourriture………………………………………………………… 117 Nouveauté……………………………………………………….. 118 O.A.C.A.S………………………………………………………….. 119 Obéir………………………………………………………………… 119 Objection de conscience…………………………………. 120 Oliviers……………………………………………………………… 121 Opiniâtre………………………………………………………….. 121 Optimisme……………………………………………………….. 122 Origine……………………………………………………………… 122 Papiers (et sans papiers)…………………………………. 124 Parler / Se parler……………………………………………… 124 Partage…………………………………………………………….. 125 Participation…………………………………………………….. 125 Passages…………………………………………………………… 126 Passé………………………………………………………………… 126 Patience……………………………………………………………. 127 Pauvres…………………………………………………………….. 127 Pédagogie………………………………………………………… 128 Pension de famille…………………………………………… 129 Persat Joseph (1910-1995)………………………………. 129 Personne (ressource)………………………………………. 130 Peur(s)………………………………………………………………. 131 Pierres………………………………………………………………. 131 Place…………………………………………………………………. 132 Plaisir………………………………………………………………… 132 Pôle Emploi………………………………………………………. 133 Politique…………………………………………………………… 133 Ponts………………………………………………………………… 134 Portes ouvertes……………………………………………….. 134 Pourquoi ?………………………………………………………… 135 Présence…………………………………………………………… 135 Prestataire ou… ?…………………………………………….. 135 Prière………………………………………………………………… 135 Prix……………………………………………………………………. 136 Produire……………………………………………………………. 136 Projet pédagogique…………………………………………. 138   J L M N O P Projet. ………………………………. 137 Prophète. ………………………….. 138 Protection. ………………………… 138 Provençal. …………………………. 139 Proximité. …………………………. 139 Q Questions ………………………….. 141 Quotidien. …………………………. 142 186 R Racine(s). ………………………….. 143 Réciprocité. ……………………….. 143 Récolter.……………………………. 144 Reconnaissance et estime de soi ……………………………………. 144 Regard. ……………………………… 145 Rencontre. ………………………… 146 Rencontres Joseph Persat.….. 146 Repas. ………………………………. 147 Repères. ……………………………. 147 Réseaux. ……………………………. 148 Résident. …………………………… 148 Résister. ……………………………. 149 Respect. ……………………………. 150 Respiration. ………………………. 150 Responsable.……………………… 151 Réunions.………………………….. 151 Réussir. …………………………….. 152 Revenus. …………………………… 153 Riches. ………………………………. 153 Risques. …………………………….. 154 Rose (1889-1984). ………………. 154 Ruches. ……………………………… 155 Rue. ………………………………….. 155 S Salarié. ……………………………… 157 Sanctions. ………………………….. 157 Sécurité. ……………………………. 158 Sédentaire. ………………………… 158 Sémantique. ………………………. 158 Sénevé. ……………………………… 158 Sens. …………………………………. 159 Service. ……………………………… 159 Silence. ……………………………… 160 Site internet. ……………………… 161 Sobriété. ……………………………. 161 Société. …………………………….. 161 Soif. ………………………………….. 162 Soins. ………………………………… 162 Solidarité(s). ………………………. 162 Solitude. ……………………………. 163 Soutenir. …………………………… 164 Spleen. ……………………………… 166 Statut (des personnes). ……….. 166 Statuts (de l’association).…….. 166 T Temporiser. ……………………….. 168 Temps morts. …………………….. 169 Temps. ………………………………. 168 Terre. ………………………………… 169 Testament. ………………………… 170 Transgression. ……………………. 170 Transmettre.………………………. 171 Travail. ………………………………. 172 Tutoyer. …………………………….. 173 U Urgence (accueil d’). ……………. 174 Utile – Inutile. …………………….. 174 Utopie. ………………………………. 175   V V.A.E. (Validation des Acquis de l’Expérience). ………………… 176 Valeurs. …………………………….. 176 Valises (poser ses). …………….. 176 Veiller (veilleurs).………………. 177 Vendre. …………………………….. 177 Vendredi. ………………………….. 178 Vérité. ………………………………. 178 Vie.…………………………………… 179 Vieillir. ………………………………. 179 Violence. …………………………… 180 Vivre ensemble. …………………. 180 Voisins.……………………………… 181 Volontaires. ………………………. 181 Vulnérabilité. …………………….. 181 187  

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« Est-ce nous qui dansons ou la terre qui tremble ? » 

(Claude Nougaro)

 

[1] Jean Grosjean, Si peu, Bayard, 2011, p. 19. Ou encore Nadia de Clauzade : « La lisière des mots, leurs confins, leurs murmures, mettent à découvert nos obscures ou radieuses contrées. » (Fragments illimités, 1997) 2 René Char, De moment en moment (1949), dans Le bâton de rosier. [2] E. Lasida, Le goût de l’autre, 2011. [3] Voir Roland Janvier, Jean Lavoué, Michel Jézéquel, Transformer l’action sociale avec les associations, DDB, 2013, chapitre 3.   [4] Saint Vincent de Paul, Lettre à Marc Coglée, c.m, 26 avril 1651. [5] Convention entre l’Etat et l’association « Mas de Carles », du 25 novembre 2005. 7 Rapport moral, AG du 27 mars 2007. [6] Jostein Gaarder, Le monde de Sophie, Seuil 2002. 9 Voir le site masdecarles.org. [7] Gandhi, Young India, 13 août 1925. Cité dans Lettres à l’âshram, Spiritualités vivantes / Albin Michel, 1971, p. 163. Texte affiché dans la salle à manger.   [8] Frédéric Gros, Interview du L’Obs, 07.12.2017, à propos de son livre Désobéir, Albin Michel, 2017. [9] Transformer l’action sociale avec les associations, DDB, 2013, p. 59ss. [10] Simone Weil, La pesanteur et la grâce, Plon / Presses pocket, 1947, p. 65. [11] Jean Sulivan, Bloc-notes, Ed. SOS, p. 185. [12] Frédéric Boyer, Quelle terreur en nous ne veut pas finir ?, P.O.L., 2015. [13] On peut aussi se référer au « Commentaire du règlement intérieur », proposé, à leur arrivée, dans la pochette d’accueil remise à tous les résidents. [14] Osée 11,4. [15] Matthieu 3,17. [16] Phèdre, (14 avt J.C.- 50 après J.C.), Fables. [17] Vittorio de Filippis, économiste français. Confirmé par Maurice Bellet : « Il y a une loi de la surface qui est féroce : c’est celle de l’argent. C’est elle, en vérité qui aime le chaotique, sous ses allures d’efficience et de prospérité. La loi profonde est ailleurs. C’est cette loi qui elle-même obéit à la loi de toute loi : préserver l’homme, sauver l’humain de ce qui en l’homme détruit l’homme […] Que l’autre te soit assez proche pour que ton désir soit : qu’il vive. » (La traversée de l’en-bas, Bayard, 2005, p. 81-103). [18] Pierre Rabhi, La puissance et la modération, Editions Hozhoni, 2015. [19] Jean Sulivan, L’exode, DDB, 1980, p. 211. -23 Maurice Bellet, La traversée de l’en-bas, Bayard, 2005, p. 81-103.   [20] Jean Sulivan, Je veux battre le tambour, p. 289. [21] Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des conditions de vie. Enquête menée entre décembre 2013 et janvier 2014. [22] « L’assistance a pour vocation première de protéger la société. Elle existe pour pallier les formes les plus extrêmes de la différenciation sociale… Il y aura toujours nécessité de venir en aide à certaines populations par des formes d’assistance. Il faut l’assumer publiquement en expliquant qu’une partie de la population couverte par les minima sociaux ne reviendra pas sur le marché du travail. Et à ceux-là, il faut donner le moyen de vivre dignement. » (Nicolas Duvoux, sociologue, interviewé par René Vachon, in Revue Partage, mai-juin 2012, p. 23-24) 14/05/2019) [23] Contrairement à une croyance largement répandue, la démocratie ne fait nullement partie de l’ADN de l’association selon la loi de 1901. Cette dernière rattache le droit des associations aux principes du droit civil et non à ceux du droit public et encore moins du droit constitutionnel L’exigence d’un fonctionnement démocratique adressé aux associations par les pouvoirs publics exprime en fait celle d’un fonctionnement régulier des instances statutaires : réunions régulières des instances, élection des dirigeants, compte rendu de leur mandat devant l’assemblée générale. Il s’agit avant tout d’un formalisme démocratique qui a pour seul effet utile de permettre un certain contrôle de l’activité des dirigeants agissant comme mandataires de l’association. (Pierre Bonnefille).   [24] René Char, Sur les hauteurs.  [25] François Cheng, La vraie gloire est ici, nrf Gallimard, 2017. [26] Par exemple Emmanuel Lévinas, Ethique et infini, Livre de poche, biblio essais 5, Arthème Fayard et Radio France, 1982 : « Chaque visage est un Sinaï, un Sinaï qui interdit le meurtre. Et moi ? C’est en moi que le mouvement parti de l’autre achève sa trajectoire. » C’est l’autre qui me constitue responsable, conclue Louis Fèvre. [27] Bernard Noël, Le lieu des signes. [28] Rapport moral, AG Mas d Carles du 28 avril 2011. [29] Jean-Pierre Longeat (bénédictin), Toi qui as soif de bonheur, Médiaspaul, 2014, p. 50-51. [30] Philippe Jaccottet, L’encre serait de l’ombre, nrf, Gallimard, 2011, p. 153. 38 Joseph Pacini. [31] Eloi Leclerc, Exil et tendresse, propos mis dans la bouche de François d’Assise. [32] Bernard Focrroulle, belge, organiste, compositeur, directeur d’opéra et du Festival d’Aix-en-Provence (jusqu’en 2017). [33] La vie en équilibre, IMCA Provence 2014. 42 Albert Camus, [34] Mohamed Kacimi, La confession d’Abraham, L’arbalète/Gallimard (2000), p. 16. [35] Michel Bérard, Les cahiers du mas de Carles, n° 5, 2° rencontre Joseph Persat, 15 octobre 2005.   [36] Thibault Le Texier, interview dans Libération samedi 30 et dimanche 31 janvier 2015, à propos de son livre Le maniement des hommes, Edition La Découverte 46  Wikipédia, article Agriculture biologique. [37] Philippe Demeestère, Les pauvres nous excèdent, Bayard, 2012, p. 87. [38] Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Folio-Essais, 2004, p. 152. 52 Convention de financement DDASS, du 25 novembre 2005. [39] Citée par Gabriel Ringlet, Eloge de la fragilité, Albin Michel / Espaces libres, 2004, p. 265. On pourrait aussi citer Christiane Taubira, à propos de la pensée d’Edouard Glissant sur « la pensée du tremblement, de la non certitude » : « Il y a les cultures de l’incertitude, encore dans une gestation infinie. Celles-là nous permettent de voir le monde comme un archipel et donc de penser son interconnexion. A la mondialisation brutale qui se traduit par une concentration des richesses et une augmentation des inégalités, Glissant oppose la mondialité, c’est-à-dire développer des relations qui permettent d’entrer ensemble dans cette nouvelle région du monde. Une région non pas géographique, mais faite d’une conscience commune, partagée, pétrie de nous tous. Glissant n’est jamais péremptoire. Seul le doute nous fait progresser et nous permet d’être disponible à l’altérité. » [40] Vincent de Paul, Entretiens aux filles de la charité, lettre 2546. [41] Maurice Bellet, Minuscule traité acide de spiritualité, Bayard, 2010, p. 76. Ailleurs, car c’est une part de son obsession, il ajoute ces mots sur la puissance de la charité : cette douceur « qui fait à l’autre ce don majeur : qu’il se sente exister, humain parmi les humains, sans que de lui ou d’elle on n’exige rien. » (Un chemin sans chemin, Bayard, 2016). [42] Apophtègmes des Pères, XV,4.7. [43] Jean Sulivan, Bloc-notes, p. 177.178. [44] Paul Arène (1843-1896), La chèvre d’or, roman.  [45] La mésange et l’amandier, Cardère éditeur, 2013, p. 171. [46] Discours prononcé aux « Amitiés méditerranéennes » (1958). Cité en Exergue par Abd Al Malik, Camus, l’art de la révolte, Fayard, 2016. [47] Extrait de la présentation des « Lieux à vivre », synthèse élaborée par Vogue la galère, le GAF, le mas de Carles et le réseau Voisins et Citoyens en Méditerranée. Un fascicule, édité par le réseau, est à disposition depuis la fin de l’année 2014.   [48] Extrait du « Commentaire sur le règlement intérieur ». [49] Rapport moral, AG du 3 avril 1997. [50] Voir Manifeste contre l’exclusion. 1991, in Partage janvier-février 2012. [51] Wajdi Mouawad, Un obus dans le cœur. [52] Christian Bobin, L’éclat du solitaire. [53] Voir le fascicule inclus dans le livret d’accueil des résidents.   [54] Armand de Bourbon, prince de Conti, Les devoirs des Grands, 1779. [55] Clément de Rome, (évêque de Rome entre 89 et 97), Lettre aux Corinthiens, 48,6. 70 Jean Debruynne, Vivre, Desclée, 1979, p. 64. [56] René Char, De moment en moment, dans Le bâton de rosier, 8 (1949). [57] Pour cet aspect, on peut aller voir : Olivier Pety, La mésange et l’amandier, Cardère éditions, 2013, p.153. [58] Jean-Claude Roumestan. [59] Olivier Pety et Bernard Lorenzato, Le pauvre, huitième sacrement, tome 1, Médiaspaul, 2008, p.128ss. 75 Véronique Dufief, Etre là, Salvator, 2016, p. 69. [60] Octogesima adveniens, n° 48. Cité dans le rapport moral de cité de l’AG du 5 avril 2004. [61] DW Winnicott dans « Jeu et réalité ». 78  DW Winnicott. [62] Jean Debruynne, Paix, Desclée, p. 24. [63] Philippe Demeestère, Les pauvres nous excèdent, Bayard, 2012, p. 104. [64] Philippe Jaccottet, Notes de carnet, la semaison III. [65] B. Lorenzato et O. Pety, Promenade au jardin des Pères de l’Eglise, Médiaspaul, 2012. [66] Jean Debruynne, Vivre, Desclée, 1979, p. 35. [67] La Charte du Manden, d’après un texte de 1215, réécrit par Youssouf Tata Cissé en 1991. [68] Alexandre Jollien, Petit traité de l’abandon, Seuil, Points / Essais, 2012, p. 50. 88 Grégoire (pape 590-604), Commentaire du livre de Job, 23,23. [69] Jean Grosjean, Si peu, Bayard Editions, 2001, p. 41,43. [70] Kamel Daoud, Interview au journal Libération du 18 février 2017.  91 Voir la citation Philippe Demeestère, plus haut p. 41. [71] Maurice Bellet, Incipit ou le commencement, Desclée de Brouwer, 1992, p. 8,23-24. [72] Texte rédigé par Manu et adopté par les résidents.   [73] Charles Borromée (1538-1584), Homélie à son dernier synode diocésain, 18 avril 1584. [74] Autre manière de dire, avec François Cheng, La vraie gloire est ici : « D’ici là / D’un instant à l’autre / Nous nous rejoindrons. / Chacun en avant de soi / S’étend de ce qu’il ouvre / S’accroît de ce qu’il donne. » [75] Les Actes de Sainte Lucie, cité dans Promenade au jardin des Mères de l’Eglise : figures de femmes des premiers temps de l’Eglise, IIe IVe siècles, Médiaspaul, 2014, p. 86. [76] François Cheng, Le livre du Vide médian, Espaces libres / Albin Michel, 2009, p. 109. [77] Jean Sulivan, La traversée des illusions, nrf / Gallimard, 1977, p. 129.   [78] Char, Dans l’atelier du poète, Gallimard, 1996, p.712. 100 Maurice Bellet, Sur l’autre rive, DDB, 1994, p. 28. [79] L Ph. Ségur ainé, XIXème siècle. [80] Pape François, Laudato si’, 49, 24 mai 2015. [81] Corinne Pelluchon, philosophe, dans La Croix du 20 mars 2017. 104 Pape François, Laudato si’, 119. [82] Cité par Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, VII. 106 Jacques Marpeau, Les Cahiers de l’Actif – n° 460-461. [83] Marie Balmary, Anne Le Gastelois, Ouvrir le livre : une lecture étonnée de la Bible. [84] Il s’agissait de proposer que des équipes mobiles de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’intégration) « vérifie les identités des personnes bénéficiaires d’une place en centre d’hébergement. » (Journal Libération du 9/10 décembre 2017).   [85] Joseph Wresinski, Refuser la misère, Cerf, 2007, p. 221. [86] Voir La mésange et l’amandier, Cardère Edition, 2013, p. 131-134. [87] Oui, c’est vrai, la parole d’Isaïe me traverse l’esprit : « C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur… je t’ai destiné à être la lumière des nations » (Is 49,6). Ou encore celle de l’apôtre Jean : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle amis… » (Jean 15,15). 112 La Fontaine, L’âne et le chien, (1678). [88] G. Herbert, 1651. [89] Paul Baudiquey, Pleins signes, Cerf, 1986, p. 96s. [90] Barbara Cassin, La nostalgie : quand donc est-on chez soi ? Ed. Autrement, 2013. [91] Eduardo Galeano, Sens dessus dessous, 1998, p. 326. [92] Paul Ricoeur, Ethique et morale, 1990. Il ajoute : « L’estime de soi, par quoi nous avons commencé, ne porte-t-elle pas en elle, en raison de son caractère réflexif, la menace d’un repli sur le moi, d’une fermeture au rebours de l’horizon de la vie bonne ? En dépit de ce péril certain, ma thèse est que la sollicitude ne s’ajoute pas du dehors à l’estime de soi, mais qu’elle en déplie la dimension dialogale implicite. Estime de soi et sollicitude ne peuvent se vivre et se penser l’une sans l’autre. Dire soi n’est pas dire moi. Soi implique l’autre que soi… » [93] Christophe André, L’estime de soi. Dans Recherche en soins infirmiers (82), p. 27. [94] Anesm, Le questionnement éthique, 2010 [95] Maurice Merleau-Ponty, Signes, Gallimard / Folio essais, 2001, p. 193. [96] Jacques Ellul, La foi au prix du doute : « encore quarante jours… », Hachette, 1980, p. 131. [97] Joseph Persat – Quelques questions à… – 28.01.1986. Cité dans La mésange et l’amandier, Cardère Editeur, 2013, p. 101. [98] Benoît XV, Lettre au chanoine Mury, 7.05.1919.   [99] Dominique Sampiero, Avant la chair.   [100] Christian Bobin, L’enchantement simple. [101] Johann Wolfgang von Goethe, Les maximes et réflexions (1749-1832). « Si la vieillesse a pour elle l’expérience, la jeunesse a mieux encore, elle a l’espérance. » [102] Les cahiers du Mas de Carles, n° 1, Joseph Persat, prêtre, Avril 1995, p. 32. [103] Philippe Demeestère, Les pauvres nous excèdent, Bayard/Christus, 2012, p. 20-21 ; 36-37. 129 Paul Ricœur, La règle d’or en question, 1989. [104] Christian Bobin, L’autre visage, Editions Lettres Vives, 1991, p. 33. [105] Michel Foucault, Préface à l’histoire de la folie, 1961. Cité dans une étude de Laurent Mattiussi, Michel Foucault et le déni de la préface, février 2014. [106] Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique : « A Gheel, selon le tableau qu’en trace Jouy, « les quatre cinquièmes des habitants sont fous, mais fous dans toute la force du terme, et jouissent sans inconvénients de la   [107] Mahmoud Darwich, La trace du papillon : pages d’un journal (été 2006-été 2007). [108] Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique [109] Abdennour Bidar, Plaidoyer pour la fraternité, Albin Michel, 2015. [110] Isaïe 66,5. [111] Sylvie Germain, Mourir un peu, DDB, 2000, p. 69-70. [112] Jacques Brel, L’homme de la Mancha. 141 Léo Ferré, Cette blessure,  [113] Olivier Pety, La mésange et l’amandier, Cardère éditeur, 2013, p. 134. [114] Maurice Bellet, Sur l’autre rive, DDB, 1994, p.28-29. [115] Philippe Jaccottet, Poésie, vœux. NRF Gallimard, 2012, p. 153. [116] Jean Viard, Le moment est venu de penser l’avenir, L’Aube, 2016, p. 15 : « Le peuple a une mémoire et un récit, des luttes partagées… C’est ainsi qu’il forme groupe. Mais la foule, elle, est « individus voisinant », se réfugie dans la sédentarité, cherchant une identité dans le territoire, dans les frontières, dans les appartenances d’hier… Contre les autres, généralement. »   [117] Louis Aragon, Les poètes : je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort, 1960. [118] Maurice Bellet, Incipit ou le commencement, DDB, 1992, p. 66. [119] Joseph Pacini. [120] Extrait d’un texte partagé avec les hommes de Carles après les événements de 7-9 janvier 2015 (attentat contre Charlie-Hebdo). On peut retrouver l’intégralité de ce texte dans la Lettre de Carles n°75. [121] Wikipedia, article Histoire de l’hôpital. [122] Dans le livre de l’Exode, le passage de Dieu et le départ des Hébreux pour leur grande marche à travers le désert pour rejoindre la Terre Promise s’inaugurent dans le repas pascal. Dans les Evangiles, le repas de Jésus avec ses disciples annonce la mort de Jésus et sa résurrection, la nouvelle Alliance entre Dieu et les hommes. 152 Philippe Jaccottet, Notes du ravin, dans Ce peu de bruits, nrf Gallimard, 2008, p. 23.   [123] Maurice Bellet, Notre foi en l’humain, Bayard, 2014, p. 62. Voir Lettre de Carles n° 75. [124] Atelier d’écriture, oct., nov., déc. 2014 (animé par Joël Lemercier). [125] René Char, La sieste blanche : Qu’il vive ! [126] Christian Bobin, Interview au journal La Croix, 7 août 2017. [127] Atelier d’écriture, oct., nov., déc. 2014 (animé par Joël Lemercier). [128] Abbé Pierre, Conférence prononcée à Lima, 1963. Cité dans Abbé Pierre, Inédits, Bayard Editions, 2012, p. 272. [129] En fond, le constat amer et lucide d’un Jean Sulivan : « Les inégalités sont le moteur du développement qui fonctionne avec l’exploitation du désir sans frein et du besoin immodéré de sécurité. » (Matinales II : la traversée des illusions, nrf Gallimard, 1977, p. 50). [130] Voir Anthony B. Atkinson, Inégalités, Le Seuil, janvier 2016.   [131] Peut-être aussi nous souvenir, avec l’historien Jean-Paul Demoule (Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire, Fayard, 2017) que « les moments de concentration ostentatoire de la richesse ont été immanquablement suivis de périodes de forte décroissance. Nous ne savons toujours pas clairement comment et pourquoi… mais ces renversements n’ont pas nécessairement été d’abominables cataclysmes. Non, il n’y a plus eu de fresques, de masques d’or, mais de petites sociétés paysannes autonomes se sont alors mises en place, comme celles auxquelles aspirent aujourd’hui certains mouvements écologistes. Des mécanismes de résistance aux inégalités ont pu être alors à l’œuvre dont nous pourrions aujourd’hui nous inspirer. » (Interview à L’Obs du 16.11.2017). [132] Christian Bobin, Ressusciter, 2011. [133] François Cheng, La vraie gloire est ici, nrf Gallimard, 2015. [134] Sophie Wahnich (IIAC et EHESS), dans Libération du 18 janvier 2018 : se former, se conformer, désirer… 177 Maurice Bellet, Sur l’autre rive, DDB, 1994, p. 28-29. [135] Philippe Demeestère, Les pauvres nous excèdent, Bayard, 2012, p. 22-23. [136] Voir Robert Mcliam Wilson et Donovan Wylie, Les dépossédés, Christian Bourgeois Editeur, 2005. 182 Christopher Morley. [137] Karima Berger, Eclats d’Islam : chroniques d’un itinéraire spirituel, Albin Michel, 2099, p.113. 184Spinoza, Ethique, III, XI, scolie. [138] Petit Robert, 2011. [139] Christian Bobin, L’autre visage, Editions Lettres Vives, 1991, p.43. [140] Gabriel Ringlet, Et je serai pour vous un enfant laboureur : retourner l’Evangile, Albin Michel, 2006, p. 98. 188 Miguel Benasayag, commentant le livre de La Boétie, De la servitude volontaire, juin 2010. [141] René Char, Feuillets d’Hypnos, 4. [142] Abbé Pierre, Mémoire d’un croyant, Fayard, 1997, p. 132-133. 191 Frédéric Boyer, Quelle terreur en nous ne veut pas mourir ? [143] Alain Ehrenberg, L’individu incertain, Pluriel / Calmann-Lévy, 1995, p.310. [144] Convention conclue entre l’Etat et l’association « mas de Carles », proposée à notre signature par la DDASS du Gard. [145] René Char, Feuillets d’Hypnos, 169. [146] Al-Ghazâlî (10581111), connu en Occident sous le nom d’Algazel 3 est un soufi d’origine persane. Personnage emblématique dans la culture musulmane, il représente le mysticisme le plus profond (Wikipédia). [147] François Cheng, Le livre du Vide médian, Espaces libres / Albin Michel, 2009, p. 201. Il y a encore cette remarque de Jean Grosjean : « Il y a toujours cette luminosité qui me fait face, qui me tient tête. Elle s’envole au moindre geste mais ne la voilà qu’un peu plus loin. Intouchable et inextinguible. Je ne suis pas seul au monde, il y a ce vis-à-vis. » Et plus loin : « la vie qui tend à la lumière devient lumineuse et cette luminosité devient vitale. » (Jean Grosjean, Si peu, Bayard, 2011, p. 9, 55). [148] Philippe Jaccottet, L’encre serait de l’ombre, nrf / Gallimard, 2011. [149] Barbara Cassin, La nostalgie : quand donc on est chez soi ?, Autrement, 2013.   [150] Olivier Pety, La mésange et l’amandier, Cardère éditions, 2013, p. 143. [151] Jean Sulivan, La traversée des illusions, nrf Gallimard, 1977, p. 79.   [152] Archives de Nîmes. [153] Attestation délivrée le 10/02/1948. [154] On peut relire La mésange et l’amandier, Cardère, 2013, p. 128ss. [155] On relira avec profit quelques-unes des pages proposées par Jean Lavoué, Roland Janvier et Michel Jézékel, Transformer l’action sociale avec les associations, DDB, 2013, p. 57ss. [156] Philippe Jaccottet, L’encre serait de l’ombre, NRF Gallimard, 2011, p. 21. [157] Olivier Pety, La mésange et l’amandier, Cardère éditeur, 2013, p. 249. [158] René Char, Les feuillets d’Hypnos, 76. [159] Les extraits de citations sont tirés d’un article de Olivier Frérot et Luc Gwiazdzinski, dans Libération du 29 juillet 2015, intitulé : Penser le fragile et l’incertain en vue d’une société vive. Nous souvenir que la « métamorphose » était aussi un des thèmes abordés au cours des 6èmes Rencontres Joseph Persat (en dialogue avec Michel Théry) : Du changement à la métamorphose : pour quelle transformation profonde de notre société ? 20 octobre 2012 (Les cahiers du Mas de Carles n° 8). [160] Frédéric Boyer, Quelle terreur en nous ne veut pas finir ? P.O.L., 2015, p.9-12. [161] Bertrand Vergely, dans Journal La Croix, 24 novembre 2015. [162] Voir une liste dans Association Mas de Carles, Les cahiers du mas de Carles n°3, Cardère éditeur, 2006.2009, p. 5455. [163] Gabriel Marcel, philosophe, 1889-1973. [164] Alexis Jenni, Son visage et le tien, Albin Michel, 2014, p. 83. Rappel de ce qu’en disait Jean-Paul Delevoy, médiateur de la République : « La fébrilité du législateur trahit l’illusion de remplacer par la loi le recul des responsabilités individuelles et de la morale. » (Rapport annuel 2010) 215 Dictionnaire Hachette. [165] Johann Wolfgang von Goethe, Maximes et réflexions (1749-1832). [166] Félicité Robert de Lamennais, Le livre du peuple (1838). [167] « Dostoïevski, La Boétie ou Kant ont bien montré que l’on passe sa vie à inventer des stratagèmes pour ne pas avoir à affronter cette liberté. Elle nous effraie car elle suppose une responsabilité qu’on n’est pas prêt à assumer. L’obéissance déresponsabilise… on n’a pas de comptes à rendre, ni à soi ni aux autres. » (Frédéric Gros). [168] Deux extraits de Joseph Pacini, Ici parle l’olivier, Caumont, 2002. [169] Adrien Candiard, Veilleur, où en est la nuit : petit traité de l’espérance à l’usage des contemporains, Cerf, 2016. 221 Voir plaquette de présentation de l’association. [170] Christian Bobin, Souveraineté du vide, coll. folio 2680, p. 53. 223 René Char, Je veux parler d’un ami, 1957. [171] Grégoire de Nazianze (330-390), Homélie 14, sur l’amour des pauvres. [172] Extrait de l’Assemblée Générale de l’association, 26 mars 2010. [173] Christian Bobin, Lettres d’or, coll. folio 2680, p. 88.   [174] Luigino Bruni, Préface pour l’édition d’un recueil de textes du père Joseph Wresinski, Refuser la misère : une pensée politique née de l’action, Cerf, 2007. [175] O Pety et B Lorenzato, Le pauvre, huitième sacrement, t.1, Médiaspaul 2008, p. 137-138. [176] Voir le fascicule résumé de cette journée du 19 octobre 2013, p. 9.   [177] François Cheng, Le livre du Vide médian, Espaces libres / Albin Michel, 2009, p. 165. [178] Quelques questions à Joseph Persat. Questions posées par Christophe Duval-Arnould, 28 janvier 1986. [179] Emmanuel Mounier, Œuvres, T. III : Le personnalisme.  [180] Paul Ricoeur, Parcours de la reconnaissance, Gallimard Folio – Essais, 2009, p. 149 et ss. 234 Pape François, 50ème anniversaire de Populorum progressio, 4 avril 2017.  [181] Mahmoud Darwich, novembre 2001, au cours d’une conférence – Source Internet. [182] Thomas Merton. [183] Voir O. Pety, La mésange et l’amandier, Editions Cardère, 2013, pp. 128-130. H. Aubert, Les fours banaux et les carrières de Villeneuve lès Avignon. [184] Epicure, Lettre à Ménécée. [185] Aristote (384-322 avant J.C.), Ethique à Nicomaque, VII,13. [186] Maurice Bellet, L’extase de la vie, DDB, 1995, p. 102. [187] La Bruyère, Les caractères : de la société et de la conversation, 16 (1688). [188] Claude-Emmanuel Triomphe, Après les attentats : le temps des commémorations doit laisser la place au temps de l’engagement, tribune écrite au Monde, nov. 2017. [189] Roland Janvier, Jean Lavoué, Michel Jézékel, Transformer l’action sociale avec les associations, DDB, 2013, p. 6465. On peut se souvenir de l’action de Basile de Césarée construisant sa ville pour les pauvres aux portes de Césarée contre l’avis de son ami le gouverneur ; ou de François d’Assise fondant le Tiers-Ordre pour desserrer l’étreinte de de l’ordre social du Moyen-Age qui étranglait et condamnait les plus pauvres à une vie précaire. 244 René Char, Pontonniers, dans Aromates chasseurs II. [190] Charles Singer, Prier, Desclée, 1979. [191] Jean Sulivan, Ligne de crête, DDB, p. 167. [192] Gabriel Ringlet, Ma part de gravité, Albin Michel, 2002, p. 38. 248 Isaïe 43,4. [193] Cette loi a assuré jusqu’en 1834 un revenu minimum aux pauvres dans chaque paroisse, grâce à l’octroi d’un complément de ressources en numéraire indexé sur le prix du pain (ou du blé) et sur la taille de la famille à prendre en charge. Ce revenu était accordé en moins du salaire versé lorsque celui-ci ne suffisait pas à assurer l’existence du travailleur… Éric Hobsbawm (1917-2012), a parlé d’ancêtre de la « sécurité sociale » (Wikipedia, art. Speenhamland). [194] Voir article de Philippe Van Paris dans le Nouvel Observateur du 7 juillet 2016. [195] Voir Association Mas de Carles, Les cahiers du mas de Carles n°3, Cardère Éditeur, 2006/2009, p. 49ss. [196] Montesquieu, Grandeur et décadence de l’Empire Romain, 1734.   [197] Emmanuel Levinas, Autrement qu’être…, Biblio Essais (LP 4121), 1978, p. 129ss (ici p. 137). [198] Emmanuel Lévinas, De Dieu qui vient à l’idée, Vrin, 1998, p. 129. [199] Albert Rouet, L’eucharistie et l’humanité, Anne Sigier, 2008, p. 137. [200] Voir Association Mas de Carles, Les cahiers du mas de Carles n°3, Cardère éditeur (2009), p. 40ss. [201] Journal Le monde, jeudi 28 juillet 2011, p. 18. Voir sur Les métamorphoses du social, sur le site du mas de Carles www.masdecarles.org. [202] Alexandre Jollien, op. cit., p.57. [203] Christian Bobin, L’épuisement, Ed. Le temps qu’il fait, 1994, p. 24. [204] Epictète (50-125), Entretiens III,24,9. [205] René Char, Feuillets d’Hypnos, 120. [206] Philippe Jaccottet, Oiseaux, fleurs et fruits, dans L’encre serait de l’ombre, Poésie Gallimard, 2011, p. 144. 263 René Char, Feuillets d’Hypnos, 135. [207] Extrait de « Commentaire sur le Règlement Intérieur ». [208] Mohammed Dib, La maison de Natyk, Seuil, 1979. Cité par Colette Nys-Mazure, Secrète présence, DDB, 2009, p. [209] . [210] Epicure, Lettre à Lucilius, XIX. [211] . CMP de Rémoulins, ANPAA Centre d’Alcoologie, Hôpital Montfavet, Hôpital du Mas Careiron, Centres de postcures (Notre Dame de la Rouvière, Mas St Gilles, Les Blannaves…), Clinique St Barnabé à Marseille ; Clinique de Remoulins , Service (SIAD) d’aide de soins à domicile de Villeneuve , différents médecins de proximité et professionnels de santé, tels que kinésithérapeute, podologue… ; pharmacie humanitaire. [212] . Organismes s’occupant de l’orientation des personnes : SIAO (Avignon, Nîmes), Chorus (Montpellier), services sociaux des hôpitaux (Assistantes sociales), CMS et CCAS de Villeneuve les Avignon, CAT les Olivettes à Alès, d’autres centres d’hébergement : Berdine pour les séjours de rupture, le Village à Cavaillon, Vogue la Galère à Aubagne, les organismes de référence pour les personnes insérées dans le dispositif RSA (Pôle Emploi, ARGOS), le SPIP d’Avignon pour le suivi judiciaire de certaines personnes accueillies, le service de tutelle (UDAF 30, UDAF 84, ATG, ATIS), les agents CPAM pour les dossiers CMU, les MDPH pour les demandes d’AAH.     [213] M. Bellet : La seconde humanité – DDB (1993) p. 73. [214] Viviane Forrester : L’horreur économique – Fayard (1996) p.113, 133, 136. Même constat du côté de la Commission Européenne, en d’autres termes : “Sur les 10,7% d’actifs actuellement au chômage dans l’ensemble de l’Union Européenne, environ 6% pourraient réintégrer assez rapidement le marché du travail s’ils se voyaient proposer un emploi. Ainsi, malgré l’existence de goulets d’étranglement dans quelques secteurs précis, rien ne prouve que les qualifications qui sont celles d’une grande partie de la population active soient réellement dépassées ou ne suffisent pas à garantir son aptitude à l’emploi. Dans l’immédiat, le véritable blocage se situe au niveau de la création nette d’emplois par l’économie”. (Croissance et emploi dans le cadre de la stabilité de l’Union économique et monétaire :   [215] Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, Interview à l’Obs, 20.04.2017, p. 74. [216] Juvénal, Satires (fin du Ier siècle, début du IIème). 278 Francis Bacon, 1561-1626. [217] Siracide 13,19. [218] Jean Sulivan, Matinales I, itinéraire spirituel, Gallimard, 1976, p. 93. [219] Georges Bernanos, Conférence aux étudiants brésiliens, Rio de Janeiro, 22 décembre 1944. 282 François de Malherbe (1555-1628), Consolation à M. du Perier (pour la mort de sa fille). [220] Voir Olivier Pety, La mésange et l’amandier, Cardère éditeur, 2013, p.157-161. Ibid. [221] Extrait du projet associatif de l’association – 2014. [222] Guillaume de Saint-Thierry, La contemplation de Dieu, 9. Sources chrétiennes 61, p. 90ss.   [223] René Char, En trente-trois morceaux, 24. [224] Atelier d’écriture, oct., nov., déc. 2014 (animé par Joël Lemercier). [225] Christiane Singer, citant une parole d’Angelus Silesius (poète mystique allemand, 1624-1677). [226] Naguib Mahfouz, Le mendiant, Babel, 2002, p. 31. [227] Alexandre Jollien, op. cit., p. 69. [228] Christian Bezol dans Joseph Persat, prêtre, Les cahiers du Mas de Carles n°1, p. 25. [229] Dominique Sampiero, Avant la chair. 296 Rainer Maria Rilke, Vergers. [230] Le Midi Libre, 19 août 2015, dans un article intitulé « Ceux qui ne veulent plus de la société ». [231] Pour exemple, ce commentaire « avisé » d’un blogueur parmi d’autres : « La sécurité sociale est à la solidarité ce que le viol est à l’amour » (cité dans Libération du 31 juillet 2015.! [232] Transformer l’action sociale avec les associations, op. cit., p. 65. [233] Jean-Marie Pelt et Franck Steffan, La solidarité chez les plantes, les animaux, les humains.   [234] Saint Augustin, De la vraie religion, 39,72. [235] Cité dans Association Mas de Carles : étapes de vie de l’association et lendemains à construire, Les cahiers du mas de Carles n° 3, Cardère éditeur, 2006/2009, p. 49. [236] Voir Roland Janvier, Jean Lavoué, Michel Jézéquel, Transformer l’action sociale avec les associations, DDB, 2013, chapitre 6. [237] Edgar Morin, Interview donné à L’Obs. [238] Pierre Teilhard de Chardin, Etre plus, Seuil, 1968, p. 122. A voir aussi avec ce que Charles Péguy (1873-1914) relève de la pensée de Henri Bergson (1859-1941) qui « nous arrache aux asservissements du passé, aux infécondités d’un temps mort, quand il replace exactement dans le présent… Car il nous remet dans le précaire et le transitoire et dans ce dévêtu qui fait proprement la condition de l’homme. » (Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne). [239] Jean Sulivan : « Des hommes qui ont perdu contact avec cette « terre intérieure » n’ont qu’une seule voie de dérive pour manifester leur différence : parvenir, dominer, que ce soit dans le système libéral ou étatique. » (La traversée des illusions, nrf Gallimard, 1977, p.27). [240] Les cahiers du Mas de Carles, n° 3, 2006/2009, p. 41s. [241] Atelier d’écriture, oct., nov., déc. 2014 (animé par Joël Lemercier). [242] Jean Viard, Le moment est venu de penser à l’avenir, Editions de l’Aube, 2016, p. 28. 310 Abd El Malik, Camus, l’art de la révolte, Fayard, 2016. [243] Joseph Pacini, décembre 2015. [244] Voir article de Karine Boinot, Comment accueillir l’autre dans sa singularité qui le constitue comme sujet, Les Cahiers de l’Actif (460-461). Dans le même ordre d’idées, c’est bien ce que reprochait Jésus aux pharisiens de son temps : se laisser conduire par une Loi qui les exonérait de toute réflexion sur eux et sur le fonctionnement de la société de leur temps. [245] Gilles Deleuze, cours du 17 mars 1987 à l’université de Vincennes. (voir Wikipedia, art. Contemplation.   [246] Danièle Linhart, sociologue. [247] Et malgré cela, l’INSEE révèle que 80% des Français considèrent le travail comme un des composants essentiels de l’identité des personnes… [248] Jean Sulivan, La traversée des illusions, Voies ouvertes, Gallimard. Vingt-cinq ans plus tard, un responsable d’une Régie de quartier constatait à nouveau : « la rentabilité, le gain de productivité peuvent être rétablis par la baisse massive du travail vivant… Ces transformation… modifie le rapport du travail à la matière. Ce rapport est aujourd’hui de plus en plus médiatisé par un ensemble de processus, de systèmes qui rendent l’activité immatérielle… A terme, c’est le sens que l’on accorde au travail qui sera questionné au regard de ces nouveaux modes de production… Seule la peur du chômage permet de masquer encore aujourd’hui cette évolution. » (Jean-Claude Roumestan – 1995). 317 Extrait du spectacle de Mouloud Belaïdi, La santé en prison, donné au terme des 2ème rencontres Joseph Persat, 15 octobre 2005.   [249] Jean Viard, Le moment est venu de penser l’avenir, Editions de l’Aube, 2016, p. 67. [250] Christian Bobin, Interview au journal La Croix, 7 août 2017. 320 René Char, Feuillets d’Hypnos, 111. [251] Pierre Zaoui, Revue Vacarme n° 38 : les lois de l’hospitalité, 2007.   [252] Christian Bobin, L’homme qui marche, Le temps qu’il fait, 1995, p. 15. [253] Jean Sulivan, La traversée des illusions, nrf Gallimard, 1977, p. 190. [254] Rosa Guimaraes. Cité dans Les cahiers du mas de Carles n° 3 : Association Mas de Carles, avril 2006, p. 55. 325 Eloi Leclerc,  Exil et tendresse. [255] Jeanne de Vietinghoff, Sur l’art de vivre. [256] Christiane Singer, Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? Albin Michel, 2001, p. 45-47. [257] Jean Sulivan, Je veux battre le tambour, p. 41. 329 Journal La croix, 5.01.2016. [258] Frédéric Boyer, Quelle terreur en nous ne veut pas finir ?, P.O.L., 2015. 331 Jean-Claude Ameisen, op. cit., p. 18.