Voilà, c’est comme ça. Pour la majorité des députés, ce soir-là, les migrants n’ont plus guère de droits (pour ne pas dire aucun) : pas de logement, pas d’APL, pas de soins hospitaliers, pas d’accès à l’accueil d’urgence, difficultés accrues pour le regroupement familial, droits d’inscription majorés pour accéder à l’université. Et attendre, bien sûr. Attendre trois ans, cinq ans avant qu’une porte ne s’ouvre pour habiter, se soigner, etc. Comme chacun sait, nous avons le temps, nous autres ! Honteux.
Penser que les 89 voix du Front National n’auront même pas été nécessaires pour en arriver là. Scandale !
Déshumanisation programmée. Pour eux les migrants. Et pour nous d’abord. Car c’est l’humanité en moi, en nous, qu’on cherche à assassiner légalement.
Je ne peux accepter ce diktat qui fait mine de croire que la cruauté envers l’autre peut devenir notre règle de vie, ma règle de vie. La défense de ma sécurité et de mon confort, de notre sécurité et de notre confort, n’est pas une raison suffisante pour imposer son absence aux autres. Et question sécurité, les migrants ne sont pas les premiers responsables du sentiment d’insécurité qui semble habiter les uns et le autres. Comme une fausse évidence : c’est d’abord nous qui en sommes porteurs.
La bête brune se montre sans plus de retenue, nichée là où on ne l’envisageait pas forcément. Sachant bien que rien de cela n’assurera pas le moindre commencement de maîtrise de la situation migratoire. Celles et ceux qui sont prêts à mourir pour venir chez nous, qui meurent régulièrement dans le chavirage de leurs embarcations de fortune, qui se posent au milieu de nous dans des campements indignes, ne sont pas prêts à se laisser intimider par aucune loi de la République.
Me rappeler une évidence. Tout enfant, toute femme, tout homme, est un humain, comme moi. Pas une marchandise dont on pourrait sans cesse avancer la date de péremption, pour nous épargner le souci de l’accueillir et d’en prendre soin. Me rappeler cette autre évidence : faire du mal aux autres, refuser sa présence, c’est m’exposer à subir un jour le même sort, ici ou ailleurs. Ce qui aujourd’hui nous sépare momentanément du malheur des autres ne nous garantit pas de n’en être pas victime nous-mêmes demain. La vie est fragile pour tous. Ce qui me rappelle la réflexion d’un africain de rencontre : « Quand vous venez chez nous, on vous accueille du mieux qu’on peut. Pourquoi n’êtes-vous pas capables d’en faire autant pour nous quand on vient chez vous ? »
Tout cela arrive au moment de Noël. Ce temps où les chrétiens, et beaucoup d’autres, fêtent la naissance d’un petit migrant à l’intérieur de son propre pays (comme beaucoup aujourd’hui). Et nous fêtons avec lui ce qu’il ne cesse de réaliser : l’appel à tout changer pour notre monde. A commencer par notre regard. Impossible pour moi de tirer un trait sur cela.
J’espère que nous serons quelques-uns à refuser ce déchainement de la bêtise, de l’incohérence et de l’inutile cruauté envers le frère. Quelques-uns à nous souvenir de l’enjeu : « D’un creux d’ombre hanté par l’eau et perdu sur la terre, j’ai fait en désir un lac où ne se reflète pas seulement mon visage. D’autres viennent y boire et c’est une chose étonnante. »(Patrice de La Tour du Pin, Psaume IX).
Le jour de Noël (et les jours d’après) nous pourrions commencer nos rencontres par une minute de silence : pour enrichir notre partage et notre prière de la présence de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants que nos lois cherchent à déshabiller de leur humanité et du respect qui sont l’oxygène dûs à tous.
Olivier Pety – 21.12.2023