« La vie pauvre n’est pas une pauvre vie mais elle le devient chaque fois que l’on plaque sur elle la grille de l’homme économique, en l’appréhendant à partir du seul système du travail, de la seule aisance matérielle et du divertissement qu’il procure. La lecture économique considère à juste titre que les pauvres manquent des ressources nécessaires pour exister, à commencer par un revenu décent. Elle sous-entend dès lors que les pauvres sont des êtres de manque, des sujets en défaut et en déficit.
Hypothèse ?
La violence sociale et économique n’annule pas la richesse des vies pauvres. Le pauvre est porteur d’un monde qui n’est pas un pauvre monde. Toute vie est créatrice de normes. La vie pauvre l’est davantage encore, aussi paradoxal que cela puisse sembler, car elle est contrainte d’inventer une forme de vie qui ne peut pas a priori être déduite d’une norme sociale hégémonique.
Pour celles et ceux qui sont assurés de leur existence, les inventions logent dans les normes, elles sont rendues possibles par elles. Mais pour toutes les vies qui ne tiennent dans aucune norme, les inventions sont vitales… nécessairement plus radicales tant elles consistent… à créer des normes qui n’existent pas… La pauvreté n’est pas affaire d’assistance, elle est affaire d’existence.
Laisser le gouvernement social de l’assistance, pourtant nécessaire, avoir le dernier mot, c’est penser à tort que la pauvreté peut être lue seulement en termes de gouvernement des pauvres selon un scénario alternant guerre contre les pauvres et guerre contre la pauvreté. »
Guillaume Le Blanc
La solidarité des éprouvés