Bonheur !
« Je ne crois pas que le bonheur soit quelque chose. Je crois qu’il n’est rien qu’on puisse appréhender et je soupçonne que, s’il n’est rien, c’est peut-être parce qu’il occupe tout l’espace.
Le jeune poisson de la légende hindoue qui demande « Où est la mer ? Tout le monde en parle et je ne l’ai jamais vue » nous offre la clef de la révélation… Voilà le poisson en quête de la mer :
« Avez-vous vu la mer ? » Il est émouvant. Dérisoire et émouvant. Il nage comme un fou, de plus en plus vite, de plus en plus loin.
« Avez-vous vu la mer ? » Il la cherche au milieu des récifs de corail, dans les taillis d’algues violettes, dans les gouffres bleus, dans les fonds glauques. Il va là où personne n’est encore allé.
« Avez-vous vu la mer ? » Jusqu’à l’instant où, à l’entrée d’une grotte, une pieuvre bienveillante vient à son secours : « Ne cherche plus ! Tu y es ! » Jamais tu n’y as pas été, jamais tu n’en seras plus proche que tu ne l’as toujours été ! Jamais plus proche qu’en chaque instant de ta vie passée et à venir…
Ne peut-elle rendre fou, cette révélation que ce qui est là en permanence et en abondance autour de moi est cela même qui me manquait si cruellement, qui me paraissait si impossible à rejoindre ?
Et si la mer est vraiment ce qui est là partout, ce dans quoi je nage depuis le début, il n’y aura donc pas de rencontre, pas de face à face, pas d’enlacement, pas de corps à corps.
Nul ne sera en mesure de s’emparer d’elle, d’en faire son glorieux butin… Elle est là ! Voilà tout. Jamais elle ne m’appartiendra.
La vieille pieuvre ajoute : « Ne sois pas déçu, jeune poisson ! Elle t’enveloppe en cet instant. Sens sa voluptueuse caresse le long de ton corps fusiforme, de tes ouïes, de tes branchies, à chaque battement de tes nageoires, à chaque palpitation de tes barbillons… »
A-t-il entendu ? »
Christiane Singer
N’oublie pas les chevaux écumants du passé
Albin Michel, 2005.
« La vie n’attend que nos yeux pour connaître son sacre. »
Christian Bobin