Musique : SOS d’un terrien en détresse (Daniel Balavoine)
Introduction Olivier
Nous avons vécu avec toi un beau compagnonnage de 8 ans, empli de ton désir de rendre service : c’est ta trace au milieu de nous. Si la sainteté est marquée au coin de l’amour pour les autres que nous mettons dans nos vies, alors Jean-Noël, tu fais partie des élus de Dieu. Parce qu’il est sûr que « tes mots et tes gestes ont fait de nos pierres un champ de blé ondulant sous la brise »[1], fut-ce à notre insu.
Tu étais arrivé ici après un long passage par la rue, à la fois un titre de gloire et une blessure durable, parce qu’elle recouvre l’expérience de la nudité et de l’inutilité d’être au monde. Parce que, souvent, elle est l’expérience de la rupture avec tous. Ce qui fut vrai pour toi, sauf avec ces deux amies qui t’avaient offert leur jardin pour y planter ta tente. Un peu moins que la rue. Pas encore une maison.
Cette maison tu la trouveras au Mas, après avoir proclamé haut et fort à ton arrivée (comme beaucoup) que tu n’étais pas là pour longtemps. Il est vrai que faire l’expérience de la vie au Mas c’est faire l’expérience d’une vie en communauté, d’un advenir commun, ce que la rue désapprend. Vivre au Mas c’est alors et d’abord une épreuve en même temps que le lent apprentissage d’une rupture avec la solitude et avec l’isolement assassin face à la loi du monde et de ses institutions.
Et voilà : en mourant ici, ce « pas bien longtemps » est devenu pour toi une éternité. Et pour nous tous l’invitation à découvrir que la vie au Mas ne se résume pas à nos défauts, ni à ceux de la maison, ni à l’embarras de la présence des autres : elle est un appel à élargir sans cesse notre compréhension du monde. La lutte souterraine contre les fausses impositions d’une logique qui avait voulu rejeter ta vie, comme celle de tant d’autres, hors de la vie. Face à cela, le Mas a été ta victoire.
[1] Charles Juliet, ¨Pour plus de lumière.
Témoignages
Très cher Jean-Noël, notre frère du Mas,
Tu nous as quitté et nous prions Dieu qu’il t’accueille auprès de lui au sein de son royaume. Certes, tu étais capable de rentrer dans de sacrées colères, mais tu étais généreux, fiable, loyal, bosseur. Tu ne refusais jamais un service et tu pouvais même anticiper nos besoins. Tu es et tu seras toujours dans nos cœurs.
Michelle
Quelques mots, Jean No, empruntés pour certains à un conte soufi.
Un jour, un homme, toi sans doute, s’arrêta devant un arbre. Il vit des feuilles, des branches, des fruits étranges. Personne autour de lui ne pouvait le renseigner sur le nom de ces feuilles, de ces branches, de ces fruits. L’homme, je crois que c’était toi se dit : « je ne connais pas cet arbre, je ne le comprends pas ; pourtant je sais que depuis que j’ai aperçu mon cœur et mon âme sont devenus frais et vert. Allons donc nous mettre sous son ombre ». Et te voilà entré à Carles… Prenant ta place dans cette maison, sous cet arbre, avec ton attention tous, demandant des nouvelles de celles et ceux que tu n’avais pas vus depuis un moment, toujours prêt à rendre service aux uns et aux autres, avec tes colères mémorables et tes grands éclats de rire, avec ton souci d’accueillir sous cet arbre toutes celles et tous ceux qui s’y risquaient, pour y vivre, y travailler, en visite. Tu nous entrainais dans tes rêves ou dans tes parties de boule, et tu te laissais facilement entrainer dans toutes les activités, les sorties à l’extérieur. Et voilà, tu nous fausse compagnie… Tu ne l’as pas fait exprès, c’est tellement brutal ! Et tu nous manque déjà. Je te souhaite, Jean No, de retrouver dans cet au-delà mystérieux, un autre arbre qui rendra ton cœur et ton âme frais et vert, pour l’éternité.
Roseline
A la dernière « Porte Ouverte » en fin de journée, il fallait faire rentrer les poneys dans le van pour retour à l’écurie. Un des poneys voulait rester au Mas et refusait de monter… Ceux qui avaient organisé les balades l’après-midi n’arrivaient pas, malgré les incitations, les menaces et les coups de « triques » à se faire obéir…Jean Noël est arrivé et…calmement en prenant le poney en main a réussi de suite à faire rentrer le récalcitrant dans le van.
Hervé
Jean Noel
Ton départ soudain laisse un vide au Mas de Carles et pour toutes les personnes qui t’entouraient. Je voulais te remercier pour ton accueil chaleureux il y a bientôt 2 ans. Tu avais un grand cœur et tu pouvais nous le montrer avec tes petits mots gentils et tes gestes amicaux. Toujours à prendre des nouvelles des gens qui nous entouraient. Tu avais découvert une passion pour le dessin que tu partageais avec tant de cœur en nous les offrants. C’était ta manière à toi de donner la joie à ceux qui t’entouraient. Tu étais une personne parfois imprévisible avec ton caractère mais tu as su nous montrer ces derniers jours un Jean No différent qui savait se réconcilier. Tu nous as tous bluffé. Nous t’avons félicité pour ton changement d’attitude qui était exemplaire. « Comme quoi nous pouvons tous faire des efforts pour s’aider et se donner un coup de main » Merci pour tous ces bons moments passés avec toi à travers des parties de jeu, tes blagues, des moments à écouter de la musique, nos parties de boules et des fous rires que nous avons eu. Tu vas nous manquer Jean No.
Yannick
j’ai quelques fois pu parler avec Jean Noel, à Carles, chez moi ou ailleurs. Je connais un mots qui rime avec :
gentillesse,
gentillesse et Jean Noel c’est la même chose
ça rime aussi avec beauté, humilité et sagesse. Ce sont les 3 qui ensemble brillent profondément dans le regard de Jean Noel.
Luc
Je vous fait part d’un échange entre Jean Noël et Jo, à la maison, suite à une livraison de bois.
– Jo, tu es poète toi?
– Je ne sais pas vraiment
– Comment ça, tu ne sais pas, et la poésie c’est quoi pour toi?
– La poésie, je peux mieux t’en parler, la poésie c’est la petite lumière ou la petite musique comme tu veux qu’il y a en chacun de nous.
– Chacun de nous ? Je ne le crois pas
– Si, je suis très sérieux , en chacun de nous ,il y’a un espace inconnu qu’il faut aller découvrir, pour s’en nourrir et pouvoir le partager.
Vu la tête de Jean Noël, Jo lui dit : je n’ai pas fumé, je suis sérieux, la poésie c’est simple , ça coule le source, exemple :
« ici, l’Esprit souffle sur la pierre
Un antique secret nourrit notre existence
Nous écrivons le sens dans un langage neuf » ça parle, non?
Il y’a quelque temps Jo a écrit
« Après la mort, l’on vit », c’était une intime conviction. Je la partage et je me dis que peut-être, en ce moment, quelque part, Jean Noël et Jo se rencontrent et continuent leur conversation…
Je n’ai pas fumé, je suis très sérieuse
Annie
Cher Jean Noël
Dimanche, il y a 10 jours, tu es arrivé à la chapelle pour nous apporter comme d’habitude pleins de bûches et de petit bois d’allumage ; c’était juste quand on finissait de prier. Tu les avais coupés avec Thomas et Moussa et tu venais les apporter pour qu’on ait un peu chaud en priant.
Tout le monde a pu te saluer une dernière fois, sans le savoir…
Puis tu es resté un petit moment et tu disais « j’aime bien regarder les flammes ».
Merci pour tous ceux qui se chauffent grâce à vous qui travaillez au bois. Thomas a dit que tu lui avais appris pleins de choses de ce métier.
Et puis, aussi, tu restais attentif à ceux du dehors : tu m’avais demandé « Et ton amie de l’île Piôt est ce qu’elle a reçu son bois ? Parce qu’il ne faut pas qu’elle ait froid. »
Oui Jean Noël tu râlais d’accord, mais tu étais un travailleur et tu avais bon cœur, réjouis-toi près du Seigneur.
Jacinthe
Jean-Noël l’attentif Jean-Noël le travailleur Jean-Noël la tendresse
J’ai appris que les étoiles que je vois briller, la nuit, sont déjà éteintes depuis des milliers d’années.
Et à cause de la vitesse de la lumière, qui n’est pas si rapide que ça finalement, longtemps après leur disparition, leur lumière est là.
Ces étoiles disparues continuent de briller, de me faire rêver. De me rassurer la nuit, quand la lune me boude.
Ces deux vérités incroyables :
elles sont mortes, c’est vrai.
Je vois leur lumière maintenant, c’est vrai.
Jean-Noël, maintenant, c’est cette double réalité, cette double vérité.
Comme Joseph Persat, et tous ceux et celles qui nous ont quittés, Jean-Noël s’est éteint, c’est la réalité.
Jean-Noël brille pour nous, c’est la réalité,
Brille pour nous son courage, (c’est ce courage que j’admire le plus chez chacune et chacun de vous !)
brille pour nous son attention de compagnon,
brille pour nous ses astuces de bricoleur pour réparer ce qui est cassé,
brille pour nous sa manière de porter l’angoisse de la maladie,
brille pour nous son sourire de tendresse.
Je crois que, longtemps, Jean-Noël, je vais rester réveillée, la nuit, pour regarder ton étoile !
Cécile
Musique :Vivre sans tendresse (Marie Laforêt)
Au columbarium
Olivier
Tu nous rappelle que la vie peut être plus courte que nous le pensons. Et nous t’accompagnons pour que ta mort ne soit pas uniquement déraisonnable, pour qu’elle ne nous réduise pas simplement au silence. Pour qu’elle nourrisse entre nous une proximité toujours plus fraternelle. Et me revient en mémoire cette prière prononcée autrefois :
« Pour les uns je suis médiocre, pour les autres, je suis un roi, pour d’autres je suis le sens de l’univers, pour d’autres encore, je suis un fragment d’abîme, poussière au vent du néant.
Mais toi, Seigneur de ma vie, que dis-tu de moi ?
« Moi, je dis que sur ton visage et sur tes lèvres et sur tes mains on cueille la clarté même de Dieu. Je dis que tu es plus grand que ce qu’on voit sur ton passage. Je dis que je m’étonne moi-même de ta beauté de chaque jour. Je dis que ton péché n’est pas définitif et qu’il est seulement l’exploration entêtée et permanente de celui qui s’obstine à courir à travers la nuit afin de saisir la totalité de la lumière. » [1]
Nous t’accompagnons bercés par la parole antique de la Bible, la prière de l’homme qui, à bout de vie, rejoint sa source : « Je sais, moi, que mon libérateur est vivant et qu’il se dressera sur ma cendre de mort… Je le verrai et quand mes yeux le regarderont, il ne se détournera pas » (Job 19,26-27).
C’est dans cette certitude que nous pouvons redire ensemble la prière que Jésus a confié à nos lèvres :
« Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous, aujourd’hui, notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons, aussi, à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal. Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire, pour les siècles des siècles. AMEN ! »
On dépose l’urne
Voilà ta nouvelle demeure. Nous te confions à la garde de René, de Lucien, de Serge, de Gervais, d’Alexandre, de Manu, de Martine, d’Éric, de Maguy, d’Annie, d’Alice, de Julien et tous les autres qui t’attendent là-haut. Fais une bise à ma mère et salue Joseph de notre part. Par-dessus tout, sois en paix et apprends-nous à vivre cette paix entre nous dans le service et la fraternité partagée.
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.
[1] Charles Singer, Saisons, Desclée, 1989, p. 168.
On scelle la plaque
Musique :Alléluia ( Jeff Buckley)