Et la Covid est revenue. Le Covid, cette « chose » invisible qui dirige nos vies depuis de longs mois et assèche tout autre discours. Cette chose qui entretient peur et retrait, mélancolise nos vies ou l’emplit de violences (comme cela se manifeste ces dernières semaines) contre des décrets pas discutés. L’impression, parfois, d’être pris en otage. Covid : cette chose qui tend à nous « délier » les uns des autres, tous, car possibles porteurs de mal ou de malheur potentiel, pouvant aller jusqu’à la mort. Asphyxie de nos relations sociales, petite mort réelle de nos interrelations. Covid : et ce rêve jamais explicité d’un monde d’après qui n’éclot jamais parce qu’entre deux pics de crise chacun veut plutôt refaire comme avant, récupérer ses droits et ses profits, plutôt qu’inventer une nouvelle manière de vivre ensemble. Covid : et l’accélération des migrations de populations qui le peuvent vers nos sphères mieux loties, en raison de la disparition des emplois informels de la débrouille chez eux… Avec l’augmentation des morts par noyade devant le « durcissement » des contrôles aux frontières. Chacun sait pourtant bien qu’il manquera 95 millions de travailleurs en Europe d’ici peu. L’enjeu n’est pas mince ? Ce pourrait être une question post-Covid, non ?
Avec cette autre concernant l’Etat-Providence malmené ces derniers temps mais apparemment restauré dans un discours présidentiel en ouverture de la lutte contre la Covid : « La santé gratuite sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre Etat providence, ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe… » [1] Une raison d’espérer ?
[1] Emmanuel Macron, Discours aux Français du 16 mars 2020.
Une bien belle incursion que celle de Mathieu Barbance dans les vies des habitants du Mas de Carles. Mathieu est un ami rencontré il y a quelques années dans un cadre qui était le mien… Les habitants du Mas, ils sont devenus mon cadre… Chanteur militant aussi bien dans la rue que dans les théâtres, des bistrots et des granges, il s’adapte à son public ; et par ses textes variés reflétant sa vie et notre quotidien à tous, réussit à provoquer des moments de détente et de bonheur. C’est ce que j’ai ressenti en ce beau dimanche de janvier dans la cour de ce Mas remplie d’énergie et d’histoire. En comité réduit à cause des inquiétudes épidémiques, sa venue a produit des étincelles dans les yeux de certaines et de certains. C’est bien là l’important de ce que nous pouvons offrir simplement et humblement pour que tous puissent avancer tant bien que mal et pour le mieux… avec contrebasse, guitare et ukulélé :
« Le silence se fait sur la place
On entend juste l’ange qui passe
Je pose mes doigts d’un air las
Sur les cordes de ma contrebasse
V’là qu’on lance un walking bass. »
(M D)
Conversation entre deux portes : « Tu vois avec ces agrandissements, ça devient très professionnel. Trop ? Est-ce que tu crois qu’on va pouvoir trouver notre place dans cette nouvelle chèvrerie ? ».
Silence. Allez, courage : bien sûr qu’on va y arriver.
C’est comme ces travaux de réhabilitation de la maison. Il faudrait réfléchir. Quand on est bien quelque part et qu’on a tout, finalement on s’installe et on ne bouge plus. Pire : certains ne veulent même plus donner la main pour faire tourner la maison, pour faire le boulot. Tu crois que notre modèle de vie ensemble peut encore tenir ? »
Silence encore. Bien sûr, il y a partout des profiteurs, mais les autres ?
Et dans un coin de ma tête, retour à l’abbé Pierre : « Gardez toujours un carreau cassé. Le risque, une fois que tout le monde est bien au chaud, c’est d’oublier l’extérieur. Il faut continuer à entendre les plaintes qui viennent du dehors » [2]. Quel carreau cassé, pour aujourd’hui ? La suite a largement prouvé que la nouveauté n’allait pas être un obstacle insurmontable. En une quinzaine de jours, l’affaire sera réglée… au bénéfice des hommes.
Bien plus tard, courte conversation avec un responsable qui trace un chemin avec un résident à propos de RSA et d’engagement « réciproque » et de rencontre dans une autre sphère que celle de Carles pour préparer un départ (que la personne concernée ne semble pas vouloir envisager pour le moment) : « Vous comprenez, à ne pas vouloir bouger, on s’encroute et on finit par ne plus rien vouloir. Ce sont les départs (et les voyages) qui offrent l’élan de vie aux hommes. » Même pas peur de dire cela à un jeune à la rue depuis la fin de sa prise en charge par les services de ses placements en famille d’accueil. Bouger. Encore et toujours bouger. La vie comme une migration perpétuelle ? Où déposer la recherche d’une stabilité dans ce monde-là ? Comment ne pas réduire les habitants de Carles à nos paramètres ordinaires quand ils sont là, précisément, parce les paramètres ordinaires les ont déjà exclus ? Tout en sachant le risque de « pétrification » (comme aurait dit Jean Sulivan) pour quelques-uns. Difficile équation. Nos vraies racines sont ailleurs que dans l’apparence où chacun cache ses blessures. Elles plongent souvent dans l’obscur et la déshérence, au cœur de désastres invisibles. Banalité mauvaise pour eux et exigeante en termes de patience et d’accompagnement long pour nous autres. Nous souvenir que la dette à payer n’est pas que matérielle.
[2] Voir la Lettre de Carles, n° 45
Le 16 février nous avons accompagné Alice Dieumegard (90 ans passés) jusqu’à sa dernière demeure au cimetière de Montfavet. Une belle célébration nous avait réuni à l’église ND du Bon Repos, la bien-nommée. « La première fois que je suis monté en urgence à Carles, c’était il y a quinze ans. C’était un jour « si-j’avais-du-jambon-je-ferai-une-omelette-au-jambon-mais-je-n’ai-pas-d’œufs »… et avec Bernadette T. nous avons bagarré pour nourrir 40 bonhommes car l’eau et l’électricité étaient en panne… » Cette « vocation » de bénévole lui était venue à la suite d’une rencontre avec Joseph Persat sur le marché de Montfavet : avec ses jeunes de l’Olivier, l’éducatrice venait vendre des confitures de leur fabrication et lui, passant par-là, avait pris le temps de parler à chacun. L’opération s’était reproduite régulièrement chaque semaine pendant de longs mois. Rencontre décisive. Elle devient une bénévole active en cuisine et à l’animation de sa petite équipe du mardi. Membre de l’équipe des auteur(e)s du recueil « Et puis ce fut le printemps », toujours partante pour raconter une histoire, jamais avare d’un trait d’humour, offrant son sourire et ses petits billets de circonstance… Seule une grande fatigue aura raison de sa présence au Mas. Guy, Gilles, Anne, Marc, Emma, Mathilde, Remi, nous vous embrassons. Merci de nous avoir prêté si longtemps celle qui déclarait : « Nous avons tous à batailler pour garder le sourire. Gardons-le ensemble. »
Juste avant, c’est Denise Fauvel qui nous a quittés. Membre d’une famille donatrice régulière au Mas de Carles, elle faisait partie de la même « bande » de parents de jeunes en aumônerie dans les années 80, à Montfavet. Et le lien n’avait jamais été rompu. Cette « grande petite dame » s’est battue jusqu’au bout de ses forces contre son cancer. Cette « guerrière », amoureuse de son Claude, cette marcheuse de Compostelle, fut saluée par ses petits-enfants comme le repère d’une autorité souriante. Solidement enracinée dans sa « Pugette », elle y aura accueilli, outre sa famille, une vingtaine d’enfants confiés à ses soins et à son sourire. A Claude, son mari, une pensée et notre soutien, autant que faire se peut. A Alain et à Pascal, ses fils, à leurs femmes et à leurs enfants, le partage de notre amitié.
Pendant ce temps, à l’hôpital, Claude se bat contre un Covid avec complications et Angelina, de retour dans leur maison, soigne d’autres conséquences du même Covid. Et il paraît que tout va mieux sur le front de cette pandémie ! Ne nous laissons pas abuser trop vite : les plus fragiles le payent cash ! Et beaucoup de réunions s’annulent pour ne pas donner plus de prise à ce virus bien plus « imaginatif » que beaucoup d’entre nous.
Depuis quelques longues semaines, nous étions partis à la recherche d’un chevrier en remplacement de Patrick devenu directeur jusqu’à sa retraite (le temps de nous laisser du temps pour choisir la bonne personne). Avec son accord, c’est Matthieu (un autre que celui du maraîchage) qui a été choisi. Bienvenue à lui. Homme de terrain, ancien rugbyman, il semble s’adapter rapidement aux hommes de la maison comme aux nouveaux locaux (pour les bêtes, pas de souci : il a déjà une belle expérience passée). Et cela laisse du temps à Patrick pour sa nouvelle mission. Paisiblement, la maison retrouve son souffle et sa dynamique, après l’épisode un peu mouvementé de l’automne dernier.
Et dernièrement, Benjamin a rejoint l’équipe des encadrants. Il tiendra la place de « maître de maison », chargé des multiples petites réparations que nécessite cette grande maison et qu’appellent de leurs vœux ses habitants.
Ne voilà-t-il pas que Charlotte s’est à son tour invitée dans la ronde des animateurs. Stagiaire au Mas depuis le 1 mars, elle anime l’atelier des confitures avec Éric que cette compagnie n’affole vraiment pas.
Ce 17 février, 75 jeunes de diverses classes (CE2/CM2 de Pujaut, 6ème du collège du Mourion, CM2 de l’école Pasteur des Angles), une vingtaine d’accompagnateurs et une dizaine de résidents du Mas de Carles se sont lancés à l’assaut de la garrigue pour un grand nettoyage. Merci à tous pour ce bel élan citoyen de solidarité envers la nature dont beaucoup continuent à s’imaginer qu’elle n’est qu’une sorte de poubelle géante destinée à la collecte de leurs déchets. Rendre son visage à la nature et ainsi retrouver le nôtre.
Nouvelle chèvrerie, encore. Magnifique réalisation. On fait des essais pour apprivoiser le matériel de la salle de traite. Beaucoup de boitiers, de boutons, d’automatisation… et beaucoup de bruit. Au milieu duquel me vient tout à coup une question : c’est comment, déjà, le chevrotement des chèvres et leur remuement et la chanson de paille froissée… Un nouveau monde nait, pourvu que ce ne soit pas sans elles : Bruno et Francky se chargeront bien de nous ramener à leur réalité ! D’autant que les naissances s’enchainent : de beaux chevreaux découvrent eux aussi leur nouvel espace de vie !
Autour de ce nouvel immeuble, la vie solidaire se poursuit par l’organisation de journées participatives avec GSE. Plusieurs travaux continuent d’avancer ainsi : finition des bassins de traitement des eaux pluviales, plantation de roseaux pour leur traitement, fabrication et pose de volets coulissants, empierrement des accès à la fromagerie et au reste du bâtiment.
Depuis sa cure à Saint Didier, Bruno nous fait parvenir cette ode d’un croyant musulman soufi (858-922).
« Nul éloignement pour moi après ton éloignement / Depuis que j’eus la certitude que proche et loin sont un,
Car, même dans l’abandon, l’abandon m’accompagne.
Et comment peut-il y avoir abandon quand l’amour fait exister ?
Grâce à toi ! Tu guides dans la parfaite pureté / Un adorateur pur qui ne se prosterne que pour toi. »
Hussein ibn Mansur el-Hallaj
Un autre vieux compagnon nous a quitté le 19 février. Jean Jabouin est parti au bout de ses 97 ans. Présence forte au quartier Saint Jean, membre d’une équipe qui a initié la construction d’un lieu de culte sur le quartier. Visiteur de prison, écrivain public. Ce promoteur d’espérance avait un jour accueilli le nouveau curé que j’étais en l’invitant à se mettre au travail pour les plus pauvres et il avait ouvert une antenne type « Secours Catholique » dans les locaux de la paroisse, appelant les fidèles aux dons pour alimenter la ruche de l’espoir… Un bel apprentissage pour tous. Et pendant ce temps il suivait fidèlement des cours de provençal !
Des années durant, il a régulièrement participé à l’animation du groupe « Prière et Partage » qui réunissait chaque trimestre 30 à 40 participants à Carles, autour de notre capacité à intégrer la question des pauvres et de la pauvreté dans nos vies « pour écouter… l’incertaine et sauvage espérance disant : sur l’amour humilié ont-ils jeté des pierres ? l’amour bordait l’amour… pendant que le Seigneur écrivait sur le sable. » [3]
[3] Henry Bauchau, Les mots de sable.
Après quelques autres (Mgr Esteban Hesayne, Mgr Gaillot, Mgr Polge, Mgr Willy Romélus, Mgr Cadilhac, Mgr Bouchex), un autre évêque est venu rendre visite au Mas de Carles : Mgr François Fonlupt, nouvel archevêque d’Avignon. Repas pris en commun puis visite de la maison, avec passage par la chèvrerie. Partages à bâtons rompus et bienfaisants pour tous.
Du côté de Manissy : le frère Roger est parti pour une maison de retraite à La Blache. Est-ce le repos soudain ? Il en a profité pour faire un AVC, dont il se remet sans séquelle. Le frère Honoré, après un séjour à l’hôpital a finalement intégré l’EHPAD de Roquemaure où il semble avoir retrouvé un coup de jeune.
* Le restant des pères Missionnaires de la Sainte Famille (ils se retrouvent finalement quatre) a fini par se remettre de la COVID qui les avait tous couchés (avec oxygène pour certains).
* La seconde semaine de mars, l’installateur (entreprise Triptik) est venu poser les clims réversibles qui leur permettra d’avoir chaud en dépensant moins d’électricité et de lutter efficacement contre les grosses chaleurs de l’été. A cela s’ajoute une isolation bientôt posée par la société SOGEBI. Le tout financé par un don du Fonds de dotation Notre Dame du Carmel de Cognac : un immense merci à ces sœurs et à Guillaume, l’administrateur de ce Fonds.
* Pendant ce temps-là, l’équipe des travailleurs de choc (Jo et Camel) refait le couloir du rez de chaussée des Pères (qui mène de la chapelle à la salle à manger). Détapisser, nettoyer, assainir, enduire, et peindre. 150 m2 de murs à refaire.
* Enfin une journée dite « chinoise » est programmée d’ici l’été pour nettoyer le deuxième étage du bâtiment principal. Restera à faire les réaménagements nécessaires si l’on veut accueillir du public (exit, extincteurs, plomberie…) et redonner une stabilité et une vie à cette maison.
Le comité culture et expositions poursuit son travail et récidive. Sous l’appellation « Cultures à Manissy » il propose une expo à partir des portraits réalisés par l’association des photographes de Totout’Arts, « Soyons Flous ». Du 24 mars au 3 avril, du jeudi au dimanche, on a pu visiter cette reprise intitulée « En-visager Carles ».
Au rendez-vous du vernissage, 60 personnes s’étaient rassemblées. A cette occasion Patrick, le directeur, a pris la parole pour introduire l’événement : « Nous sommes heureux de vous accueillir pour ce vernissage. Cette exposition est le résultat d’une collaboration maintenue depuis plusieurs années avec l’association Totout’Arts. Et je remercie les différents photographes qui ont participé à ces prises de vues. Ils ont su venir passer du temps avec nous, s’inspirer et, on pourrait dire, respirer le bon air de Carles, la magie du lieu, comme disait Joseph, le fondateur.
Pendant une dizaine de jours, nous ouvrons donc cette exposition autour des visages des hommes de Carles. C’est tout notre ADN qui s’expose ici, tant il est vrai que le visage est souvent l’indicateur de notre état et le déclencheur de l’intérêt que l’on porte à l’autre. Il n’y a pas de statut privilégié pour cela : le visage est la première image que l’on a de l’autre, le premier vecteur de l’attention, de l’inquiétude, de la plaisanterie dans nos « bonjours » du matin. Le reflet de notre état de santé, de notre bien-être. La sale gueule n’est pas réservée au plus pauvre.
Sur ces photos, vous croiserez, par exemple, Sylvain sur trois images différentes : une avant le confinement, une autre pendant (il a toujours son bonnet et sa barbe mais entretenue), et la dernière où il commence à s’ouvrir à la communauté (cheveux coiffés, rasé). Ou encore B., que l’on surnommait Bébert, tout fier d’avoir pris en charge l’activité « bois » ; ou F. qui a passé plusieurs années au Mas, de plus en plus impliqué dans le groupe, participant aux activités cuisine en collaboration avec Totout’Arts et que la maladie a rattrapé…
Bien sûr, pour finir, il nous manque les images des visages des bénévoles et des salariés du Mas : on aurait mieux compris pourquoi, à Carles nous sommes tous accueillis par la vieille terre du Mas. »
…Et déjà se prépare déjà l’exposition suivante (pour l’été) autour des œuvres de Nadia de Clauzade (1929-2002). Elle s’intitulera « la Matière et l’Esprit », ou quelque chose comme cela !
Le Covid, encore : inquiétude quand on découvre que, en plus de quatre membres du CA, deux salariés sont positifs. Chargés de l’accompagnement des résidents, cela a contaminé l’un des accompagnés. Isolement pour ceux-là et passage obligatoire pour tous par le test antigénique sous la direction de l’infirmière. Et une heure et demie plus tard, soulagement : aucun autre cas n’est détecté parmi les résidents, les salariés ou les hommes du chantier d’insertion. L’occasion de se redire que si le virus semble reculer, il n’en est pas pour autant éradiqué et que l’application des gestes barrières (masques, lavage des mains, distanciation physique) est toujours et encore de mise.
« Entre les gouttes » de la pandémie, des rencontres :
avec le Conseil Départemental du Gard, à propos du Chantier d’Insertion ;
avec la DDETS à propos de la reconduite de notre subvention (qui permet d’assurer la paie des salariés de la maison) ;
avec le Grand Avignon et la ville d’Avignon, à travers ses représentantes de la solidarité et d’Avignon Ville Solidaire ;
avec André Castelli, élu du Conseil Départemental et proche du Mas, pour faciliter une rencontre avec ledit Conseil ;
avec le collectif des IAE 30 qui a permis de mesurer que nous partagions le mêmes difficultés ;
Le 10 mars, retrouvailles (en nombre limité) des membres de l’Union Interrégionale des Lieux à Vivre, à Aubagne, chez les copains de « Vogue la Galère ». Il s’agissait de se donner des moyens de communiquer sur l’Union : un site a été relancé et sa gestion confiée à Jean-Claude Bizet (déjà en charge du site du Mas de Carles). Un quatre pages de présentation avec un logo offert par un voisin de Jacques et un « flyer », sorte de présentation courte à distribuer largement.
Comme chaque année le collectif des « Morts dans la rue » publie la trop longue liste des personnes retrouvées mortes dans les rues de nos villes. Cette année, le collectif en a recensé 623. Il note que ces personnes avaient en moyenne 48,5 ans. Pour le dire autrement, 33 personnes avaient plus de 70 ans (le plus vieux était âgé de 88 ans) ; 6 avaient moins de 15 ans (dont trois bébés de 1 et 4 mois). A la lecture de cette longue liste, on remarque que 186 personnes n’ont pas de nom : c’est près de 30% de ces enfants, de ces femmes et de ces hommes ; 30% qui reste des anonymes dans la mort, comme ils l’ont été dans la rue. Et pourtant, quelqu’un un jour les a bien appelés. Dieu saura se souvenir de ces noms oubliés.
La guerre. La Russie envahit l’Ukraine, pour purifier et dénazifier le pays. Folie ! Et les morts s’accumulent. Et les fuites hors des frontières.
A Carles, un des résidents, ancien de l’armée, se dit prêt à aller soutenir les combattants ukrainiens, à s’enrôler les armes à la main.
Pendant ce temps, tous les prix augmentent, infligeant une lourdeur supplémentaire pour nos budgets déjà pas revalorisés depuis plus de dix ans.
Et lentement semble s’instituer une hiérarchie entre immigrés, entre Ukrainiens et les autres, qui apparemment n’ont pas tous les mêmes droits ni les mêmes libertés. Tant mieux pour celles et ceux pour qui l’horizon semble moins lourd. Mais ici nous n’avons pas envie de jouer les uns contre les autres.
Il nous semble qu’émigrer, être poussé hors de sa terre et de sa maison (quelle qu’en soit la cause) est toujours un drame et un chagrin que nous nous devons d’accompagner au plus près des personnes et pas simplement des législations.
Reçu ce message, de Bernard Couchoud, président du collectif la Passerelle : « Je me permet de vous informer qu’à mon grand regret une page se tourne… La convention nous permettant d’occuper le presbytère de la Barthelasse s’est terminée le 21 mars. Malgré nos propositions de partage avec la paroisse, le diocèse a voulu récupérer son bien et nous a demandé de le vider entièrement. C’est ce que nous avons fait… J’en suis très attristé. Mais la Passerelle continuera à respecter la mission et les valeurs que nos anciens nous ont montrées. Sans l’aide et la bienveillance du diocèse. »
Pour les initiateurs de cette « occupation » peu à peu légitimée par une convention en bonne et due forme, ce fut une belle aventure accompagnée de rudes moments de solitude et d’inventions autour de Christian Bezol, André Allemand, Jean et Michèle Bouvet, Josette Bourgeois et de tant d’autres encore là pour témoigner de ces temps où rien ne semblait impossible. Et les pauvres étaient chez eux dans ce lieu, sous le regard attentif de quelques-uns de nos responsables ecclésiaux : Mgr Polge, Mgr Bouchex, Mgr Cattenoz. Au bout d’une saison de grandes inondations, le collectif avait fini par déménager (sous la pression des assurances) pour aller s’installer dans le quartier Saint Jean, à Avignon. Une grande page de l’histoire de l’accueil des personnes en grande difficulté se tourne. Souhaitons que les plus pauvres ne soient pas exclus pour autant de la préoccupation de l’Eglise en séjour à Avignon.
Plus ça va, moins cela semble aller de soi. Chaque année renforce le sentiment qu’une forme de fragilité s’installe durablement. Cela se manifeste par le déficit chronique qui grève notre budget de fonctionnement. Autour de 30.000 € chaque année depuis de plusieurs années. Et l’augmentation du coût des énergies (essence, électricité) et des autres matières premières alimentaires n’arrangera rien.
Les institutions font ce qu’elles peuvent et une surveillance plus stricte des dépenses s’effectue depuis quelques temps. Mais depuis quelque temps, vos dons sont en diminution. Il y a là un signal à ne pas négliger, parce qu’ils soutiennent notre fonctionnement.
Nous relançons donc un appel : plus que jamais nous avons besoin de tous, particuliers, entreprises (dans le cadre de la Responsabilité Sociétale et Environnementale ?), fondations, Fonds de dotation, pour tenter de résoudre la question de cette perte récurrente.
De la part de Guillemette et John, nous avons reçu cette belle lettre : « Nous avons été si bien reçus, nous visiteurs, au Mas de Carles que je voudrais dire : merci à tous ! Ce n’est pas la première fois que nous venons. Grâce à Mamadou, cette fois, nous étions invités à déjeuner. Nous avons eu le temps de parler un peu avec les uns et les autres (Jean-Marc, Hélène, Moussa, Mathieu…), dialoguer aussi avec les arbres, les fleurs et les oiseaux (concert de mésanges charbonnières, une geai nous a salués : a-t-il deviné que je suis ornithologue amateur ?)… Nous sommes fiers d’être les amis de Mamadou depuis 2017. J’ai donné pour vous, par son intermédiaire, le petit livre Terre d’humanité, un chœur pour Mimmo. Il s’agit de faire circuler les informations, mettre en relation des gens de cœur : cela donne de l’espoir. Nous sommes repartis avec Une terre, des hommes, témoignages d’une grande richesse, incitation à la bienveillance qui éclaire sur le sens… Nous ne sommes plus assez jeunes pour le jardinage. Désormais c’est plutôt la contemplation, comme celle de ce fruit qui, à lui tout seul, est une promesse, une planète, un soleil.
Merci à tous. »
Et merci à vous pour ce beau témoignage.
Une très bonne nouvelle pour conclure cette vie au Mas. Fred, qui avait souhaité prendre du temps pour se préparer à une sortie digne de la maison, vient de quitter le Mas pour aller habiter à Rochefort. Depuis plusieurs mois il avait trouvé un travail de conducteur d’engins de carrière. Le temps à Carles lui a permis de mettre quelque argent de côté pour ce moment. Merci à lui pour sa présence et belle route pour poursuivre son chemin d’homme.